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Le rôle du directeur/trice dans la cellule de crise

Le directeur de la cellule de crise est en général le plus gradé : cela va souvent avec le mandat social. Il ou elle est ainsi responsable au sens juridique si la gestion de la crise venait à être remise en cause.

Il occupe un rôle central : il décide de l’armement de la cellule de crise et de sa fermeture. Il choisit la stratégie de réponse à mettre en œuvre, les objectifs et les priorités. Il a la charge de protéger la réputation de l’organisation. Il définit également les KPI (Key Performance Indicator), c’est-à-dire « on aura réussi cette gestion de crise si ». Le directeur doit être capable de prendre des décisions et d’agir face à l’urgence et au stress. Il garde du recul et veille à combattre les biais cognitifs.

Sa principale responsabilité est l’anticipation. Il forme un binôme avec le coordinateur (voir notre article précédent : https://www.eha-consulting.com/le-coordinateur-de-crise/ ) qui a la charge de sa mise en œuvre. Les scénarios sont d’abord travaillés en commun, lors d’une réunion de réflexion de groupe, puis chaque membre doit travailler les scénarios de son domaine d’expertise. Ce binôme permet d’assurer l’intérim en cas de vacance de la fonction directeur, car le coordinateur, tel la tour de contrôle ne quitte pas la cellule de crise.

Le directeur de la cellule de crise, est aussi porte-parole et représente l’organisation devant les parties-prenantes clés (médias et les autorités) il doit donc pouvoir quitter la cellule sans perturber son fonctionnement.

Les autres membres de la cellule de crise, tout comme l’organisation, doivent avoir confiance en lui. Sa personnalité a un impact sur la libre expression des autres fonctions de la cellule, il doit rassembler les équipes. L’empathie du directeur est un atout : l’opinion de chacun doit pouvoir s’exprimer avant la prise de décision, et ainsi mettre à profit l’intelligence collective de l’ensemble de la cellule de crise
En revanche, au moment de la prise de décision, les acteurs doivent s’aligner et mettre en œuvre.

Il incombe à chaque membre de la cellule de crise de prendre en compte les décisions prises et de cesser de les questionner. Le directeur ne « fait rien » : il « fait faire ». L’équipe de crise doit être solidaire, derrière son chef.
C’est au moment du RETEX que les membres pourront donner leur avis de nouveau sur la décision qui a été prise. Ce moment, post crise, est nécessaire pour tirer les leçons de la crise vécue, et capitaliser l’expérience commune, c’est le directeur de la cellule de crise qui doit s’assurer que le retex est conduit.

Robert de Quelen, expert en matière de leadership et d’organisation et auteur du livre « Travailler autrement avec l’intelligence collective »

Rencontre insolite :

L’intelligence collective et le « leader facilitateur », deux facteurs de réussite d’une gestion de crise.

Robert de Quelen, expert en matière de leadership et d’organisation et auteur du livre Travailler autrement avec l’intelligence collective, paru aux éditions Leduc, a partagé avec nous sa vision de la gestion de crise. L’intelligence collective et la notion de « leader facilitateur » ont été identifiés comme deux clés essentielles.

Instaurer la confiance au sein de la cellule de crise :

La diversité d’opinion est primordiale au sein d’une cellule de crise afin de s’assurer d’avoir envisagé chaque situation et de limiter les biais cognitifs. Cette diversité peut se développer seulement si les membres de la cellule de crise ont établi un climat de confiance entre eux.

Savoir que l’on peut s’appuyer sur les capacités de ses collègues, choisis pour leur expertise dans leurs domaines respectifs, est une des clés pour un fonctionnement fluide de la cellule de crise. De plus, il est important de respecter le cadre des processus de résolution de la crise, en suivant les étapes établies par le plan de crise. L’objectif est de se concentrer sur la problématique à résoudre en dépassant les « jeux d’ego » et de positionnement. Après la phase de diagnostic dans laquelle on encourage la divergence des points de vue, on va mettre en place une hybridation des idées, combinant les hypothèse/suggestions des divers membres de la cellule. On évite ainsi les angles morts et on dépasse les biais cognitifs tels que l’excès d’optimisme (ou de pessimisme) pour une appréciation plus réaliste de la situation. Ces mécanismes d’intelligence collective assurent un fonctionnement optimal de la cellule de crise.

Par ailleurs, il existe une méthode efficace afin de faire participer tous les membres de l’équipe de gestion de crise en gommant les différences de personnalité ou de statut : le tour de table silencieux. Ce mode de réflexion, mis en place par le directeur, permet à chacun de s’exprimer à son tour, dans un ordre rigoureux, sans être influencé par les autres (surtout s’ils bénéficient d’une plus haute autorité hiérarchique ou morale). Le directeur pose une question sur la manière de résoudre une problématique de la crise en cours et chaque membre de la cellule y répond par écrit. Cette méthode présente l’avantage de donner la parole à tout le monde équitablement et surtout d’éviter les bavardages inutiles.

L’intelligence collective :

D’après Robert de Quelen, l’intelligence collective se définit comme « ce qui se passe lorsque les conditions sont réunies pour qu’un groupe crée plus de valeur ensemble que chacun des individus qui le composent n’en produirait séparément. 1+1=3 ». L’auteur évoque en particulier deux principes : l’avocat du diable et la distinction entre la personne et le rôle.

L’avocat du diable est une technique destinée à éliminer les biais cognitifs. Une personne est spécifiquement désignée pour repérer et indiquer les points faibles d’un raisonnement. Sa mission est aussi d’imaginer les pires situations d’évolution de la crise. Dans l’idéal, à chaque tour de table, une personne différente prend ce rôle de sceptique, de briseur de consensus. Cela permet de vérifier la solidité de l’argumentation. Une précaution indispensable lorsque l’on travaille l’anticipation.

La distinction entre la personne et le rôle est également essentielle, et très difficile. Dans le cas de l’avocat du diable, elle rend acceptables ses remarques car en les exprimant, il ne fait que jouer son rôle avec professionnalisme. On ne peut plus les écarter comme autant d’opinions personnelles. Le fait de jouer ce rôle chacun son tour donne aux membres de la cellule de crise l’occasion de s’entraîner à considérer la situation sous divers points de vue. Cela fait donc partie du processus cognitif. De plus, la distinction entre la personne et le rôle permet aux membres de la cellule de crise de se remplacer les uns les autres si nécessaire, en s’appuyant sur les fiches descriptives du rôle, par exemple en cas d’absence d’un membre.

Ainsi, si l’un des membres de la cellule a le rôle de responsable communication, il pourra également assumer le rôle de l’historien en attendant que ce dernier arrive. Cette flexibilité basée sur les processus est une partie intégrante de l’intelligence collective.

Ce processus de réflexion commun doit avoir été appris et pratiqué en amont grâce à des formations et des exercices. Les retours d’expériences réalisés ensuite par un tiers sont également primordiaux afin de pouvoir reproduire les processus qui ont été efficaces.

