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Twitter et les marchés financiers, plus de 10 ans d’influence

Date 15 décembre 2022
Type Articles

Twitter est toujours une source d’instabilité des marchés financiers

Ce n’est une nouveauté pour personne, les réseaux sociaux constituent pour beaucoup une source d’information qui vient s’ajouter aux sources traditionnelles. Facebook, Twitter, Instagram, LinkedIn, Whatsapp, TikTok, Reddit sont tous devenus des sources d’information. Si ces derniers peuvent être l’origine d’un bad buzz, ils représentent aussi des plateformes d’interaction pouvant provoquer une étincelle. Les « Printemps arabes » ont d’abord été un phénomène en ligne, où le désir de changement politique a enflé jusqu’à provoquer des manifestations croissantes et le renversement du pouvoir IRL (In Real Life). Plus récemment, les manifestations en Iran et la guerre en Ukraine bénéficient d’une véritable mise en scène sur les réseaux sociaux et en ligne.

L’influence des réseaux sociaux s’étend bien entendu au secteur financier, depuis 2011 le petit oiseau bleu est incrusté sur les terminaux Bloomberg. Un simple tweet peut faire fluctuer les marchés financiers de façon potentiellement irréversible. De nombreuses entreprises ont malheureusement été victimes du phénomène. Nous vous proposons de faire un point sur le sujet.

L’influence des personnalités publiques : 

Les personnalités publiques ont un grand pouvoir d’influence au sein de leur communauté. Barack Obama, par exemple, est suivi par 130 millions de followers, Elon Musk 107 millions et Donald Trump a gagné 86,4 millions de followers en moins de 24 heures après la réactivation de son compte. Cette influence peut donc aussi toucher les marchés financiers.

La marque JP Morgan a créé un indicateur spécifique pour mesure l’impact des tweets de Donald Trump sur les marchés financiers nommé « Volfefe » en référence au tweet énigmatique de l’ancien président, « covfefe ». Donald Trump a d’ailleurs été à l’origine de multiples variations des cours de bourse.

L’une de ses victimes : Lockheed Martin, industriel de l’armement, a souffert d’une chute de 5% de leur action après un tweet de Donald Trump.

Autre exemple Kylie Jenner a partagé un message sur Twitter concernant Snapchat. La valeur du réseau social a perdu 1,3 milliard de dollars de capitalisation boursière. L’influence a ensuite rappelé son amour pour Snapchat et l’action de l’entreprise est remontée.

L’actuel patron de Twitter lui-même, Elon Musk, est devenu un professionnel de la variation des marchés financiers en raison de ces tweets provocateurs. C’est l’exemple de Etsy qui a ouvert 18% plus haut qu’au moment de la fermeture de Wall Street à cause d’un tweet d’Elon Musk.

En 2021, Elon Musk incitait ses followers à utiliser l’application de messagerie Signal. En quelques minutes le cours de son action avait pris 1000%. Seul problème : la société concernée par la hausse était en réalité Signal Advance, une entreprise du Texas qui a vu sa valeur multipliée par 12 subitement.

Elon Musk a aussi fait du yoyo avec son entreprise automobile, Tesla. En mai 2020, il écrit un tweet où il trouve que le cours de l’action Tesla est trop élevé. L’action plonge de 10,3% à Wall Street et des milliards de capitalisation partent en fumée. Depuis cet évènement, Elon Musk a l’obligation de faire approuver ses tweets par les avocats de son entreprise avant de les publier car ce coup de théâtre a valu à l’entreprise une enquête de la Securities and Exchange Commission (SEC).

Nicolas Vanderbiest, Directeur des opérations chez Saper Vedere, agence spécialisée dans l’audit d’audience et les stratégies d’influence, explique que tous les métiers sont représentés sur les réseaux sociaux et cela particulièrement sur Twitter. La bourse et Twitter suivent tous deux un phénomène d’instantanéité. Ainsi, se sont développé des structures qui font le monitoring de Twitter afin de vendre ou racheter des actions en fonction de ce qui parait sur Twitter.

Le rôle des fraudeurs dans la manipulation financière :

Le phénomène de pump-and-dump provoque également de fortes fluctuations sur les marchés financiers à l’aide de la manipulation de l’information à travers Twitter. Cette pratique qui existe depuis des décennies a explosé avec l’apparition des réseaux sociaux. Elle consiste à gonfler artificiellement le prix de l’action d’une entreprise avec de fausses informations. Une fois que le prix est assez haut, les fraudeurs vendent leurs parts et le cours de l’action chute. L’anonymité des réseaux sociaux et la facilité à créer[ML1]  de faux comptes rendent cette pratique largement accessible.

En novembre, Elon Musk avait rendu les certifications sur Twitter payantes pour un montant de 8$ par mois sans vérification des données. Un usurpateur a pu alors se faire passer pour le premier fabricant d’insuline au monde, Eli Lilly, sur Twitter, et annoncer sa gratuité, provoquant l’effondrement des actions de la firme.

Sans cette modification de certification, cette usurpation n’aurait pas eu autant d’influence car le faux compte n’aurait pas été certifié et donc moins crédible. Grâce à cette nouvelle règle de Twitter, les usurpateurs ont pu se faire passer pour Eli Lilly de façon crédible. La rumeur a donc pris des proportions gigantesques et l’entreprise a perdu 16 milliards de dollars en une journée.

Malgré le démenti publié par l’entreprise, l’action en bourse n’est jamais remontée à l’équilibre. « C’est inédit » dit Nicolas Vanderbiest, dans un scénario de fluctuation des marchés provenant d’informations de Twitter. Il explique que ce tweet a notamment eu pour effet de remettre le sujet d’une législation sur le prix de l’insuline sur la table. Cela explique que le cours de l’action ne soit pas remonté à l’équilibre.

La dernière question épineuse pour Twitter concerne les élections politiques. La plateforme est soumise à des opérations de désinformation par des bots pour influencer les résultats des élections politiques, comme on a pu le voir lors des élections américaines de 2016 (voir notre article sur l’astroturfing). L’enjeu de la certification selon Nicolas Vanderbiest est donc celui de la vérification d’identité : « il faut différencier les vrais utilisateurs des bots ».

L’erreur d’Elon Musk dans cette décision, c’est de ne pas avoir fait valider l’identité pour obtenir la certification à 8$. Si le compte advenait à utiliser un autre nom alors cela aurait dû faire perdre la certification. « Bien qu’Elon Musk ait parfaitement compris les enjeux de Twitter ainsi que ces forces, il n’a rien appris des erreurs d’il y a quelques années sur le processus de validation de l’identité » dit-il. Pour autant, ces erreurs et leurs conséquences ne sont pas de nature à modifier l’appréhension de la plateforme, notamment parce qu’aucune autre plateforme d’échange de ce type (comme Mastodon) n’est à la hauteur aujourd’hui. 

Le mot de l’expert :

« Twitter est un réseau social qui est toujours tourné vers l’avant. La question n’est pas de s’inquiéter de l’image de la réalité montrée par Twitter mais de comprendre comment la plateforme produit son influence. » – Nicolas Vanderbiest

Nicolas Vanderbiest est directeur des opérations chez Saper Vedere, agence spécialisée dans l’audit d’audience et les stratégies d’influences.