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Corruption, du risque à l’opportunité

Le 1er février dernier, EH&A tenait une conférence sur la corruption et la nouvelle législation en la matière. Mise en contexte et retour sur les « bonnes pratiques » que les débats ont fait émerger.

La corruption est endémique : selon Transparency International, 6 milliards de personnes vivent dans un pays avec d’importants problèmes de corruption. Mais surtout, elle coûte cher : en 2013, Total est condamné à payer 398 millions de dollars d’amendes au Department of Justice (DOJ) américain [1]. Une belle somme mais ce n’est rien comparé aux 772 millions de dollars qu’Alstom devra s’acquitter en 2014 (l’équivalent du PIB d’une petite île du Pacifique) [2].

Source : Transparency International

Prises sous les feux croisés de la « dictature de la transparence » et d’une législation renforcée, les entreprises n’ont plus le choix : elles se doivent de mettre en place des outils de lutte contre la corruption.

Les entreprises soumises à la « dictature de la transparence »

Les statistiques sont sans appel : 75% des affaires de corruption ont pour origine une dénonciation. Les lanceurs d’alertes sont désormais les figures de la « dictature de la transparence » dans des sociétés où la revendication d’un droit à la connaissance est devenue une question politique fondamentale [3].

Si la figure du lanceur d’alerte n’est pas nouvelle (en 1939, déjà, Alfred Einstein adressait une lettre au président Roosevelt pour l’alerter sur les risques nucléaires), ils se sont récemment multipliés : qui n’a pas en tête les « affaires » Chelsea Manning et Edward Snowden ? La première fut condamnée en 2013 à trente-cinq ans de prison pour avoir transmis à WikiLeaks des documents militaires classifiés [4] ; le second a fui en Russie après avoir rendu public l’existence de programmes américains de surveillance de masse.

Edward Snowden [6]

Chelsea Manning [5]

Mais les Etats ne sont pas les seuls à faire les frais de lanceurs d’alertes ; les entreprises ne sont pas à l’abris. Une étude menée par le cabinet d’avocats Freshfields Bruckhaus Deringer auprès de 2 500 cadres révèle que 47% d’entre eux ont été concernés par un lancement d’alerte – soit comme whistleblower eux-mêmes, soit comme destinataires d’une alerte ou comme témoin d’un tel processus. Ainsi, en 2008, Hervé Falciani, ancien informaticien de la HSBC, transmet les noms de près de 9 000 évadés fiscaux à la justice française. De même, en 2009, Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, est à l’origine du scandale du Mediator.

En 2016, c’est Veolia qui tombe sous le coup d’une enquête pour faits de corruption après qu’une plainte ait été déposée par un salarié. Celui-ci affirme que des rencontres auraient été organisées entre la direction du groupe France et des cadres de sa filiale roumaine Apa Nova, soupçonnés d’avoir versé 12 millions d’euros de pots-de-vin entre 2008 et 2015.

Les entreprises ne sont pas seulement sous le coup de cette « dictature de la transparence ». Les Etats renforcent progressivement leur législation anti-corruption.

Du FCPA à la loi Sapin II, des entreprises condamnées à payer l’équivalent du PIB d’un petit pays

Gare aux Etats-Unis ! Depuis 1977 et l’adoption du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), la justice américaine peut poursuivre toute entreprise soupçonnée de corruption dès lors que celle-ci à un lien, même mineur, avec les Etats-Unis. Et elle ne s’en prive pas. Rien qu’en 2017, 27 entreprises ont été poursuivies par le DOJ américain. Depuis 1977, les entreprises poursuivies par la justice américaine ont été condamnées à payer des amendes d’un montant total de 11 milliards de dollars [7].

Total des sanctions par années – FCPA [8]

En France, depuis novembre 2016, c’est la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II, qui renforce la législation anti-corruption. Les entreprises concernées (environ 1 500 groupes de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros) devront mettre en œuvre une série de mesures, dont la mise en place d’un code de conduite et un dispositif d’alerte, pour prévenir et détecter des faits de corruption.

Prises en étau entre une opinion publique remontée et une législation renforcée, les entreprises ne peuvent plus espérer passer au travers des mailles du filet. Certes, être accusé de corruption porte fatalement un coup à l’entreprise. En 2014, Alstom est ainsi rachetée par General Electric dans la foulée de sa condamnation par le DOJ.

Les entreprises peuvent néanmoins surmonter un tel épisode en mettant en œuvre les moyens appropriés.

Pris la main dans le sac ? Pas de panique !

Tout d’abord, l’entreprise se doit de gérer la crise efficacement. Le maitre mot : « assumer ses responsabilités », surtout si le facteur intentionnel est démontré. Les messages diffusés aux parties prenantes doivent témoigner d’une attitude responsable et transparente pour protéger la réputation de l’entreprise.

L’entreprise doit surtout être proactive. Sans s’afficher comme coupable, elle a tout intérêt à déclencher immédiatement une enquête interne. Lorsque les résultats sont connus, il est important que les coupables – le cas échant – soient fermement et publiquement sanctionnés. L’entreprise a l’obligation de communiquer à chacune de ses étapes ; faire preuve de pédagogie – tant en interne qu’en externe – est essentiel.

Enfin, en sortie de crise, il est important que l’entreprise prenne le temps de tirer les leçons de la crise passée et de renforcer ses procédures – tant en matière de gestion de crise que de lutte contre la corruption.

La corruption doit devenir un avantage compétitif

Le renforcement des mesures anti-corruption doit cesser d’être considéré comme un fardeau. En s’alignant sur les standards européennes et internationaux, la loi Sapin II favorisera le renforcement de la confiance entre les citoyens, les institutions, les entreprises et les salariés. Elle permettra également de dissiper la mauvaise image des entreprises à l’étranger – la France a récemment été rétrogradée à la 31e place du classement « Doing Business » de la Banque mondiale.

En synthèse, loin des idées reçues et comme l’affirme Florence Schlegel [9]« plus on est clean, plus on est riche ».

[1] L’entreprise aurait versé des pots-de-vin à des intermédiaires afin de décrocher des contrats pétroliers et gaziers en Iran.

[2] Pour des faits de corruption en Indonésie, en Égypte, en Arabie saoudite, à Taïwan et aux Bahamas entre 2002 à 2011.

[3] Frederick Lemarchand, « Vers une dictature de la transparence : secret et démocratie », Éthique publique [En ligne], vol. 16, n° 1, 2014.

[4] Elle sera finalement libérée en mai 2017.

[5] Chelsea Manning, Instagram, 18 mai 2017.

[6] Roch Arène, « Edward Snowden lance une application de surveillance », CNET [en ligne], 26 décembre 2017.

[7] Stanford Law School, « Foreign Corrupt Practices Act Clearinghouse » [en ligne].

[8] Ibid.

[9] Avant de rejoindre Day One comme associée, Florence Schlegel a participé pendant plus de vingt ans à améliorer la mise en place de la conformité au sein des entreprises.

Nestlé, Sidi Ali, Danone et Afriquia … Quand les réseaux sociaux mettent à mal la réputation des grandes marques

Bad buzz pour Nestlé, boycott pour Danone… En avril, la Toile s’agite au Maroc ! Récemment, les réseaux sociaux ont donné du fil à retordre aux grandes marques. Ce mois-ci, l’Oeil de l’expert se consacre à l’analyse des nouveaux enjeux et des nouveaux défis que soulèvent Internet et les réseaux sociaux en communication de crise.

Bad buzz et boycott, les internautes marocains tapent du poing !

Au début du mois d’avril, Nestlé Maroc lance une émission de télé-réalité. Inspirée de l’émission française « Qui veut épouser mon fils ? » diffusée sur TF1, l’émission met en scène cinq jeunes femmes célibataires, rassemblées dans une villa, qui se livrent une concurrence féroce, pour s’attirer les grâces de leur future belle-mère et avoir le privilège de s’unir avec le bachelor marocain. Loin d’être révolutionnaire, cette émission est en fait une opération séduction de la part de la marque, qui met en en valeur ses produits à travers les défis réalisés par les jeunes femmes. Les téléspectateurs ont découvert effarés la première épreuve, qui est de confectionner un dessert à base de lait concentré Nestlé. La belle-mère dominatrice, le fils docile et la femme marocaine aux fourneaux à la recherche désespérée d’un mari… un concentré de clichés, totalement à l’encontre des mouvements actuels en faveur de l’émancipation des femmes, qui évidemment ne manquent pas de soulever l’opinion publique sur les réseaux sociaux.

    Commentaire sur Twitter @Le360

L’émission va faire l’objet de vives critiques pour ses clichés sexistes et mysogines. Le concept est jugé « sexiste » et « dégradant » pour la femme marocaine et à peine quatre jours après la diffusion du premier épisode, la pression des réseaux sociaux pousse Nestlé à mettre un terme à l’émission. A travers un communiqué de presse publié sur Facebook, Nestlé Maroc choisit la stratégie du rétropédalage et fait son mea culpa aux internautes pour cette « maladresse ».