Le leader facilitateur :

La posture de leader facilitateur a plusieurs avantages pour le directeur de la cellule de crise. Il lui permet de limiter ses propres biais cognitifs en partageant sa réflexion avec son équipe. Cela ne signifie pas pour autant que la décision finale est collégiale. Le directeur reste in fine responsable de la décision. La façon d’envisager le management d’une cellule de crise ne remet pas en cause la manière dont la décision est prise, mais la façon dont elle est préparée.

Le rôle de leader facilitateur permet également de maximiser l’intelligence collective. Le directeur devient alors le médiateur de la cellule pour laisser tous les membres présents partager leurs réflexions, leurs points de vue. Il est important dans ce cas que le directeur prenne la parole en dernier lors des tours de table pour que chacun puisse discuter librement sans être influencé par l’opinion du manager. C’est un point clé pour optimiser la méthode de l’intelligence collective dans le cadre d’une cellule de crise.

Enfin, le modèle de leader facilitateur est bien plus efficace aujourd’hui alors que les crises se succèdent. En effet, un incident peut facilement avoir des conséquences sur la réputation de l’entreprise, dans le domaine juridique ou financier. Les polycrises rendent difficile voire impossible une prise de décisions efficiente par une seule et même personne, d’où l’intérêt de la combinaison des membres de la cellule de crise.

L’expertise des membres de la cellule de gestion de crise est certes importante, mais son management est une partie intégrante de sa réussite. La combinaison de l’intelligence collective et du « leader facilitateur » permet donc une résolution de crise efficace en maximisant la réflexion des membres de la cellule. Le directeur de la cellule de crise peut dès lors prendre la meilleure décision grâce à une réflexion collective tout en limitant les biais cognitifs.

Biographie de Robert de Quelen :

Robert de Quelen est le fondateur du cabinet de conseil Liwanag. Spécialisé dans le coaching des dirigeants, des équipes et des organisations, il les accompagne dans leurs transformations et dans les situations sensibles ou complexes. Riche de 25 ans d’expérience opérationnelle dans le management et la communication en France et dans le monde, Robert de Quelen est expert en matière de leadership et d’organisation.

Il est l’auteur de deux livres : Alice au pays des projets, publié en 2017 aux éditions Afnor et Travailler autrement avec l’Intelligence collective, publié en 2021 aux éditions Leduc, collection Alisio.

Directive européenne 2022 sur le devoir de vigilance des entreprises : quelle incidence en matière de risques ?

Adoptée le 28 novembre 2022, la directive place les entreprises européennes en chef  de file des problématiques RSE. Une responsabilité supplémentaire mais qui peut  également leur permettre de se différencier par leur exemplarité. 

D’abord conscrit à la « soft law», le devoir de vigilance est entré dans la loi en France  en 2017 et entre aujourd’hui dans les textes européens. TotalEnergies, Suez, Lafarge le  savent bien : le tribunal qui juge les entreprises est d’abord médiatique. Dans ce  procès, pas d’avocat ni de juge. La présomption d’innocence est rarement de rigueur.  Accusations vraies ou fausses, il est toujours difficile de reblanchir son image une fois  que celle-ci a été traînée dans la boue. Depuis décembre 2022, la législation  européenne a évolué et permet d’amener le procès médiatique sur le terrain judiciaire.  Avec un accueil positif quasi unanime lors de sa présentation au Parlement européen,  la nouvelle directive européenne relative au devoir de vigilance des entreprises entre  en vigueur. Elle s’applique aux entreprises européennes et étrangères qui opèrent en  Europe. La loi vient avec une portée extraterritoriale : elle s’applique non seulement  aux entreprises européennes mais aussi à ses fournisseurs, et autant que faire se peut,  aux fournisseurs de ses fournisseurs. Objectif de la loi ? Prendre en compte l’ensemble  de la chaîne de valeur et permettre une homogénéisation des bonnes pratiques.  

Un durcissement de la loi française 

Concrètement, les entreprises devront identifier, traiter et rendre compte des risques  environnementaux et sociaux que présentent leur modèle économique et leurs  activités. Cela permettra d’établir des règles égales en matière de concurrence, au  moins au niveau européen, et d’offrir une plus grande transparence vis-à-vis des  consommateurs. Si la loi française était déjà solide en la matière, la directive  européenne va plus loin et est plus contraignante. Non seulement le nombre  d’entreprises concernées est plus élevé, mais il s’applique à l’ensemble des relations  de l’entreprise et pas uniquement aux filiales et aux sous-traitants. Dans le viseur de la  directive, trois secteurs : l’industrie textile, l’industrie extractive et l’agriculture. Le  choix n’est pas anodin. Les entreprises du secteur extractif et textile sont  régulièrement mises en cause par les ONG et se retrouvent tout aussi régulièrement  en gros titres des journaux. La directive pourrait alors toucher 13 000 entreprises  européennes et 4 000 entreprises étrangères. Si les PME ne rentrent pas dans le cadre  de la loi au sens strict, elles seront tout de même affectées en tant que partenaires des  entreprises concernées. 

Des coûts, des risques et une opportunité  

Concrètement, les mesures à prendre sont inéluctablement synonymes de coûts  directs pour l’entreprise, dans le cadre de la création de services dédiés ou de  formation. Le nonrespect de ces nouvelles règles s’accompagnera d’amendes infligées  par les autorités administratives nationales désignées par les États membres. Leurs  modalités restent encore à déterminer. Cependant, en se calquant sur la législation  française, on peut s’attendre à un montant pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre  d’affaires annuel de l’entreprise, selon la gravité. De plus, si la directive va permettre  une harmonisation de la législation au niveau européen et un lissage en matière de  concurrence au sein du marché unique, c’est l’ensemble des entreprises européennes  qui sera soumis à des distorsions de marché en matière de concurrence, sur les  marchés asiatiques et africains notamment. En effet, les entreprises étrangères,  turques et indiennes, pour ne citer qu’elles, ne s’encombrent pas des mêmes  considérations. Au motif du respect de la directive, certains appels d’offres ne seront  plus envisageables pour les vertueuses entreprises européennes.  

L’opportunité de la vertu  

D’un autre côté, devenir irréprochable au sens de cette directive est une opportunité.  En travaillant sur leurs obligations et engagements sociaux, les entreprises  européennes se donnent la possibilité de faire de cette différence un facteur de  préférence. Et c’est déjà le cas dans d’autres domaines. À titre d’exemple, les  engagements de l’Union européenne concernant la protection des données font des  entreprises issues du marché unique des partenaires dignes de confiance. Au sein des  marchés émergents, les entreprises européennes bénéficient alors d’un avantage  concurrentiel notable par rapport à la Chine, les États-Unis, la Russie, l’Inde ou la  Turquie. 