Extrait du communiqué officiel de Nestle Maroc

Au même moment, toujours sur les réseaux sociaux, les consommateurs mécontents s’organisent contre les marques des groupes HolmarcomAkwa et Centrale Danone et lancent un appel à boycott suite à une récente augmentation des prix de leurs produits de grande consommation. Cet évènement s’inscrit dans un climat local très sensible à la hausse des prix et va faire de certaines marques notamment Danone, Afriquia ou Sidi Ali, les boucs émissaires des consommateurs qui dénoncent le coût important de la vie et le monopole des grandes entreprises qui ont la mainmise sur les prix au Maroc.

Appel au boycott sur les réseaux sociaux

Une dizaine de pages Facebook, suivies par des centaines de milliers de personnes, ont massivement relayé le message et les internautes à coups de « likes », de commentaires et de partages appellent au boycott. Ce mouvement prend une telle ampleur que les personnalités politiques prennent la parole. Le ministre de l’Economie et des Finances  Mohamed Boussaid appelle à défendre les entreprises marocaines et blâme au Parlement les « écervelés » à l’origine du boycott. Le ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural, des eaux et forêts, – Aziz Akhannouch – déclare quant à lui que « les produits marocains continuent d’évoluer et la réalité sur le terrain ne sera pas stoppée par le web ».

Mohamed Boussaid                   Aziz Akhannouch  

Ces réactions apparaissent aussi maladroites qu’inappropriées face à une situation qualifiée de mystérieuses et peu cohérente par la presse locale. Certains médias évoquent plusieurs pistes : action menée en sous-main par le Parti de la Justice et du Développement (d’idéologie islamiste) ou encore un “règlement de compte politique » qui ciblerait M. Akhannouch, qui n’est autre que l’actionnaire majoritaire d’Akwa.

Quelques jours plus tard, le directeur « achat et amont laitier » de Central Danone, Adil Benkirane déclare « Saboter les produits marocains, qui proviennent du monde rural marocain, est une trahison à la nation », propos excessifs pour lesquels la marque Danone s’excusera par la suite. Par ailleurs, la marque affirme ne pas avoir augmenté le prix du lait et subir les conséquences d’une campagne de désinformation.

Quoi qu’il en soit, il est devenu très difficile de démêler le vrai du faux sur les réseaux sociaux qui sont devenus le terreau fertile de la propagation de rumeurs et de fake news. Ce phénomène est symptomatique du nouveau contexte dans lequel les entreprises doivent désormais évoluer et des nouveaux défis qu’elles doivent relever.

Un nouveau paradigme, de nouveaux défis pour les entreprises

Le nouveau paradigme est caractérisé par un double phénomène : une crise de confiance généralisée et un accroissement du poids des réseaux sociaux dans l’exercice de la démocratie.

Des études récentes (baromètre de la confiance – Vague 9 – Science Po) montrent que l’opinion publique a de moins en moins confiance dans les entreprises et les institutions et ce notamment à cause des nombreux scandales économiques et politiques. Ce phénomène instaure peu à peu une dictature de la transparence. Les entreprises ne peuvent plus agir cachées du regard des consommateurs et doivent répondre de leurs actions devant le tribunal de l’opinion, dont les débats prennent de plus en plus racine sur les réseaux sociaux.

Dans son livre La démocratie Internet, Dominique Cardon explique qu’Internet et les réseaux sociaux permettent l’élargissement de l’espace public dans le sens où, les réseaux sociaux deviennent le lieu d’expression des paroles « profanes ». Ainsi, les médias sociaux accroissent la pression sur les entreprises : demande accrue de transparence, journalisme citoyen, globalisation de la communication, complexité du digital ou encore instantanéité des publications… Autant de difficultés qui peuvent être compliquées à gérer pour les entreprises.

Ce nouveau paradigme ne laisse d’autre choix aux entreprises que d’adapter leurs stratégies de communication. Les consommateurs ne sont plus les simples réceptacles de l’information produite par les entreprises. Bien au contraire, ils vont s’organiser pour mettre en place des actions ce qui peut avoir un impact réel sur la réputation d’une entreprise et de ses activités.

À retenir

  • Internet et les réseaux sociaux constituent un élargissement de l’espace public. Cependant, ils sont aussi le terreau fertile de fake news et de rumeurs.
  • Lors d’un bad buzz, le rétropédalage et le mea culpa peuvent être une bonne stratégie pour désamorcer une situation crisogène.
  • Le nouveau paradigme est marqué par : une crise de confiance généralisée et un accroissement du poids des réseaux sociaux dans l’exercice de la démocratie.
  • Les entreprises sont aujourd’hui soumises à la dictature de la transparence.
  • Les consommateurs sont désormais devenus des consomm’acteurs.

Des trolls au service de l’Etat

Au cœur de l’Asie, dans la péninsule indienne, une véritable guerre de la désinformation est menée. Dans ce pays, composé à 50% d’individus de moins de 25 ans, la maîtrise des réseaux sociaux est indispensable pour communiquer avec la population, mais aussi l’influencer. Le premier ministre indien, Narenda Modi, l’a bien compris.

A l’occasion de la sortie de l’ouvrage I am a troll. Inside the Secret World of the BJP’s Digital Army écrit par la journaliste Swati Chaturvedi fin 2016, le voile se lève sur la stratégie numérique violente de Narenda Modi.

Narenda Modi à la tête d’une armée numérique déterminée, organisée et performante

Lors de son élection en 2014, l’homme politique avait derrière lui une véritable armée de militants dévoués, organisés et compétents. Guidés par quelques grands soutiens du Premier ministre, des dizaines de milliers d’abonnés répandent la parole du nationaliste indien et n’hésitent pas à injurier, harceler ou dénigrer tous ses opposants.

(source photo : Véronique Dorey )

Les trolls sont bien organisés, et sont couverts par l’anonymat. Sur Twitter, pas de photo de leur visage, mais des images représentants diverses divinités indoues ou bien de belles mannequins blondes. Leur stratégie d’attraction ne s’arrête pas là, même leurs pseudos révèlent leur attachement à la culture indienne traditionnelle. Le Premier ministre a quant à lui a plus d’une vingtaine de millions d’abonnés sur Twitter, et est lui-même abonné à des comptes faisant l’apologie de la violence, du sexisme, proférant des menaces de mort ou des insultes envers toutes les minorités de la société indienne.

Loin de répondre aux accusations des citoyens agressés, numériquement ou même physiquement, par les trolls du Premier ministre indien, celui garde le silence… et tous ses abonnements Twitter. En juillet 2015, il a même invité dans sa résidence 150 de ses lieutenants numériques, ses Yodhas afin de les féliciter de leur loyauté.

Le parti utilise ainsi FacebookTwitter et même WhatsApp pour diffuser de la désinformation en faveur du Premier ministre. Des hit lists sont distribuées aux membres du parti nationalistes. Ils doivent alors attaquer des journalistes, des personnalités, des minorités ou des opposants politiques, c’est-à-dire n’importe quelle personne susceptible de s’opposer à Narenda Modi. La prise de conscience de l’importance de la maîtrise des réseaux pour le contrôle de la population est apparue tôt chez les dirigeants du parti nationaliste indien, et les élections de 2014 sont la preuve de leur très bonne maîtrise de l’outil numérique.

Ce qu’il faut retenir

  • L’utilisation massive des réseaux sociaux dans un objectif politique n’est pas une première, mais la stratégie du Premier ministre indien est particulièrement bien rodée.
  • Les fake news, le Cyberbullying et les trolls ne sont que des outils supplémentaires et adapté au monde contemporain pour prôner une idéologie, s’imposer sur un marché ou dans un Etat, et viser des minorités déjà fragiles.
  • L’utilisation de stratégie de trolling par des dirigeants étatiques risquent de légitimer l’usage des fake news. Cela remet en cause l’avenir de la lutte contre la désinformation à l’ère numérique, et nous pousse à nous demander comment juger la diffusion de fake news à un autre niveau qu’international dans un espace numérique sans frontières ?

Sources

BUISSOU Julien, « Narenda Modi, maître des trolls », Le monde, 22/08/2017.

Réseaux sociaux et cours de bourse : du Bad Buzz au dévissage

Les réseaux sociaux sont devenus une composante incontournable de la gestion de crise des entreprises. Aujourd’hui l’œil de l’expert s’attarde sur la porosité entre les commentaires sur les réseaux sociaux et l’actualité de la cotation boursière d’une entreprise.

L’actualité financière de ces derniers mois a été marquée par plusieurs évènements montrant la relation parfois surprenante, parfois évidente, entre les réseaux sociaux et le cours de bourse des entreprises. De façon générale, les entreprises et d’autant plus les groupes cotés, ont maintenant majoritairement conscience de la nécessité d’intégrer les réseaux sociaux à leur dispositif de gestion de crise. Jusqu’à présent, on pouvait légitimement les cantonner au risque de Bad Buzz dont les conséquences sont aussi brutales qu’éphémères (toujours difficiles à quantifier économiquement parlant). Les derniers mois nous ont cependant montré que les effets d’une crise sur les réseaux sociaux pouvaient coûter des milliards de cotisation boursière.