S’engager, oui, baisser la garde, non  

Être vertueux aux yeux de la loi n’est malheureusement pas suffisant. Une entreprise  aujourd’hui « irréprochable », ne l’a peut-être pas toujours été. Il lui faudra gérer son  historique. Changements de gouvernance et évolutions de pratiques n’effacent  malheureusement le passé. C’est justement lorsque le robinet est coupé à ceux qui  profitaient d’un fonctionnement « à l’ancienne » qu’elles peuvent ressurgir. De plus,  certaines entreprises étrangères n’hésiteront pas à utiliser la loi afin de fragiliser les  positions de leurs concurrents européens. Les combines, qui allient lanceur d’alerte  pas si impartial, très bien payé, et ONG, bras armé d’un gouvernement, étaient déjà  monnaie courante, et le resteront. En d’autres termes, l’ombre de la crise plane  toujours. Il est important pour les entreprises de comprendre leur environnement et  les risques liés, pas seulement financier, mais sociaux, culturels et économiques. Sur  les sujets les plus sensibles, il faut que les entreprises adoptent une position franche, aient la capacité de l’expliquer et de présenter les mesures prises pour faire face à ces  sujets.

Cinq grandes obligations  

  • Recenser les incidences potentielles négatives de leur activité puis mettre en place  les mesures nécessaires pour atténuer ces mêmes incidences  
  • Publier annuellement un rapport public faisant état en toute transparence du  respect des obligations de vigilance des entreprises  
  • Mettre en place une procédure d’alerte accessible par l’ensemble de la chaîne  d’approvisionnement  
  • Indiquer leurs engagements de réduction des émissions de CO2, pour les  entreprises au chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros  
  • Délai d’exécution : 27 novembre 2025, soit trois ans après l’entrée en vigueur de  la directive.

Points d’attention 

  • Qui pourra saisir les tribunaux ? La directive européenne ne le précise pas, il faudra  attendre la transposition en droit national pour savoir si une victime, une  organisation de la société civile, un syndicat ou une autre personne morale pourra  introduire un recours au nom de la victime  
  • Investiguer sa chaîne de valeur, surtout si elle est très diluée. Le fait générateur  incriminant peut souvent venir d’un fournisseur de rang trois ou deux

Retour sur le Colloque du Club des Directeurs de la Sécurité en Entreprise (CDSE)

Le 15 décembre dernier, s’est tenu le colloque du Club des Directeurs de la Sécurité en Entreprise (CDSE) présidé par Stéphane Volant sur le thème « L’Entreprise à l’ère de la multi- crise ». Si les entreprises étaient largement représentées, notamment par les membres des directions sécurité-sûreté, les acteurs publics étaient également très présents, montrant ainsi l’importance du partenariat public-privé pour permettre à chaque organisation de faire face et de résister en cas de crise.

Si la définition de la crise peut différer d’un acteur à un autre, c’est principalement le cas compte tenu des périmètres, rôles et responsabilités de chacun. Mais les enjeux in fine sont toujours les mêmes : affronter au mieux la tempête, tenir bon, limiter les avaries et protéger les personnes.

Nous retenons notamment des interventions et tables rondes de ce colloque les points suivants.

En cas de crise majeure, une entreprise doit faire montre d’empathie, d’humanité, de responsabilité – ce que nos voisins anglo-saxons nomment accountability- tout en gardant à l’esprit qu’elle ne doit pas s’exposer inutilement juridiquement et médiatiquement. Ainsi, comme l’a rappelé Guillaume Pépy, ancien dirigeant de la SNCF, à propos du terrible accident de Brétigny-sur-Orge, dès lors qu’on dénombre des victimes, qu’il s’agisse de blessures physiques, morales et même financières, l’entreprise doit être présente, représentée et incarnée. La prise de parole de l’entreprise doit être préparée avec les équipes de communication et les juristes, bien sûr, mais elle doit être sincère. Cela se prépare, se travaille, on peut s’exercer grâce à des media-training de crise.

Un autre point a particulièrement retenu notre attention : les risques géopolitiques et sécuritaires demeurent hélas une réalité pour les entreprises, et pas uniquement en dehors des frontières françaises. Mais une attention plus spécifique encore devrait être portée aux risques socio-économiques. La crise énergétique, les prix des matières premières, en plus des autres conflits et tensions mettent déjà bon nombre d’entreprises en grande difficulté. Les conséquences risquent d’être nombreuses : dépôts de bilans, rachats opportunistes, plans sociaux…L’Humain doit être encore plus particulièrement pris en compte et les entreprises doivent se préparer à faire face à des conflits sociaux, des risques psycho-sociaux plus importants, des manifestations potentiellement violentes. Les organisations doivent pouvoir continuer à travailler malgré des équipes parfois en sous effectifs, des difficultés à recruter du personnel qualifié etc. Cela accroît le risque d’accident et de crise, et donc augmente les impacts potentiels pour les entreprises.

Ces dernières années ont vu la menace cyber augmenter : ce sujet est devenu médiatiquement intéressant, mettant en lumière le travail fait par les autorités et les entreprises, mais pouvant également donner des envies plus importantes aux attaquants. Les motivations de ces attaques sont nombreuses et variées : idéologiques, purement crapuleuses, à des fins d’instrumentalisation dans un contexte de guerre économique. Comme l’a rappelé Guillaume Poupard, ancien directeur général de l’ANSSI, en plus de la menace cyber, l’extraterritorialité de certaines lois viennent fragiliser encore plus les entreprises et nos « ennemis » ne sont pas uniquement ceux auxquels on pense… Face à ces menaces, il est urgent que les entreprises, et plus notamment les Comités Exécutifs et Comités de Direction, prennent pleinement conscience des enjeux et mettent en place tous les outils nécessaires. Une adresse email « deontologie@entreprise.fr » ne suffit pas, même si c’est un bon début.

Si vis pacem para bellum : il est urgent que les acteurs économiques, groupes du CAC 40 comme TPE-TPI, se préparent et s’entraînent régulièrement à gérer des situations complexes, difficiles, pouvant mettre en péril leur modèle économique, le cœur de leurs activités, leur réputation. S’il faut en priorité identifier et gérer les risques inhérents aux métiers de l’entreprise, les risques moins évidents, moins palpables ne doivent pas être minimisés. La pandémie de COVID-19 l’a montré : les entreprises ne peuvent pas ignorer un risque au prétexte que sa probabilité d’occurrence est faible.

Le rôle de l’historien dans la cellule de crise :

Souvent méconnu, l’historien a un rôle essentiel au sein de la cellule de crise. Il tient le livre de bord, parfois aussi appelé main courante, répertoriant la chronologie des événements, les décisions prises et les tâches associées et affectées à une personne, leur priorisation et leur degré de complétion. Ce document est central en situation de crise : il permet une bonne circulation de l’information, la vérification des éléments entrants (sources et double vérification de l’information), une gestion de projet efficace. Le livre de bord est donc essentiel à la prise de décision rapide et efficace.