S’il est difficile d’affirmer encore aujourd’hui que ce qu’il se dit d’un groupe sur les réseaux sociaux peut jouer sur sa cotation, les exemples déroulés ci-dessous montrent tout de même une corrélation. Effrayant n’est-ce pas, lorsque l’on connait l’irrationalité de ces moyens de communication et les impacts des multiples Fake news qui ont couté des millions de dollars (comme l’annonce de la mort de Bashar Al-Assad par un faux compte Twitter du ministre Russe de l’Intérieur qui avait provoqué une hausse de 1$ du baril de pétrole[1]…).

Plus intéressant, on voit que ces impacts peuvent surgir de différentes origines :

  • D’une communication mal maitrisée d’un groupe ou de l’un de ses dirigeants (comme nous le verrons avec Elon Musk pour Tesla) ;
  • D’une publication d’une personnalité influente (comme Donald Trump et plus surprenant comme des influenceurs planétaires loin d’être reconnus pour leurs analyses financières) ;
  • Et plus rarement d’un simple post d’un incognito.

Ces patrons superstars qui utilisent les réseaux sociaux comme bon leur semble

Difficile d’y avoir échappé, Elon Musk est le dernier exemple en date des effets destructeurs que peut avoir une publication sur twitter. Comme tout groupe dirigé par une personnalité centrale, les risques d’une communication mal maitrisée sont importants. Elon Musk ne répond sûrement pas aux mêmes codes policés des grands dirigeants du CAC 40, et ses diatribes non-contrôlées font parties de sa personnalité. Elon Musk souhaitant gérer sa communication comme bon lui semble, il avait publié un tweet le 7 août 2018 annonçant qu’il pourrait retirer Tesla de la cote, soit tout bonnement quitter la bourse. Cette sortie n’a pas été du goût de la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme boursier américain. Le PDG a trouvé un accord avec la SEC, le condamnant en tant que personne physique, à 20 millions de dollars d’amende.

Le jour même de ce tweet, l’action de Tesla dévissait et perdait près de 9%[2].  Le communiqué de la SEC a renforcé un peu plus la chute de l’action. Depuis le 7 août, le titre du groupe a reculé de 26%[3].

Les conséquences directes, pour Elon Musk sont multiples puisqu’il doit abandonner sa place de président du conseil d’administration du groupe. L’accord prévoyait dans le même temps, « un contrôle renforcé de (sa) communication »[4].  Le patron superstar n’en est pas resté là puisqu’il a de nouveau utilisé son compte Twitter, le 4 octobre, pour attaquer la SEC, renommée « Shortseller Enrichment Commission » ou « la Commission d’enrichissement des vendeurs à découvert » en Français. Le PDG s’en prenait alors aux « shortsellers » qui depuis plusieurs mois parient sur un effondrement du cours de Tesla.

Pourtant la SEC a expliqué qu’Elon Musk devait rester une figure centrale de Tesla. Une illustration même du poids relatif d’une communication financière classique et institutionnelle face à une publication de quelques caractères de son patron.

C’est ici aussi un nouvel exemple d’une tendance récurrente ces dernières années du risque des entreprises liant leur destin à leur fondateur ou à la figure trop centrale de leur président. Les récentes polémiques entourant Facebook (Cambridge Analytica, piratage de 50 millions de comptes) ont par exemple mis en grande difficulté son PDG Mark Zuckerberg. L’action du géant des réseaux sociaux avait chuté, le 26 juillet, de 19% effaçant le chiffre écrasant de 119 milliards de dollars de capitalisation[5]et son passage – plus qu’hésitant – devant les sénateurs risque de lui coller à la peau pendant encore quelques années. Plusieurs analystes financiers, comme Ross Gerber avaient d’ailleurs vu dans ces chiffres la preuve que « le vent tournait pour les réseaux sociaux ». Relativisons tout de même l’effet de ces chutes puisqu’à l’image des conséquences éphémères d’un Bad buzz, le cours de bourse de Facebook avait retrouvé fin juillet un niveau plus élevé qu’au pic du scandale de Cambridge Analytica.

Ces personnalités fortes ont pu longtemps surfer sur la liberté d’expression qu’offrent les réseaux sociaux pour sortir des schémas de communication financière classiques comme le communiqué de presse. Mais l’instabilité des marchés sur ces derniers mois prouvent la nécessité d’établir des règles d’utilisation des réseaux sociaux, de la base de l’organisation jusqu’aux principaux dirigeants. L’une des solutions pourrait être de rééquilibrer le poids d’une prise de parole entre un PDG très en vue et son entreprise. Tout un défi.

Il est d’ailleurs intéressant de voir le gendarme boursier américain intégrer dans ses recommandations et son accord avec Elon Musk un contrôle renforcé de l’usage de ses réseaux sociaux.

En France, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a d’ailleurs mené une consultation publique, en 2016, sur l’utilisation des médias sociaux par les sociétés de gestion de portefeuille (SGP), les émetteurs de titres de créances (ETC) et les distributeurs de produits financiers[6]. Si aucun cadre réglementaire n’a encore été créé pour les médias sociaux, l’autorité a rappelé que « les règles encadrant la communication sur les médias traditionnels s’appliquaient également à la communication sur les médias sociaux », ajoutant les bonnes pratiques et recommandations suivantes :

  • Attirer l’attention de ces sociétés sur « le fait que leur responsabilité ou celle de leurs employés peut être engagée par les informations qu’ils publient (par un tweet ou un retweet) » ; D’où l’importance de délivrer un guide de bonnes pratiques à ses employés en les sensibilisant à l’utilisation des réseaux sociaux.
  • Comme la SEC l’a rappelé à Elon Musk, l’AMF a voulu souligner que « certaines pratiques commerciales peuvent être assimilées en France à des pratiques trompeuses donc être sanctionnées » ; C’est bien la crainte de déstabilisation des marchés via une communication directe d’une entreprise ou d’un dirigeant sur les réseaux sociaux qui explique cette recommandation. Comme le révélait Visibrain dans son étude sur les crises en 2016, 98% des crises sur les réseaux sociaux étaient provoquées par une erreur de l’entreprise[7].
  • Inciter ces acteurs « à se doter de règles d’organisation interne en matière de communication sur les médias sociaux » en proposant la séparation des comptes personnels et des comptes professionnels.
  • Archiver des messages publiés sur ces médias afin de traiter d’éventuelles réclamations.

L’AMF a d’ailleurs rappelé certaines de ces « dispositions applicables aux situations de spéculation baissière » le 4 septembre 2018 (ce sont ces mêmes positions qui ont été critiquées dans le dernier tweet d’Elon Musk)[8]. Est-ce que les réseaux sociaux, au premier rang desquels Twitter, vont devenir un outil de marque pour ces « shorts-sellers » pariant sur la baisse d’une cotation ?

Ils doivent en tout cas faire l’objet d’une attention particulière pour permettre en cas de situation difficile une réaction rapide du groupe ciblé. Pierre Auberger, directeur de la communication du groupe Bouygues en parlait dans une interview sur Le Blog du Communicant[9]. Interrogé sur le phénomène de Fake News et la fausse annonce du décès de Martin Bouygues en février 2015, il déclarait au sujet des réseaux sociaux : « Nous avons tiré les enseignements de cette mésaventure et nous sommes encore plus vigilants sur ce qui se dit de nous sur les réseaux sociaux. Nous disposons d’outils de veille permanente et sommes prêts à réagir immédiatement, en particulier lorsque la bourse de Paris est ouverte ».Une nouvelle fois, c’est l’anticipation qui permet aux entreprises d’avoir une meilleure réponse à la crise. Il convient alors de mettre en place des dispositifs de veille au même titre qu’un dispositif de remontée d’alerte afin de répondre de la manière la plus adéquate dans un délai court et avec une forte puissance médiatique.

Si les communications de ces patrons superstars peuvent conduire à des pertes de plusieurs milliards de dollars, elles peuvent aussi rapporter. En 2012, le PDG de NetFlix, Reed Hastings avait annoncé via un message Facebook des information financières sur son entreprise, l’action Netflix avait alors bondi de 17% en quelques jours. Dans la foulée la SEC (toujours elle) accusait Reed Hasting d’avoir influencé le cours de bourse. C’est plus d’un an après que le gendarme boursier américain autorisait les sociétés cotées à utiliser les réseaux sociaux pour diffuser des informations à caractère financier, et uniquement si elles donnaient préalablement aux investisseurs les URLS des pages pour trouver ces annonces et ainsi éviter la propagation des fausses annonces via de faux sites internet comme a pu le vivre Vinci en septembre 2016[10]. Cette décision de la SEC avait été la première régulation de l’utilisation des réseaux sociaux par un gendarme boursier.

Les autorités financières des différentes places boursières du monde ont conscience du risque de déstabilisation des marchés financiers à la suite d’une communication mal maitrisée sur les réseaux sociaux. Difficile de croire cependant, lorsque l’on connait le capharnaüm que peut être twitter, que ces textes et codes de bonnes conduites soient suffisants pour contenir l’effet domino d’un Tweet voire d’autres publications d’acteurs externes sur le cours de bourse.

Ces influenceurs qui peuvent couter des millions

L’activité d’un groupe sur les réseaux sociaux est donc suivie de près par les investisseurs sur les marchés. Nous avons vu ci-dessus que les patrons superstars pouvaient en moins de 280 caractères faire perdre des milliards de cotisation en quelques minutes, s’exposant cependant aux sanctions des autorités qui ne devraient pas hésiter à faire de certains un exemple dans l’avenir (comme les autorités américaines avaient su le faire en condamnant la BNP Paribas à près de 6,4 milliards d’euros pour avoir commercé avec des pays soumis à un embargo économique de la part des États-Unis)

Ces déstabilisations boursières peuvent aussi venir de certains influenceurs qui n’ont pas le début d’un lien ou d’une compétence dans le secteur financier.

L’exemple le plus parlant est celui de SnapChat. En Février 2018, une star de la téléréalité Kylie Jenner, sœur de Kim Kardashian, publiait le tweet suivant à ses 24,5 millions d’abonnés : « Est-ce que quelqu’un d’autre ouvre Snapchat ? Ou c’est juste moi… Euh, c’est tellement triste ».  En quelques jours, et malgré un autre tweet où la star expliquait « je t’aime toujours snap… mon premier amour », Snap Inc perdait 1,3 milliard de dollars[11]de capitalisation boursière. Une nouvelle fois ce chiffre, bien qu’impressionnant doit être atténué, le PDG du groupe Evan Spiegel a gagné plus de 637,8 millions de dollars cette même année 2017. Pas d’inquiétude, Snap Inc se porte toujours aussi bien.

À hauteur différente, l’utilisation belliqueuse de Twitter par Donald Trump a, à plusieurs reprises, eu des impacts sur des cours de bourses. Ainsi lorsqu’il s’en est pris à Amazon, le groupe a perdu 5,7 milliards de dollars de sa valeur boursière, scénario identique pour Toyota (-3,1%) ou encore Lockheed Martin qui avait perdu 3,19% de sa valeur boursière

En 2012 Twitter avait lancé le symbole cashtag « $ » censé regrouper tous les tweets liés aux données financières des entreprises cotées[12]. L’instantanéité du réseau social ne pouvait qu’être un outil utile aux acteurs des marchés financiers qu’ils soient investisseurs, clients, partenaires ou collaborateurs. Plusieurs acteurs et publications ont voulu démontrer aux dirigeants la nécessité de mettre en place de réelles politiques et des stratégies sur les réseaux sociaux afin de permettre à leur groupe de répondre adéquatement et rapidement à une activité « inhabituelle ».

Le livre devenu un classique du genre, « The 4 billion dollar tweet », écrit par Ryan Holmes, le fondateur d’un outil de gestion des réseaux sociaux Hootsuite en est un exemple. Le titre du livre reprend l’exemple de Lockheed Martin qui n’avait pas répondu à une énième diatribe de Donald Trump au sujet du coût du programme d’achat d’avions de chasse F-35. Dans les heures qui suivirent, l’action en bourse du fournisseur plongeait de 4 milliards de dollars.

Ces inconnus qui, avec un seul tweet ou post, font perdre des milliards aux entreprises

L’influence des réseaux sociaux sur la bourse est dans une forme plus rare la conséquence d’une publication d’utilisateurs qui sont des anonymes.

L’irrationalité sous-jacente aux réseaux sociaux s’exprime ici parfaitement. Dans les mois précédents, nous avons assisté à des crises déclenchées par des évènements qui au demeurant ne paraissaient pas d’une gravité « réelle ». En novembre 2017, l’action de Chipotle Mexican Grill[13], chaîne spécialisée dans les burritos avait perdu 5,9% après la publication par un acteur – pas forcément en vogue – d’une vidéo sur Instagram où Il affirmait avoir frôlé la mort suite à un repas dans la chaine. Si les exemples ne sont pas encore nombreux, l’implication dans des évènements politiques et sociétaux d’anonymes via les réseaux sociaux (l’exemple de Wael Ghonim en Égypte qui a créé la page « Nous sommes tous Khaled Saïd » devenant un acteur majeur de la révolution en 2011[14]) doit sensibiliser sur la possibilité de voir des publications d’anonymes provoquer des remous sur les marchés financiers.

La réputation des groupes et des dirigeants sur Twitter toujours importante

La parole d’un président compte toujours plus que les communications dites classiques d’un groupe. L’étude « le langage des dirigeants du CAC 40 » de Synomia l’avait montré en 2016, en citant les bons élèves comme Stéphane Richard d’Orange qui avait proposé une discussion via twitter et un hashtag #AskRichard[15]. Si cette parole est positive, elle peut aussi avoir des conséquences majeures sur le cours de bourse d’un groupe d’où l’évidence (et l’urgence) de mettre en place de réelles stratégies pour les entreprises cotées sur Twitter, à travers des guidelines ou par un fort accompagnement des dirigeants dans l’utilisation des réseaux sociaux. D’abord dans l’optique de se défendre et éviter des silences qui peuvent conduire à la perte de milliards de dollars (cf. Lockheed Martin), mais aussi pour redéployer une stratégie qui peut être un levier économique, comme nous l’avons vu avec l’exemple de Netflix.

Pour ne pas céder à l’alarmisme, il est nécessaire de souligner que les plus grandes variations impliquant une publication « random » sur les réseaux sociaux semblent toucher majoritairement des valeurs technologiques directement liées aux plateformes sociales (Facebook, Twitter, SnapChat) et des groupes proposants du B2C (comme la chaine de restauration Chipotle) et ont un impact relatif.

Plusieurs enquêtes menées à travers le monde ont voulu démontrer que les réseaux sociaux influençaient les valeurs boursières plus loin que la seule prise de parole du dirigeant. En France, Éric Galiègue, président de Valqant expliquait dans une interview pour Le Revenuque « le sentiment digital » autour des entreprises « sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche sur internet pouvait compléter une analyse financière et permettre l’anticipation des évolutions de cours ».  Des chercheurs de la BI Norwegian Business School avaient eux aussi expliqué que l’augmentation des valeurs boursières et la publication de tweets de followers, positifs ou négatifs étaient liées. En revanche les professionnels restent tout de même sceptiques sur le manque de précision, la quantité et la rapidité des informations contenues sur les réseaux sociaux qui constituent pour la majorité d’entre eux « un frein à l’adoption de ces médias comme outil d’analyse ». Comme toujours, il est difficile de tirer des certitudes des réseaux sociaux.

[1]https://www.huffingtonpost.fr/2012/08/06/syrie-bachar-el-assad-mort-faux-compte-twitter-petrole_n_1747936.html

[2]https://money.cnn.com/2018/09/27/technology/elon-musk-sec/index.html?iid=EL

[3]https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/0302358820994-elon-musk-se-moque-du-gendarme-de-wall-street-sur-twitter-2211236.php

[4]Press release SEC, 26/ https://www.sec.gov/news/press-release/2018-226

[5]https://www.20minutes.fr/high-tech/2313943-20180726-facebook-effondre-bourse-debut-fin

[6]Communiqué de presse, AMF, 26/05/2016, https://bit.ly/2OgECIG

[7]https://www.visibrain.com/fr/data/visibrain-livre-blanc-badbuzz-2016.pdf

[8]Communiqué de presse, AMF, 04/09/2018, L’Autorité des marchés financiers rappelle certaines dispositions applicables aux situations de spéculation baissière, https://bit.ly/2C7d2Xn

[9]http://www.leblogducommunicant2-0.com/2017/10/04/dircom-du-mois-pierre-auberger-bouygues-un-communicant-non-digitalise-sera-vite-un-communicant-uberise/?cn-reloaded=1

[10]https://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2016/11/23/comment-le-groupe-vinci-victime-d-un-hoax-a-chute-en-bourse_5036269_1656968.html

[11]https://www.lerevenu.com/bourse/coulisses/snapchat-douloureux-tweet-et-salaire-astronomique-du-pdg

[12]https://www.cafedelabourse.com/archive/article/bourse-reseaux-sociaux

[13]https://www.lerevenu.com/bourse/bourse-tous-ces-tweets-qui-ont-affole-les-marches-financiers

[14]https://www.lemonde.fr/international/article/2012/10/19/wael-ghonim-heraut-facebook-de-la-revolution-egyptienne_1778301_3210.html

[15]https://www.synomia.fr/fr/blog-synomia/38-top-news/329-w-synomia-patrons-cac40

Retour sur : le boycott de 2018 au Maroc #laisse_le_cailler

Au mois de mai 2018 nous analysions déjà, à chaud, le boycott d’avril au Maroc. 