Le livre de bord et/ou la main courante sont également des éléments de preuve. En cas de mise en cause de l’entreprise, le juge d’instruction demandera à avoir accès entre autres à ces éléments. Il est donc essentiel de noter les différents points avec discipline et rigueur. A échéance régulière, la fonction juridique doit s’assurer de la bonne tenue de la main courante.

Avec le coordinateur, l’historien aide à la gestion des points fixes. En attirant notamment l’attention du coordinateur sur les « points faibles » qui demeurent, les actions qui n’ont pas encore été menées à bien, les délais de réalisations des documents de travail.

Enfin, après la crise, le livre de bord va permettre de préparer un retour d’expérience, permettant d’identifier les points à améliorer quant à la remontée de l’information et sa prise en compte.

Alors, en cas de crise, n’oubliez pas d’aller de prendre des notes et de tenir informé autant que nécessaire l’historien !

Loïc Monguillon, Corporate Emergency Response General Manager / Risk management chez Air France

EH&A : Quels sont les critères pour ouvrir une cellule de crise dans l’aéronautique ? Quels sont les outils, les moyens à votre disposition pour faire face à ces crises ?

Loïc Monguillon : La crise, ce sont tous les évènements qui ont eu, ou qui pourraient, dans leurs évolutions immédiates, avoir des impacts sur : d’abord la vie humaine (tout événement générant des blessés ou des décès parmi les clients ou les salariés, comme par exemple un accident aéronautique ou un acte terroriste, sur un avion ou dans un aéroport, doit immédiatement être perçu comme une crise majeure), mais on va également trouver comme critère de définition d’une crise dans l’aéronautique tout ce qui peut toucher aux moyens de production (c’est-à-dire ce qui peut empêcher les vols de se faire sereinement et en toute sécurité). De plus et de manière plus transverse, les enjeux réputationnels sont aussi facteurs de crise.

Chez Air France, on retrouve une cellule de crise centrale, c’est-à-dire corporate, qui s’active quel que soit l’évènement, qu’il soit à Paris ou ailleurs dans le monde. Il y a également des organisations de pilotage locales dans les aéroports impactés. Les profils au sein de la cellule de crise sont très variés, le but étant justement d’avoir un panel d’acteurs issus d’expertises différentes afin de mutualiser au mieux l’expérience de chacun. La réglementation et le droit aérien nous imposent des outils, notamment pour l’information aux familles et la coordination avec les autorités d’investigation. Une autre particularité de l’aérien aussi, c’est l’obligation d’assistance émotionnelle aux victimes ou à leurs proches. Cela signifie que l’on doit mettre à disposition des moyens humains pour accompagner ces personnes dans des moments difficiles. Cela implique de la préparation, de la documentation, de la formation et de l’entraînement. La coopération, les partenariats, que ce soit en interne ou en externe avec des autorités, des représentants des différents pays, sont au cœur de la gestion de crise dans ce secteur.

EH&A : L’anticipation de la crise est un critère important, comment anticipez-vous dans un contexte de crise évolutive ?

L. Monguillon : Selon moi, l’anticipation intervient à deux niveaux : avant que la crise ne se déclare et une fois que celle-ci est déclenchée. Tout d’abord, il convient d’essayer d’anticiper la crise avant que celle-ci ne se déclare. Pour ce faire, nous réalisons des analyses trimestrielles de crise, afin de prévoir ce qui pourrait impacter nos performances opérationnelles dans les trois prochains mois. Concrètement, on s’attend à voir dans les prochaines semaines des journées d’exploitation difficiles en raison des mouvements sociaux contre la réforme des retraites ou de phénomènes météo particuliers. Nous avons également une veille géopolitique : on nous fait remonter en interne les évènements qui pourraient remettre en question nos vols vers certaines régions du monde. Nous avons abordé les partenariats dans le secteur : les activations d’une cellule de crise restant heureusement relativement rares, nous avons du temps pour nous préparer et partager nos expériences avec d’autres organisations. Aussi, dès qu’une autre compagnie fait face à une crise, en particulier si nous n’avons pas traversé de crise similaire, nous allons analyser avec attention, les causes, les raisons, les actions mises en œuvre : on part du principe que ce qui est arrivé chez quelqu’un qui nous ressemble, peut aussi nous arriver. Malheureusement, la plupart des crises auxquelles nous avons dû faire face présentaient peu ou pas de signaux forts ou de signaux faibles.

Néanmoins la notion d’anticipation a également tout son sens une fois que la crise est déjà en cours (une grande partie de nos crises était des crises évolutives). A l’instar, d’une cyberattaque, d’une pandémie comme celle qu’on a vécu, d’un volcan islandais qui paralyse le ciel pendant un temps indéterminé, d’un acte terroriste, ce sont des crises évolutives avec des cinétiques différentes : pour un acte terroriste, cela sera une question d’heure ; pour une cyber attaque, une question de jours (voire plus probablement de semaines) ; une crise sanitaire peut durer plusieurs mois. Nous avons donc mis en place une cellule anticipation au sein de la salle de crise. C’est un groupe de 3-4 personnes à qui on va confier la mission d’envisager les scénarii d’évolution possibles de la crise en cours, et d’en préparer alors proactivement des éléments de riposte qu’il faudra déployer s’ils se concrétisent. C’est une fonction dont on s’est inspiré chez des partenaires comme EDF ou l’Armée, et qui nous permet d’avoir un coup d’avance.

Une fois une crise déclenchée, on n’hésite pas à contacter à nos partenaires de confiance, « l’appel à un ami ». Il y a des réseaux structurés comme le CDSE, et dans l’aérien, Air France fait partie de l’alliance Skyteam, qui rassemble 19 compagnies aériennes du monde entier. Par exemple, quand la crise Covid a commencé, nous avions la chance d’avoir des compagnies partenaires en Asie comme Vietnam Airline, China Eastern, China Southern, Garuda Indonesia, qui avaient dû s’organiser face à la crise avant nous. Leur retour d’expérience nous a été particulièrement utile, et nous avons pu à notre tour partager les nôtres avec nos partenaires sur le continent américain, où la pandémie est ensuite arrivée quelques semaines plus tard. Il est essentiel d’établir des partenariats en période de paix.

EH&A : Quelle est la place pour le facteur humain dans la gestion de crise ? Comment gérezvous ce facteur ?