Aujourd’hui, nous vous proposons un retour global sur ce phénomène : que s’est-il passé sur les réseaux sociaux au Maroc et quel impact cela a-t-il eu sur les entreprises visées ? Qu’est-ce que cela nous dit de la crise numérique ?

En résumé 

Au Maroc, le 20 avril 2018, était lancé l’appel au boycott des produits de trois marques : Sidi Ali(une marque des eaux minérales d’Oulmès appartenant au groupe Holmarcom) ; Centrale Danone(Danone au Maroc) ; et enfin les carburants de l’entreprise Afriquia

Dénonçant la cherté de la vie au Maroc et répandant la rumeur qu’une hausse des prix était en cours sur ces produits, le boycott prit une telle ampleur qu’il mobilisa 42% de la population marocaine[1]et entraîna une déstabilisation politique au sein même du gouvernement.  

Brusque et fort, le boycott a eu un impact majeur sur les entreprises visées et la consommation de leurs produits. Pourquoi ? Comment ?

Crise, paracrise et sur-crise

Contexte

Alors que le Maroc connaît une croissance économique significative, les marocains sont dans une situation socio-économique difficile et les manifestations du Rif en 2016-2017 ont entraîné une forte répression du régime monarchique. Revendications de mieux-être social face à l’échec des programmes de développement économique, c’est dans ce contexte de tensions que le boycott s’est produit. Avec 10,2% de chômage, le pouvoir d’achat est une question sensible dans le pays et les produits y sont faiblement valorisés. C’est pourquoi lorsque la rumeur de la hausse des prix se répand, elle fait tout de suite mouche. 

Les signaux faibles

Quelques heures avant le week-end, plusieurs pages Facebook diffusent à quelques minutes d’intervalle un appel au boycott avec la même image. Le 21 avril, le boycott atteint la plateforme Twitter. Les hashtags suivants se répandent : مقاطعون# (boycotteur) ; #laisse_le_cailler ;  سنطرال دان(Centrale Danone). 

La paracrise et la crise 

Cependant le boycott ne prend pas d’ampleur et l’activité sur les réseaux sociaux reste relativement calme jusqu’au déclenchement de la paracrise : le 24 avril, Ministre des finances Mohamed Boussaid traite d’« écervelés » ceux qui le pratiqueraient. Dans la foulée, le lendemain, au salon international de l’agriculture du Maroc, le directeur des achats de la Centrale Danone, Adil Benkirane les qualifie également de « traîtres à la nation ». Le même jour, le Ministre de l’agriculture Aziz Akhannouch (et actionnaire majoritaire d’Afriquia) déclare que « cela n’est pas un jeu »

Entre infantilisation et mépris des boycotteurs alors que le mouvement est relativement calme, c’est à partir de ce moment que la crise prend de l’ampleur et donne de la voix aux appels au boycott. Le déclenchement de la paracrise entraîne celui de la crise du boycott qui n’en n’était pas encore une.  

Sur-crise

Alors que les rumeurs se propagent sur la montée des prix et que des personnalités (chanteurs, politiques, présidents d’association, etc.) expriment leur soutien au boycott (ou non), Centrale Danone ne donne pas signe de vie après sa déclaration polémique. Il faudra attendre une semaine, le 2 mai, pour une communication via trois canaux différents : 

  • Le mea culpa vidéo de son directeur des achats sur la déclaration polémique ;
  • Un communiqué de l’entreprise se désolidarisant de ces propos ; 
  • Une vidéo du Vice-président et porte-parole officiel Abdeljalil Likaimi.

Communication dissonante et bouc-émissaire, le mea culpa raté de Centrale Danone nie la situation, n’adresse pas la question du boycott, déporte la faute sur son directeur des achats et en rajoute : « C’est ce que pensent personnellement certains directeurs de l’entreprise »affirme le vice-président au sujet de la déclaration polémique. 

Cela génère une sur-crise et relance l’activité Twitter autour du boycott. 

Conséquences politiques

Après les déclarations polémiques des ministres, il faut attendre le 18 mai pour constater les premières actions et voire se dessiner une première prise en compte du boycott : le Gouvernement prend la décision de créer une commission de revue des prix. 

La question sécuritaire et terroriste est alors la priorité du gouvernement et le déni de la crise est indéniable pendant les premières semaines. 

Le boycott crée une certaine forme d’instabilité gouvernementale : 

  • Le ministre des finances, Mohamed Boussaïd se voit retirer son poste après sa déclaration polémique et un mea culpa tardif (plus d’un mois après celle-ci) ;
  • Lahcen Daoudi, ministre des affaires générales et de la gouvernance pose sa démission après avoir participé à un sit-in anti boycott. Celle-ci ne sera jamais acceptée ni confirmée par le gouvernement ;
  • Le ministre de l’agriculture et principal actionnaire d’Afriquia est décrié mais maintenu. 

Conséquences économiques et réactions 

Dès fin mai 2018, Centrale Danoneannonce une baisse d’environ 20% de son chiffre d’affaire pour le premier semestre 2018 avec une perte nette de plus de 13,5 millions d’euros par rapport à la même période en 2017. 

Centrale Danone annonce d’ailleurs : 

  • Qu’elle se sépare de 886 intérimaires ;
  • Qu’elle va baisser de 30% son approvisionnement de lait par les producteurs locaux ; 
  • Qu’elle gèle les programmes de restructuration et de soutien aux petits producteurs. 

Il faut attendre le 26 juin et la visite surprise d’Emmanuel Faber, le PDG de Danone pour que les choses se calment et que Centrale Danone commence à se relever du boycott. Emmanuel Faber déclare en effet respecter les boycotteurs et multiplie les vidéos de sa visite, qu’il place sous le signe de la rencontre avec les consommateurs. 

Le 29 juin, il lance une consultation citoyenne à travers tout le Maroc sur le thème suivant : « qu’est-ce qu’un juste prix ? ». 

Alors qu’Afriquia ne communique pas et ne subit aucune conséquence économique, Sidi Ali (Les eaux d’Oulmès) publie un communiqué factuel et juridique et malgré sa stratégie commerciale pour reconquérir les consommateurs, annonce un recul de 17,8% de ses ventes au premier semestre 2018.

Qu’est-ce que cela nous dit de la crise numérique ?

Une crise numérique, comme l’indique Nicolas Vanderbiest, commence et se passe sur Internet. Ici, les signaux faiblessont lancés sur les réseaux sociaux et ce sont des événements non digitaux qui déclenchent la para crise et la crise. Cette crise communicationnelle a fait resurgir des tensions sociaux-économiques mais a aussi eu des conséquences économiques majeures qui ont forcé Centrale Danone à réagir et à faire venir le PDG du groupe pour redresser la situation. 

Considérant ce cas, comme celui de Vinci et du faux communiqué de presse qui a fait chuter le cours de bourse de l’entreprise de 18% et d’autres, nier le numérique revient aujourd’hui à un suicide en règle quand on sait que la génération des Millennials est une génération qui vit sur Internet et sur les applications des réseaux sociaux. 

La crise numérique, comme toute crise est imprévisible et en perpétuelle évolution. Si nous sommes aujourd’hui capables d’analyser les réseaux sociaux sur leur façade publique, les normes de confidentialité sont de plus en plus présentes notamment sur Facebook et ferment le champ de l’analyse de ce qui s’y passe. 

La diffusion des messageries instantanées comme WhatsApp et Messenger dans le monde sont un facteur d’autant plus important dans ces crises que nous sommes, bien entendu, incapables de voir ce qu’il s’y passe. 

Les évolutions technologiques et numériques de demain induiront probablement de nouvelles variables qu’il nous faudra également considérer. 

A quoi se raccrocher alors aujourd’hui ?

  • Prendre en compte le numérique dans la stratégie globale de communication de l’entreprise ; 
  • Prendre conscience de ses impacts potentiels et faire ses scénarios d’évolution défavorable pour éviter de rester dans le déni ;
  • Empathie ;
  • Réaction rapide ; 
  • Faîtes ce que vous dîtes et soyez honnêtes.

[1]Le 22 mai, un sondage pour le quotidien marocain l’Economiste, estime que « 42% de la population marocaine applique ce boycott, principalement les jeunes, les femmes et la classe moyenne », Libération.

Retour sur le « hijab » de Decathlon

Le 21 février 2019, le blog Al Kanz, spécialisé en économie islamique et actualités autour des musulmans, publie un article sur son site web, félicitant l’enseigne Decathlon pour la sortie sur son site français d’un “hijab de running”, couvre-chef à destination des femmes musulmanes désirant faire du sport. Les jours suivants, une polémique éclate et touche rapidement la sphère politique. La crise devient incontrôlable jusqu’au retrait par l’enseigne du produit.

Retour sur une gestion de crise aux origines multiples et conséquences incertaines.