L. Monguillon : La notion de facteur humain en gestion de crise est souvent sous-estimée. L’organisation de crise a souvent une approche très opérationnelle. Les outils de résolution de crise sont conçus par des humains et utilisés par des humains. Ils sont aussi appliqués dans l’urgence, c’est-à-dire dans le stress, parfois le chaos. La notion de facteur humain est ici primordiale et doit être intégrée dans les formations. Pour intégrer des méthodologies de gestion du facteur humain en situation de crise, nous nous sommes tout d’abord inspirés de ce qu’il se passe dans un cockpit. Les pilotes doivent faire face à des situations extraordinaires, au premier sens du terme. Un cockpit est donc une mini salle de crise et nos pilotes ont des compétences en termes de conscience de la situation, de prise de décisions etc…, que l’on peut retranscrire dans une salle de crise. On s’inspire donc de leurs expériences, notamment pour limiter certains biais cognitifs tel que le déni, la stupéfaction, … Typiquement, cela est un grand piège d’une salle de crise. Il faut se préparer à chaque éventualité.

EH&A : Le facteur humain est aussi au cœur de l’obligation d’assistance émotionnelle au sein d’Air France, pouvez-vous nous expliquer sa mise en place ?

L. Monguillon : Tout d’abord, c’est une obligation réglementaire du droit aérien international. Lorsqu’il y a un évènement qui fait des victimes, la compagnie aérienne doit apporter une assistance émotionnelle. Nous n’assistons pas seulement les familles des voyageurs décédés, mais aussi celles des blessés auprès de qui on doit continuer à assurer notre présence. Nous allons maintenir notre présence auprès des victimes dans les années qui suivent. De même pour les familles, certaines sont très fortement touchées, soit parce qu’elles ont appris la perte d’un proche, soit parce qu’elles ont cru un moment perdre leur proche. Deux organisations sont alors possibles selon les compagnies pour réaliser cette assistance : une grande partie ont choisi de le faire en interne. Au sein d’Air France, nous avons fait le choix de proposer à tout salarié de devenir volontaire pour venir porter assistance en cas de crise. Nous leur demandons par exemple les langues qu’ils pratiquent. Le jour où nous aurons besoin d’eux, nous serons dans l’urgence. Il nous faut un outil très structuré pour pouvoir contacter parmi nos 3 000 Volontaires ceux qui sont disponibles et les plus aptes à la mission qui leur sera proposée. La formation est nécessaire dans leur mission d’accompagnement des familles dans des phases de deuil, de traumatisme, de stress. Nous les formons aussi pour se protéger émotionnellement de ce qu’ils vont vivre. Nous avons une responsabilité en tant qu’employeur, nous demandons des choses à des personnes dont ce n’est pas le métier, ils sont volontaires, et subitement ils accompagnent en binôme une famille ou une victime qui a vécu quelque chose de dramatique.

EH&A : Air France a un partenariat avec Delta Airline et KLM, comment cette mutualisation des moyens vous permet d’apporter une réponse plus efficace face à la crise ?

L. Monguillon : Air France et KLM se sont associé dans les années 2003/2004 et Delta les a rejoints peu après dans un projet de mutualisation des plans de réponse en aéroport. Cela fait ainsi une vingtaine d’années que ce principe d’aide mutuelle a été mis en place, et que nous révisons nos procédures ensembles régulièrement.

Je vais donner un exemple virtuel. Prenons l’aéroport JFK de New-York, où les trois compagnies sont présentes. Il y a quelques vols air France et KLM (avec une équipe locale relativement réduite), et beaucoup de vols Delta Airlines (avec des équipes très larges). S’il y a un incident, concernant par exemple KLM au départ ou à l’arrivée de JFK, les équipes de KLM vont être très impactées, très sollicitées opérationnellement et émotionnellement. Elles auront pleins de choses à faire, apporter une assistance aux victimes, elles devront coopérer dans l’urgence avec les autorités, il y aura une très forte pression médiatique etc… Mais les actions qu’elles devront mettre en œuvre sont ni plus ni moins celles que les autres compagnies auraient eu à réaliser si l’accident était arrivé sur un de leur vol. Or, l’équipe de KLM est relativement limitée en nombre à JFK, ils auraient énormément de chose à faire alors que les équipes d’Air France et Delta à côté regarderaient ça de façon impuissante. Une mutualisation des forces est néanmoins envisageable. Il y a quelques années déjà Air France, Delta et KLM ont constaté que nous avions, dans chacun de nos aéroports, des organisations qui se superposaient quasiment parfaitement. Les trois compagnies ont convenu d’un plan local unique dans tous les aéroports où elles opèrent, dans un effort commun et conjoint. Audelà de ce plan, si l’une des compagnies est impactée par un événement majeur, les deux autres viennent en aide.

Le deuxième exemple, que j’aimerais vous partager, est un cas réel : l’attentat à l’aéroport de Bruxelles en 2016. Une des deux bombes a explosé dans la zone d’enregistrement de Delta, qui à ce moment enregistrait deux vols. Malgré la gravité de cet événement, il n’y a pas eu d’impact pour Air France. Immédiatement, s’est posée la question d’activer ou non une cellule de crise en prenant en compte les trois critères d’activation de celle-ci : l’atteinte à la vie humaine, l’atteinte aux moyens de production et l’atteinte à la réputation. Du point de vue d’Air France, la crise en cours ne répondait pas à ces critères. C’était dramatique et horrible, émotionnellement percutant, mais ce n’était pas une crise aux yeux d’Air France. De même pour KLM. Cependant, pour Delta, avec une bombe qui explose dans la zone d’enregistrement, ils ont dû activer leur organisation de réponse à la crise. Ils ont décidé de projeter une partie de leurs équipes vers Bruxelles pour continuer les missions. Il a fallu une journée entière aux équipes de Delta pour arriver à Bruxelles, ce qui reste un exploit dans une situation comme celle-ci. Nous autres, collègues d’Air France et KLM étions à quelques heures à peine en voiture. Aussi, par une triste coïncidence que Bruxelles est à la fois une ville flamande et wallonne donc les deux langues (français et néerlandais) qui étaient nécessaires pour faire une coordination locale. Ainsi, plusieurs personnes d’Air France et de KLM sont arrivées immédiatement. 2h30 après l’évènement, nous avions une armée constituée de personnels d’Air France et de KLM qui était sur place. Dans cette situation, l’union a vraiment fait la force.

EH&A : Est-ce que ce partenariat prend en compte l’assistance émotionnelle dont nous avons discuté ?

L. Monguillon : Bien sûr. C’est aussi un accord que nous avons entre Air France, Delta et KLM parce que cela fait plusieurs années que nous travaillons ensemble et que nous connaissons nos process. Cela s’applique aussi par convention avec les compagnies de l’alliance Skyteam constituée de dix-neuf compagnies. Nous avons un protocole d’engagement à l’assistance mutuelle en fonction de nos ressources disponibles. Cela permet aussi de faire la traduction ou l’interface avec les autorités d’investigation. L’assistance culturelle et linguistique est essentielle pour la traduction, l’accompagnement culturel, puisque le deuil s’exprime de façon différente selon les pays, pour les processus funéraires. Donc, oui, le partenariat sert beaucoup pour l’assistance humaine.

EH&A : Pour finir sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la gestion de crise, est-ce quelque chose qu’Air France a envisagé de mettre en place ?

L. Monguillon : L’IA intervient-elle dans la gestion de crise chez Air France ? Très peu. Il y a eu une digitalisation des outils, mais en même temps nous souhaitons volontairement rester très simples dans notre digitalisation, ne pas tomber dans la « gadgétisation ».  Je serais ravi d’avoir un recueil de crises, qui constituerait une forme de base de données qui permettrait une aide à la décision regroupant d’anciennes situations ou expériences de tous secteurs. Une autre application d’IA qu’Air France n’a pas aujourd’hui, et qui pourrait être utile, serait l’identification immédiate des impacts d’une décision sur le plan juridique, assurantiel ou financier que nous pouvons prendre à chaud. Malgré les expertises que nous avons en salle de crise, nous n’avons pas forcément tous les tenants et aboutissants. Il y a eu des cas à chaud où nous avons pris une décision et nous sommes rendu compte à froid qu’elle avait des impacts juridiques, financiers ou assurantiels que nous avions sous-estimés ou négligés.

EH&A : Et pensez-vous que l’IA pourra complètement remplacer une cellule de crise ou estce que justement le facteur humain reste trop important pour que ce soit un algorithme qui le gère ?

L. Monguillon : J’ai du mal à envisager qu’un ordinateur puisse prendre la gestion complète d’une crise car je n’ai que des crises gérées par une intelligence humaine collective comme recul. J’ai à titre personnel une barrière psychologique pour l’envisager, mais si j’essaye de la franchir, je réalise que cela pourrait être envisageable. Je pense que l’IA est plus là pour gérer des continuités d’activité, pour coordonner des plans de continuité d’activités. On est dans la presque crise ou dans l’anticipation de la réponse à la crise. Mais cela serait peut-être dangereux de se dire que nous disposons d’une IA suffisamment développée pour gérer 100% des crises car l’un des principes d’une crise c’est d’accepter d’être surpris. Une IA se base sur des données et des expériences passées, il lui sera difficile d’anticiper ou de gérer une crise qui n’a jamais été pensée ou vécue. Un outil digital, quel qu’il soit, nécessite de penser à sa défectuosité : il peut tomber en panne, être hacké, mal configuré.

BIO :

IntLoïc Monguillon, Corporate Emergency Response General Manager / Risk management chez Air France

Loïc Monguillon débute sa carrière en tant qu’ingénieur pour différentes sociétés avant d’arriver chez Air France en 2000 en tant que responsable du suivi de l’exploitation. Après un an à Amsterdam chez KLM suite à la fusion avec Air France, il est chargé des projets communs entre les deux compagnies aériennes. De retour chez Air France, il devient manager des opérations. Depuis 8 ans, Loïc Monguillon est Directeur Général de l’intervention d’urgence. Il participe à la gestion des crises impliquant Air France ou ses différents partenaires. De la conception de plans d’actions locaux ou des centres de contrôle d’urgence de l’entreprise, il forme et gère ses équipes en amont, pendant et en aval des crises.

En octobre 2022, Loïc Monguillon co-signe avec Raphael de Vittoris Par delà la résilience et l’antifragilité : l’entreprise au XXIe siècle, qui propose des clés pour redessiner les organisations de façon innovante dans un monde volatil, incertain, complexe et ambigü.

Accès à l’énergie, quels enjeux à venir ? Discussions lors de la REF Théma Energies

Le 4 décembre dernier, étions au MEDEF pour discuter de la gestion énergétique pour cet hiver et ceux à venir.

Constat est fait du manque d’anticipation de la situation où nous nous retrouvons actuellement : menace de coupures de courant pendant l’hiver à cause du manque d’énergie. Pour le patron des patrons, Geoffroy Roux de Beyzieux, la France n’a pas appris en des conséquences du choc de 1974. Il faut être capable de jouer sur plusieurs sources d’énergies, la crise actuelle a commencé bien avant la Guerre en Ukraine et nous payons notre dépendance vis-à-vis de la Russie.

Trouver une solution européenne, ne pas tomber dans le « chacun pour soi » confirme Peter Altmeier, ancien ministre fédéral allemande de l’économie et des énergies, qui souligne le défi de l’entente franco-allemande et le manque de stratégie commune pour le leadership européen.

« Il ne faut pas sous-estimer l’évolution des paradigmes » continue Peter Altmeier : c’était une erreur de sortir du nucléaire affirme ce ministre allemand! On s’en rend compte aujourd’hui de façon évidente mais à l’époque de cette décision, l’accident de Fukushima venait d’arriver et personne ne voulait de cela en Europe, « il n’y avait pas de débat ».

Niklas Záboji, correspondant économique Frankfurter Algemeine Zeitung souligne trois grandes erreurs vis-à-vis de l’énergie : la sortie du nucléaire de façon évidente, à laquelle vient s’ajouter le choix politique de ne pas utiliser de gaz par l’Allemagne et le manque d’un réseau électrique suffisant.

Toutefois, Xavier Piechaczyk, Président de RTE, rappelle les mots d’Emmanuel Macron à Tirana « Halte aux scénarios de la peur ». Selon lui, les coupures ne sont ni certaines, ni une fatalité. L’incertitude tient à la météo tout d’abord, car à moins d’un hiver particulièrement froid, il est possible d’éviter ces coupures. De plus, la France consomme 10% de moins que l’année dernière à la même époque et cela tient à plusieurs facteurs : les grands industriels ont réduit de 15% leurs consommation (fonctionnement moins intensif à cause de la baisse des demandes finales par exemple) et la campagne de sobriété fonctionne sur les ménages et le secteur tertiaire.

Là où la crise est une opportunité c’est qu’elle permet de démontrer que la France est trop dépendante des énergies fossiles, elle oblige la prise de conscience.

Le choix de l’électrique permet non seulement de décarboner mais aussi de regagner en souveraineté.

Pour conclure, Xavier Piechaczyk a insisté sur le fait qu’être plus flexible n’a pas forcément un impact sur la production et la croissance. Il ne faut plus opposer flexibilité et croissance.  

Twitter et les marchés financiers, plus de 10 ans d’influence

Twitter est toujours une source d’instabilité des marchés financiers

Ce n’est une nouveauté pour personne, les réseaux sociaux constituent pour beaucoup une source d’information qui vient s’ajouter aux sources traditionnelles. Facebook, Twitter, Instagram, LinkedIn, Whatsapp, TikTok, Reddit sont tous devenus des sources d’information. Si ces derniers peuvent être l’origine d’un bad buzz, ils représentent aussi des plateformes d’interaction pouvant provoquer une étincelle. Les « Printemps arabes » ont d’abord été un phénomène en ligne, où le désir de changement politique a enflé jusqu’à provoquer des manifestations croissantes et le renversement du pouvoir IRL (In Real Life). Plus récemment, les manifestations en Iran et la guerre en Ukraine bénéficient d’une véritable mise en scène sur les réseaux sociaux et en ligne.