Aux origines de la crise

Le « Hijab de running »

Le groupe Decathlon, détenu par la famille Mulliez (notamment propriétaire de Auchan, Leroy Merlin et Kiabi), est en 2018 la seconde enseigne préférée des Français, (d’après COC&C), Decathlon jouit d’une belle image due autant à ses prix attractifs qu’à la diversité de ses produits. L’enseigne, présente dans 39 pays, se lance en début d’année dans la commercialisation d’un nouveau produit au Maroc : le hijab de course[1]. Ce produit, victime de son succès, est bientôt en rupture de stocks.

L’intérêt pour le voile de course n’est pas récent dans les pays Occidentaux. Le marché sportif aux Pays-Bas est un des premiers à vendre une gamme d’articles pour femmes musulmanes en 2001. Le hijab de running acquiert une visibilité internationale en fin d’année 2018, lorsque Nike lance sa campagne publicitaire au Superbowl[2]. Le 21 février 2019, Decathlon lance son produit en France. Les réactions ne tardent pas. Après des commentaires isolés dont la gravité est limitée, un article de la Dépêche du Midi[3] publié le 24 février met le feu aux poudres en plagiant l’article du blog Al-Kanz. Une crise exceptionnelle par son ampleur démarre alors depuis les réseaux sociaux.

Le hijab de Decathlon, dans la catégorie Bons Plans du site web.

Une crise née des réseaux sociaux

La crise du hijab de Decathlon n’est pas exceptionnelle dans sa forme ; elle se replace parmi les crises digitales du XXIème siècle sur des questions identitaires comme celle de Quick et de ses restaurants halal en 2010. Pourtant, cette crise se propage très rapidement sur les réseaux sociaux. Tissant sa toile autour de Twitter, ce nouveau produit devient un sujet polémique. En 2017, Sophie Licari – consultante en communication stratégique – proposait un nouveau classement des sujets critiques du digital : en tête, les discriminations ethniques ou nationales, qui dépassent encore de loin les autres types de discriminations.

Sujets critiques en France, fin 2017 – S. Licari.

Quelques éléments sont à noter dans la montée en puissance de cette crise :

  • Au niveau macroscopique, c’est un sujet d’actualité, en rapport avec une identité religieuse, qui est tout d’abord récupéré en politique. Les médias s’en emparent par la suite et étendent le phénomène ;
  • Au niveau microscopique, une étude des commentaires des réseaux sociaux permet de constater que ceux-ci sont tout d’abord hétérogènes. Certains apprécient, d’autres dénoncent l’action de Decathlon. Au fur et à mesure, via un nombre de plus en plus important de commentaires négatifs, le discours s’uniformise : les supporters se taisent ou se convertissent en détracteurs face à l’agressivité présente. Il ne reste enfin qu’un mouvement dévastateur, produisant plus de 510 000 tweets en 4 jours.

Les principaux détracteurs et initiateurs des violences sont des acteurs politiques, utilisant la vente de ces accessoires à des fins de récupération politique.

Une hyperpolitisation crisogène

Dans la crise du hijab de running, un phénomène de para-crise apparaît rapidement. Les politiques s’emparent du sujet pour parler de la laïcité, du terrorisme et enfin du droit des femmes, à quelques jours de l’International Women’s Day. Decathlon est surpris de cette reprise politique de l’affaire. En effet, après les premières publications pré-crise des mouvements identitaires et d’extrême droite, le parti Les Républicains réagit le 24 février avec un tweet de Lydia Guirous, Porte-Parole du parti :

Le phénomène observé est sans appel : les médias traditionnels font se succéder des responsables de partis politiques, des députés La République en Marche et enfin des membres du gouvernement comme la Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, sur RTL[4]. L’hyperpolitisation de la vie quotidienne, multiplie les facteurs crisogènes et ajoute une dimension supplémentaire à la cartographie des risques potentiels d’une campagne marketing comme celle-ci

Une communication de crise qui manque de cohérence

Lors de cette crise, trois phases correspondant aux revirements de l’enseigne Decathlon se dégagent :

  • La première réponse de Decathlon à la polémique opère par la voix de Xavier Rivoire (Directeur de la communication du groupe), le lundi 25 février au matin, qui explique au Figaro, que le hijab de la marque Kalenji n’était pas censé être proposé à la vente en France pour le moment. Il plaide l’erreur pour sa mise en vente sur le site de la marque. Néanmoins, dans l’après-midi, l’enseigne décide « de mettre à disposition cet accessoire de running dans les magasins qui le demanderont » en France, avant la fin du mois de mars. Il est précisé que la décision a été prise à la suite de « plusieurs échanges qui ont eu lieu au sein de Decathlon ». Cette contradiction entre Xavier Rivoire et la décision finale de l’enseigne traduit un manque de constance dans la communication de Decathlon. A noter qu’à ce moment, l’intensité de la crise est telle que le revirement de position passe inaperçu dans l’opinion.
  • Decathlon France décide alors de rester sur ses positions, ouvrant le moment paroxystique de la crise. La pression sur l’enseigne est forte, notamment sur les réseaux sociaux où les réactions se multiplient, ainsi que les prises de contact avec les Community Managers.
  • Le fait marquant de cette phase est le rôle de Yann, Community Manager de Decathlon sur Twitter, qui répond à un grand nombre de messages. En communication de crise, cette démarche est risquée, car elle peut conduire à personnaliser excessivement la crise, donner l’impression d’un tâtonnement dans les positions, et brouiller le message de la marque si un socle minimal d’éléments de langage n’est pas respecté. Incarner la réponse peut aussi avoir un effet positif. En l’espèce, Yann a bien su adapter ses réponses. La personnalisation, ainsi que l’empathie, sont deux éléments essentiels d’une communication de crise. L’effet “brouillage” de la voix de la marque a été amorti par un story telling fondé sur l’accessibilité de sport à tous, conformément aux valeurs de la marque. Par ailleurs, Yann a adopté la posture du public qui ne comprend pas où est l’élément polémique, ce qui explique peut-être pourquoi son action a été saluée et la marque semble bien résister au bad buzz pour le moment :

Néanmoins, le nombre de sollicitations, et parfois d’agressions, oblige Decathlon à réagir sur les réseaux sociaux. Ce message, publié à 16h22 le 26 février, reprend la ligne de défense établie par la marque :

  • A peine 4 heures plus tard, ce qui témoigne de la rapidité d’évolution de la situation, Decathlon annonce “suspend[re] son projet de commercialisation de son hijab” :

Communiqué spécial de Decathlon publié sur Facebook.

Le verbe “suspendre” est ambigu. Le maintien de la décision, puis ce nouveau revirement, montre que la direction de Decathlon est dépassée par la situation. En tout état de cause, le recul de Decathlon ruine son argumentaire fondé sur l’accessibilité du sport à tous, et met en porte-à-faux ses communicants. Pour autant, la sortie de crise de la marque n’est pas un échec total. La suspension est justifiée par la volonté de protéger les salariés, mettant ainsi à contribution la réputation “responsable” de l’entreprise. Enfin, Decathlon gère plutôt bien la post-crise : l’enseigne tente de laisser une bonne impression en montrant qu’elle en a tiré les leçons.

Les leçons d’une crise numérique

Le premier enseignement de la crise concerne le choix du bon timing. Comme le rappelle Xavier Rivoire dans la Voix du Nord, « Suspend[re] ne signifie pas renonc[er] même si nous devons avouer notre maladresse dans l’annonce du produit dans le timing actuel en France ». Le choix de Decathlon de mettre en vente son couvre-chef en France alors que le climat social est délétère et que l’opinion est déjà très divisée s’avère risqué, mais ici on a vu qu’il intervient en début de polémique et sans être l’objet d’une réflexion stratégique. On a ici un enseignement qui renvoie à la définition même de la crise : le moment clé de décision, qu’il faut savoir identifier. Une veille constante de son environnement permet à une organisation de ne pas rester dans son « entre-soi » et de comprendre le contexte dans lequel elle évolue. Commercialisé au moment des Jeux Olympiques, ce produit n’aurait peut-être pas eu le même retentissement.

Le second enseignement est celui de la dénomination de l’article vendu par Decathlon. Aurait-il été possible de préserver l’enseigne d’une crise de cette nature en adoptant une appellation différente que « hijab de running » ?

Le troisième enseignement renvoie au danger de la personnalisation excessive d’une crise. Répondre massivement comme l’a fait Decathlon peut être une stratégie, à condition que chaque message personnalisé reprenne des éléments de langages préalablement définis.

Un dernier enseignement vient synthétiser les trois autres : celui de la nécessité d’une stratégie globale efficace. Il s’agit d’éviter, notamment, les changements discursifs réguliers qui font perdre en crédibilité et qui brouillent les messages. Cette stratégie doit prévoir des messages empathiques, qui prennent en compte l’impact émotionnel ; elle doit également reprendre les antécédents éventuels et en tirer les leçons. Enfin, si la crise se propage sur un réseau social, il est primordial pour une organisation de ne pas l’étendre via une communication sur d’autres réseaux.