L’influence des réseaux sociaux s’étend bien entendu au secteur financier, depuis 2011 le petit oiseau bleu est incrusté sur les terminaux Bloomberg. Un simple tweet peut faire fluctuer les marchés financiers de façon potentiellement irréversible. De nombreuses entreprises ont malheureusement été victimes du phénomène. Nous vous proposons de faire un point sur le sujet.

L’influence des personnalités publiques : 

Les personnalités publiques ont un grand pouvoir d’influence au sein de leur communauté. Barack Obama, par exemple, est suivi par 130 millions de followers, Elon Musk 107 millions et Donald Trump a gagné 86,4 millions de followers en moins de 24 heures après la réactivation de son compte. Cette influence peut donc aussi toucher les marchés financiers.

La marque JP Morgan a créé un indicateur spécifique pour mesure l’impact des tweets de Donald Trump sur les marchés financiers nommé « Volfefe » en référence au tweet énigmatique de l’ancien président, « covfefe ». Donald Trump a d’ailleurs été à l’origine de multiples variations des cours de bourse.

L’une de ses victimes : Lockheed Martin, industriel de l’armement, a souffert d’une chute de 5% de leur action après un tweet de Donald Trump.

Autre exemple Kylie Jenner a partagé un message sur Twitter concernant Snapchat. La valeur du réseau social a perdu 1,3 milliard de dollars de capitalisation boursière. L’influence a ensuite rappelé son amour pour Snapchat et l’action de l’entreprise est remontée.

L’actuel patron de Twitter lui-même, Elon Musk, est devenu un professionnel de la variation des marchés financiers en raison de ces tweets provocateurs. C’est l’exemple de Etsy qui a ouvert 18% plus haut qu’au moment de la fermeture de Wall Street à cause d’un tweet d’Elon Musk.

En 2021, Elon Musk incitait ses followers à utiliser l’application de messagerie Signal. En quelques minutes le cours de son action avait pris 1000%. Seul problème : la société concernée par la hausse était en réalité Signal Advance, une entreprise du Texas qui a vu sa valeur multipliée par 12 subitement.

Elon Musk a aussi fait du yoyo avec son entreprise automobile, Tesla. En mai 2020, il écrit un tweet où il trouve que le cours de l’action Tesla est trop élevé. L’action plonge de 10,3% à Wall Street et des milliards de capitalisation partent en fumée. Depuis cet évènement, Elon Musk a l’obligation de faire approuver ses tweets par les avocats de son entreprise avant de les publier car ce coup de théâtre a valu à l’entreprise une enquête de la Securities and Exchange Commission (SEC).

Nicolas Vanderbiest, Directeur des opérations chez Saper Vedere, agence spécialisée dans l’audit d’audience et les stratégies d’influence, explique que tous les métiers sont représentés sur les réseaux sociaux et cela particulièrement sur Twitter. La bourse et Twitter suivent tous deux un phénomène d’instantanéité. Ainsi, se sont développé des structures qui font le monitoring de Twitter afin de vendre ou racheter des actions en fonction de ce qui parait sur Twitter.

Le rôle des fraudeurs dans la manipulation financière :

Le phénomène de pump-and-dump provoque également de fortes fluctuations sur les marchés financiers à l’aide de la manipulation de l’information à travers Twitter. Cette pratique qui existe depuis des décennies a explosé avec l’apparition des réseaux sociaux. Elle consiste à gonfler artificiellement le prix de l’action d’une entreprise avec de fausses informations. Une fois que le prix est assez haut, les fraudeurs vendent leurs parts et le cours de l’action chute. L’anonymité des réseaux sociaux et la facilité à créer[ML1]  de faux comptes rendent cette pratique largement accessible.

En novembre, Elon Musk avait rendu les certifications sur Twitter payantes pour un montant de 8$ par mois sans vérification des données. Un usurpateur a pu alors se faire passer pour le premier fabricant d’insuline au monde, Eli Lilly, sur Twitter, et annoncer sa gratuité, provoquant l’effondrement des actions de la firme.

Sans cette modification de certification, cette usurpation n’aurait pas eu autant d’influence car le faux compte n’aurait pas été certifié et donc moins crédible. Grâce à cette nouvelle règle de Twitter, les usurpateurs ont pu se faire passer pour Eli Lilly de façon crédible. La rumeur a donc pris des proportions gigantesques et l’entreprise a perdu 16 milliards de dollars en une journée.

Malgré le démenti publié par l’entreprise, l’action en bourse n’est jamais remontée à l’équilibre. « C’est inédit » dit Nicolas Vanderbiest, dans un scénario de fluctuation des marchés provenant d’informations de Twitter. Il explique que ce tweet a notamment eu pour effet de remettre le sujet d’une législation sur le prix de l’insuline sur la table. Cela explique que le cours de l’action ne soit pas remonté à l’équilibre.

La dernière question épineuse pour Twitter concerne les élections politiques. La plateforme est soumise à des opérations de désinformation par des bots pour influencer les résultats des élections politiques, comme on a pu le voir lors des élections américaines de 2016 (voir notre article sur l’astroturfing). L’enjeu de la certification selon Nicolas Vanderbiest est donc celui de la vérification d’identité : « il faut différencier les vrais utilisateurs des bots ».

L’erreur d’Elon Musk dans cette décision, c’est de ne pas avoir fait valider l’identité pour obtenir la certification à 8$. Si le compte advenait à utiliser un autre nom alors cela aurait dû faire perdre la certification. « Bien qu’Elon Musk ait parfaitement compris les enjeux de Twitter ainsi que ces forces, il n’a rien appris des erreurs d’il y a quelques années sur le processus de validation de l’identité » dit-il. Pour autant, ces erreurs et leurs conséquences ne sont pas de nature à modifier l’appréhension de la plateforme, notamment parce qu’aucune autre plateforme d’échange de ce type (comme Mastodon) n’est à la hauteur aujourd’hui. 

Le mot de l’expert :

« Twitter est un réseau social qui est toujours tourné vers l’avant. La question n’est pas de s’inquiéter de l’image de la réalité montrée par Twitter mais de comprendre comment la plateforme produit son influence. » – Nicolas Vanderbiest

Nicolas Vanderbiest est directeur des opérations chez Saper Vedere, agence spécialisée dans l’audit d’audience et les stratégies d’influences.  

Le coordinateur de crise

It’s a bird ? It’s a plane ? No, its… le coordinateur de crise !

Multitâche, il briefe les nouveaux arrivants de la cellule de crise, s’assure de la tenue des points fixes et vérifie la bonne coordination de l’équipe de gestion de crise. Surtout il a avalé le plan de crise et s’assure de la mise en œuvre de la méthode.