[1] https://www.al-kanz.org/2019/02/21/hijab-decathlon/

[2] https://www.youtube.com/watch?v=T1Qyg8l-l8U

[3] https://www.ladepeche.fr/2019/02/24/avec-son-hijab-pour-sportives-decathlon-se-lance-sur-le-marche-de-la-mode-islamique,8034694.php

[4] https://www.rtl.fr/actu/politique/decathlon-agnes-buzyn-deplore-sur-rtl-la-commercialisation-de-hijabs-7797053137

Comment réagir face au bad buzz ? Les recommandations EH&A

Le bad buzz du voisin : le concurrent en crise

Profiter des malheurs de son voisin n’est jamais bienvenu, la tolérance sociétale est faible pour ce genre de pratique. La seule posture admissible est la bienveillance. De plus, la crise du voisin aura un impact sur l’ensemble du secteur d’activité. Ainsi, les autorités et le public seront plus prompts à se méfier du secteur de la pétrochimie dans son ensemble, sans se souvenir distinctement que cette méfiance a été occasionnée par le cas Shell.

La réponse à la crise : ni juridique, ni marketing

Si la réponse trop juridique doit être à bannir, il faut également se méfier des initiatives marketing isolées qui peuvent avoir des conséquences désastreuses.

Repenser ses cibles de communication

Toutes les prises de positions clivantes vont forcément être contestées par l’un des deux camps : les novateurs ou les réactionnaires, vous ne pourrez convaincre tout le monde. S’il est impossible de communiquer vers ces opposants dogmatiques, réinventez vos interlocuteurs ! N’oubliez pas les parties prenantes silencieuses et faites de cette masse silencieuse un allié.

Aligner la communication … mais savoir s’adapter

Il faut prendre en compte les dimensions culturelles, au risque sinon de vexer tout un peuple et de perdre sa social licence to operate.

Transparence

Le décalage entre les pratiques réelles et le discours que l’on tente de mettre en place sur soi-même est extrêmement crisogène. Il est intéressant de réfléchir, dans tous les secteurs, à une pédagogie de son métier. A défaut le public se sent trahi quand il se rend compte qu’il habite à côté d’un site Seveso, ou que le pot de yaourt en verre n’est pas cuisiné par une jolie fermière.

Apprendre de ses erreurs, et de celles des autres

Apprendre des crises des autres et développer une culture du RETEX, pour capitaliser sur l’expérience commune.

En temps de paix

Se préparer, faire des exercices.

Les erreurs à éviter

  • Le déni « ce n’est pas grave »
  • Le bouc-émissaire « ce n’est pas moi, c’est »
  • La globalisation « il n’y a pas que moi »
  • Abonné absent « no comment »
  • Acceptation « oui, mais »
  • Victimisation « je ne savais pas, ce n’est pas ma faute »
  • La réponse légale « j’avais le droit de faire cela »
  • Le manque d’empathie « arrogance, mépris »
  • Minimisation « ça aurait pu être pire »

Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’étude des crises numériques par Nicolas Vanderbiest de Saper Vedere via ce lien: file:///C:/Users/toura/Downloads/Etude%20des%20crises%20num%C3%A9riques%202019.pdf

Fake-News : une lutte qui s’organise – Albin VERNHES

« Fake-news » est une appellation devenue très familière : pas une journée sans qu’on les nomme, d’autant plus dans cette période de crise des gilets jaunes. La diffusion de fausses informations est un problème qui affecte tous les pans de la société. En 2017, il a été élu « mot de l’année » par le dictionnaire Collins. La propagation de ces fausses informations semble aujourd’hui inarrêtable et incontrôlable. Pourtant la société commence à développer des outils et une prise de conscience face à ce problème.

Un combat loin d’être gagné mais qui n’est pas pour autant perdu.

Revenir à l’essentiel : qu’est-ce qu’une fake-news ?

Le terme « fake-news » existe depuis les années 1990 aux Etats-Unis, mais c’est en 2017, après l’élection de Donald Trump et la campagne du BREXIT que le mot gagne vraiment en visibilité. En France, le journal officiel recommande l’utilisation du néologisme « infox » et nous donne même une définition[1]. Infox peut être utilisé « Lorsqu’il s’agit de désigner une information mensongère ou délibérément biaisée, répandue par exemple pour favoriser un parti politique au détriment d’un autre, pour entacher la réputation d’une personnalité ou d’une entreprise, ou encore pour contredire une vérité scientifique établie ».

La fake-news peut aujourd’hui prendre plusieurs formes qui lui donnent toujours plus de crédibilité. Si le moyen le plus utilisé est l’écriture, le photomontage est un outil qui est aussi très présent car l’image est beaucoup plus marquante que les mots.

Sauf que depuis quelques années, le montage vidéo permet aussi la création de fake-news. Le format vidéo parait beaucoup plus crédible aux yeux du public et peut toucher beaucoup de plus de monde quand on sait que 62% des résultats de recherches Google incluent une vidéo[2].

De nouvelles IA permettent de faire dire des choses aux personnalités publiques qu’ils n’ont jamais dites en réalité. Source : https://youtu.be/AmUC4m6w1wo

Ces fake-news sont généralement produites par des « trolls » (personnes qui initient volontairement des polémiques sur un forum de discussion, un blog ou un réseau social dans le seul but de provoquer) qui ont un intérêt à voir cette information se propager. Elles peuvent être ensuite reprises par une armée de « trolls » ou de faux comptes afin qu’elles touchent ensuite des vraies personnes dans le but de les influencer. Ainsi, Facebook et Twitter avaient reconnu leur incapacité à endiguer la menace durant l’élection américaine de 2016. 126 millions de personnes avait été affectées sur Facebook par des fausses informations sur la campagne américaine.[3]

Les réseaux sociaux, relais des fake-news

L’influence des réseaux sociaux est une aubaine pour la propagation des fake-news. Pour bien comprendre l’impact que peut avoir une fake-news, il est important de rappeler celui des réseaux sociaux. En 2018, les réseaux sociaux comptaient 3,48 milliards d’utilisateurs.  En France, le nombre d’utilisateurs est de 38 millions (pour une population de 67 millions)[4]. Même si cette croissance est toujours forte à l’échelle mondiale, cette tendance ralentit en Occident : en France, le nombre d’utilisateurs stagne.

Au sein de la population française, ce sont les jeunes qui utilisent le plus massivement les réseaux sociaux : 93% pour les 18-24 ans et en particulier ceux ayant un diplôme (32% pour ceux n’ayant pas de diplôme contre 61% ayant un diplôme du supérieur).

Facebook, Twitter et Youtube sont les principaux canaux de diffusion des fake-news, et ceux pour plusieurs raisons :

  • Facebook, a l’avantage du nombre d’abonnés (2,32 milliards d’utilisateurs) et la possibilité d’être dans des groupes où elles pourront être diffusées et être plus visibles ;
  • Twitter très politisé, permet aux infox de toucher un public qui se sent impliqué dans ces questions ;
  • YouTube, grâce au format vidéo, dispose d’un meilleur taux de pénétration.

Les infox sont loin d’être sans conséquence. Nous avons déjà cité l’influence qu’elles ont pu avoir lors des votes de la présidentielle américaine et du BREXIT. Mais il y a aussi l’exemple du développement de la méfiance des vaccins depuis quelques années : en 2019, un rapport de la Royal Society of Public Health du Royaume-Uni montrait que les réseaux sociaux étaient notamment une des causes principales de la méfiance envers les vaccins[5]. Beaucoup d’études infondées et de témoignages douteux circulent sur les réseaux sociaux au point que des épidémies de rougeole sont en train de ressurgir un peu partout dans le monde occidental.

Aussi, les médias indépendants sont de plus en plus mis en avant, au détriment des médias traditionnels, qui accusent une grave baisse de confiance. Cependant, ces nouveaux médias ne sont pas sans risques : souvent complotistes ou très orientés politiquement, ils entretiennent ou accentuent les fake-news.

Ce sont à la suite de ces affaires mais aussi de plusieurs centaines d’autres qu’une prise de conscience du problème est apparue et qu’une volonté de contrôle à commencer à être revendiqué. La protection totale de la liberté d’expression est un argument qui fonctionne de moins en moins au profit de celui de la vérité.

Une prise de conscience à tous les niveaux

C’est notamment en Europe de l’ouest que cette prise de conscience est la plus avancée. Cette idée de la nécessité de combattre les fake-news sur les réseaux sociaux vient aujourd’hui de trois milieux différents. Le monde journalistique a été le premier à combattre les fake-news puisque l’information est à la fois son outil de travail et son domaine de vente. Cela fait donc plusieurs années que des services de « fact-checking » ont émergé au sein des médias. Ils reprennent les fake-news les plus relayées et les décryptent afin de remettre la véracité au cœur de l’information. Mais c’est vraiment depuis quatre ans que les projets de « fact-checking » ont explosé. Meta-media[6] montre qu’en 2018 il y avait dans le monde 149 projets de ce type contre 44 en 2014. Le blog montre par ailleurs que les projets sont majoritairement européens, mieux financés et mieux organisés. Ils sont donc un bon moyen de parer aux fake-news. Cependant, leur utilité, leur force même, est aussi leur plus grande faiblesse : mettre en avant une fake-news, c’est aider à sa propagation. En effet, parler de ces infox dans les médias, que ce soit pour les démentir ou non, les rendent plus visibles et renforcent même leur crédibilité aux yeux de certains. Par exemple, les thèses complotistes se sont renforcées quand les médias ont démenti les rumeurs comme celles du Traité d’Aix-la-Chapelle ou du Traité de Marrakech.