Trop méconnu et pourtant absolument nécessaire, le coordinateur est la véritable tour de contrôle de la cellule de crise. En un mot, c’est à lui qu’incombe le bon fonctionnement de la cellule. Son maître mot ? Efficacité et pragmatisme. En l’espèce, il est l’huile qui fait que les engrenages tournent sans encombre.

En première ligne, c’est lui qui arme la cellule de crise. Ses missions s’organisent ensuite en trois volets :

  1. L’application des méthodes : il accueille les nouveaux entrants en cellule de crise, s’assure que les procédures sont bien suivies, rappelle les rôles de chacun, analyse et recoupe l’information initiale ;
  2. La gestion du temps : il organise les délais de réalisation des documents à émettre, tient des points fixes et prévoit la gestion de crise dans le temps (prévoir les rélais par exemple)
  3. La gestion de l’information : il veille au bon alignement de l’information entre les cellules, les sous cellules, les pays, le site et le HQ. Ensuite il s’assure du rebouclage des informations, leur origine, leur véracité

Enfin, dans l’éventualité où le Directeur de crise doit s’absenter, il assure le fonctionnement de la cellule et en particulier le suivi des travaux d’anticipation.

Prévoir un coordinateur de cellule de crise, c’est s’assurer que la cellule de crise avance correctement, dans les temps, et que chacun reste dans le rôle qui lui a été assigné. Autrement dit, c’est se donner les chances de répondre au mieux à une crise et s’en essorer les équipes.

SERGE LOPOUKHINE, EXPERT EN INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE EN QUATRE QUESTIONS

  • Comment êtes-vous arrivé à faire de l’intelligence économique ?

J’en ai pris totalement conscience en 1997 alors que j’avais décidé de partir travailler à Londres pour une startup qui s’appelait Wordlsport.com. Cette société était la première à gérer des droits sportifs liés à internet pour les fédérations internationales de sport en partenariat avec la GAISF. A cette époque, les technologies de streaming étaient en pleine expansion, et nous avions mis en place une politique de veille extrêmement proactive pour détecter toutes les technologies dans le monde qui pouvaient assoir notre position dominante de l’époque. Une fois repérée, nous prenions très rapidement la décision de rentrer en contact avec les propriétaires de ces nouvelles solutions pour négocier avec eux soit un partenariat exclusif soit à un rachat. Ces réunions étaient préparées avec une grande minutie et une connaissance parfaite de nos futurs interlocuteurs et de leur environnement personnel et professionnel. C’était une époque très stimulante rythmée par des voyages à travers le monde, en particulier aux Etats-Unis, en Israël et à Hong-Kong. 

Cette démarche d’intelligence économique est restée le fil rouge de mon parcours professionnel depuis. 

  • Pourquoi pensez-vous que qu’il est important que les entreprises s’arment d’une démarche d’IE ?

C’est une question très importante, on pourrait en parler pendant des heures. Cela permet à l’ensemble des acteurs de l’entreprise de prendre conscience de ses forces, de ses faiblesses, de son environnement et des opportunités. Adopter une approche d’Intelligence Économique dans une entreprise, c’est coordonner des actions de recherche, de traitement et de distribution de l’information utile, en vue de son exploitation pour prendre des décisions stratégiques appuyées par des solutions opérationnelles. 

En interne, cette réflexion permet de prendre conscience des éléments différenciant de son entreprise, de ses forces, de ce qui la constitue et donc comment les préserver. En externe, cette réflexion permet de prendre conscience de son environnement professionnel et son évolution afin de détecter des opportunités et minimiser les risques. 

Cette démarche est malheureusement peu appliquée en France en dehors de certains secteurs exposés. Nous souffrons d’un manque de culture, voire de naïveté en comparaison avec des pays comme les Etats-Unis, Israël, la Russie, la Chine, le Japon, etc. qui maitrisent parfaitement toutes les techniques et qui n’hésitent pas à être offensif (on est plus dans le cadre de l’IE, mais de l’espionnage) en ayant même dans certain cas le soutien des services de renseignement de leurs États. Mais là encore, une démarche d’Intelligence Économique permettrait à nos entreprises de diminuer leur vulnérabilité vis-à-vis de la concurrence étrangère. 

  • Et dans le cadre plus particulier d’une gestion de crise ? Quels risques l’IE permet de prévenir ?

En fait, vous le faites déjà dans votre métier de gestion et de communication de crise. Lorsque vous identifiez et analysez les risques que génère la situation de crise pour votre client, lorsque vous déterminez l’ensemble des scénarios qu’il pourrait subir et que vous anticipez une réponse ou une solution pour l’éviter ou minimiser son impact, ou encore lorsque vous établissez une cartographie des parties prenantes pour faciliter le dialogue pendant la crise.  Toutes ces actions qu’au sein de EH&A vous maitrisez parfaitement font partie d’une démarche d’intelligence économique. 

Ce que je peux apporter en plus aux clients d’EH&A, en fonction des situations et des besoins, c’est tout d’abord d’aller plus loin techniquement dans nos recherches d’informations OSINT (ouvertes et base de données), DEEP (totalité des pages indexées des moteurs de recherche, les sites internet non indexés, les réseaux sociaux etc.) et DARK WEB grâce à des technologies et /ou des experts informatiques de réseau. Plus encore, quand cela est nécessaire, de mener des investigations de terrain, humaine (HUMINT). 

Ensuite, concernant l’aspect sureté de l’intelligence économique, en crise à froid, je peux conseiller ou accompagner nos clients dans leurs besoins d’audit de sûreté pour anticiper une crise, former ou sensibiliser leurs collaborateurs à ces sujets, sécuriser leurs échanges ou leurs réunions (OSE). 

En crise à chaud, je peux conseiller ou accompagner nos clients dans leur protection lors de leurs déplacement et réunion, dans la recherche de preuves sur des support numériques si des investigations forensic sont nécessaires (PC, smartphone, serveur, PABX etc.), et également en cybersécurité, en faisant intervenir l’ensemble des experts dans la plus grande discrétion. 

  • Vous avez donc un rôle de chef d’orchestre ?

C’est exactement ça. Chaque client étant différent, travaillant dans des secteurs différents, composé d’hommes et femmes différents, il faut pouvoir adapter sa réponse à leurs besoins qui seront forcément différents.  Et, même si la méthodologie de recherche d’information est aujourd’hui bien établie, les sources d’information évoluant sans cesse, qu’elles soient électroniques ou humaines, je ne peux jamais garantir à l’avance le succès d’une investigation. Donc, avant d’accepter une demande, je prends le temps de vérifier ma capacité à obtenir une information, par quel moyen, dans quel délai et à quel prix. Pour ce faire il faut toujours avoir plusieurs solutions, plusieurs sources que vous allez pouvoir solliciter et coordonner afin de répondre à la demande du client. Tel un chef d’orchestre.

E&HA
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