Le milieu politique se voit concerné – à raison – puisque les politiciens et les institutions sont les plus visés par ces fake-news. Les politiciens sont par exemple des acteurs majeurs des réseaux sociaux, notamment de Twitter. Ils utilisent de plus en plus leur influence pour amener ce problème au cœur des débats et sensibiliser le public. Les élus de l’Etat amènent progressivement cette réflexion dans les instances afin que le public puisse lui-même faire le tri. Celle-ci passe par la sensibilisation et l’éducation à ce phénomène via l’école et internet.

Mais le combat va plus loin et fait émerger des lois en Allemagne et également en France. La loi contre la manipulation de l’information oblige la transparence des réseaux sociaux sur leurs contenus sponsorisés et à leurs coopérations avec l’État notamment en période électorale pour lutter contre les infox[7]. L’Union Européenne est aussi très mobilisée face au fake-news car elle en subit en continu notamment à l’approche des élections européennes. La commission Européenne a relancé elle aussi son fact-checking « Décodeurs de l’Europe » pour les élections et épinglé les réseaux sociaux pour les contraindre à améliorer leurs systèmes de contrôle[8].

Les réseaux sociaux doivent aujourd’hui répondre à cette pression qui ne se limite pas à la Commission Européenne. Ils sont conscients que cela leur fait perdre en crédibilité et que l’on attend d’eux un sérieux sur ce qu’on trouve sur leurs plateformes. C’est pourquoi les entreprises concernées développent toutes des algorithmes et des fonctionnalités pour bloquer les contenus nocifs. Facebook a lancé « Click-Gap » en avril 2019. Le manque de résultats face au combat contre les fake-news a provoqué une baisse des actions de Twitter et ce malgré ses bons résultats financiers. En réponse, la plateforme a augmenté ses dépenses[9], supprimant par la même occasion des millions de comptes nuisibles. Enfin YouTube arrête de proposer des vidéos conspirationnistes en lecture automatique et s’efforce de supprimer les contenus indésirables.

Mais c’est du grand public que doit venir une solution réelle à ce problème. En effet c’est lui la cible des fake-news et ce n’est que par sa méfiance et son esprit critique que le problème sera résolu.

Étant donné que les jeunes générations sont plus présentes sur les réseaux sociaux qu’une autre classe d’âge, elles sont les plus touchées : en 2018, les 18-24 ans ont à 38% déjà relayé une fake-news en pensant qu‘elle était vraie – score plus élevé que les autres tranches d’âges[10]. Néanmoins, la même année, seulement 24% des élèves de terminale disent avoir confiance en les informations provenant des réseaux sociaux[11]. Les jeunes générations, bien que les plus touchées, sont donc en réalité assez sensibilisées sur le sujet, à l’inverse des générations plus anciennes. Celles-ci sont les plus crédules et ont besoin d’être sensibilisées. Ainsi, un individu de plus de 65 ans a sept fois plus de chance de partager une fake-news qu’un moins de 29 ans[12].

Les fake-news sont un facteur crisogène important, lutter contre permet de monter le niveau de confiance et de baisser la propagation d’idées fausses, déstabilisant l’équilibre des organisations et le vivre ensemble. La prise de conscience et les actions menées pour limiter les fake-news sont essentielles et peuvent espérer les contrer, reste qu’il ne faut jamais baisser la garde.


[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037460897&dateTexte=&categorieLien=id

[2] https://www.meta-media.fr/2018/02/27/fake-news-le-nombre-de-projets-de-fact-checking-a-triple-en-4-ans.html

[3] https://www.bbc.com/news/health-46972429

[4]https://www.blogdumoderateur.com/internet-reseaux-sociaux-2019/

[5] https://www.huffingtonpost.fr/2017/10/31/les-chiffres-impressionnants-des-fake-news-sur-facebook-pour-lelection-de-donald-trump_a_23261587/

[6]  https://www.iswissweb.com/single-post/2018/05/14/20-statistiques-qui-prouvent-que-la-vid%C3%A9o-est-indispensable-

[7] https://www.gouvernement.fr/action/lutte-contre-la-manipulation-de-l-information

[8] https://www.clubic.com/pro/blog-forum-reseaux-sociaux/actualite-850354-fake-news-ue-pression-geants-web-elections-europeennes.html

[9] https://www.capital.fr/lifestyle/twitter-fait-mieux-que-prevu-mais-laction-chute-1326758

[10] https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/facebook/fake-news-30-des-francais-reconnaissent-avoir-deja-relaye-des-infox_3169867.html

[11] https://www.franceinter.fr/societe/les-ados-francais-plebiscitent-les-reseaux-sociaux-mais-ne-leur-font-pas-confiance

[12] https://www.neonmag.fr/les-seniors-partagent-7-fois-plus-de-fake-news-que-les-plus-jeunes-522385.html

Gestion de crise et communication sensible en cas de cyberattaque

Depuis plus d’une décennie, nous confions nos données au web, nous nous exposons, en tant qu’individu, entreprise, grande organisation. Dans un monde où tout commence à devenir immatériel, les paiements, les flux d’informations, tout peut potentiellement être attaquable : du portefeuille, à l’image même. Et les droits interne et international ont bien des difficultés à faire face aux problèmes que pose le numérique. Il n’a pas de frontière, toute présence se révèle donc un risque potentiel. La menace peut autant provenir de l’intérieur que de l’extérieur, les salariés n’étant bien souvent pas assez formés à l’exploitation des outils permettant de contrer les risques informatiques, et aux règles élémentaires de sécurité informatique ; la culture d’entreprise n’est pas assez forte sur ces aspects.

Pourquoi devriez-vous porter une attention particulière à la Cybersécurité : « une attention et un engagement de tous les instants. » [FireEye]

Ce que nous observons tout d’abord, c’est le manque de culture de la cybersécurité dans notre société, même si on lui accorde de plus en plus d’importance, « le déni du risque » dans les entreprises est encore bien présent pour Frans Imbert-Vier, PDG de l’agence Ubcom.

En premier lieu, cela n’arrive qu’aux autres ; en second lieu qu’une attaque fasse la une de la presse n’arrive que quelques fois dans une année.

Pourtant, chaque jour, des entreprises sont victimes de la cybercriminalité. En réalité, il est facile pour des groupes expérimentés de pirates informatiques spécialisés dans le ransomware notamment – « structurés comme des mafias » pour reprendre les mots de M. Imbert-Vier –, ou pour de simples individus ayant des connaissances sur les malwares ou encore le phishing, d’organiser une attaque avec peu de moyens. Il est donc d’une importance vitale pour les entreprises de se prémunir contre ce fléau et de penser aux stratégies de communication à adopter en cas d’attaque.

Les conséquences d’une cyberattaque : plusieurs cas emblématiques

•             Le cas de Target « Data breach »

Nous pouvons pour un premier exemple remonter jusqu’en 2013 avec une attaque survenue en pleine période de fêtes de fin d’année, et une réaction d’entreprise tristement reconnue aujourd’hui comme étant un « cas d’école ».

Entre le 15 novembre et le 17 décembre, l’enseigne de grande distribution américaine Target est victime d’une attaque d’ampleur. Une brèche dans le système de sécurité a permis aux pirates de voler plus de 40 millions de données bancaires et 70 millions de données personnelles. Pour donner une idée de grandeur plus parlante, un tiers des Américains a été touché par cette attaque, pendant les fêtes. Début 2014, suite aux investigations de l’agence Reuters, on apprend que VISA Inc avait mis en garde les grandes enseignes contre les nouvelles stratégies des hackers. VISA Inc avait même donné les moyens à celles-ci pour s’en prémunir. Reuters nous a également appris, que ce n’est autre qu’un blogueur, Brian Krebs – spécialiste en cybersécurité –, qui a signalé la brèche suite à une probable fuite en interne. La réaction des investisseurs, puis du grand public a mis l’enseigne au pied du mur, la forçant à révéler l’ampleur de l’attaque. Plusieurs mois après l’attaque, un communiqué de Target annonce un changement de gouvernance. Par ailleurs, l’entreprise se dit confiante, exprime sa volonté d’entreprendre de véritables « transformations » pour l’avenir et rappelle ces ambitions.

La communication tardive a provoqué une réaction en chaîne dépréciant l’entreprise, désormais connue pour être « laxiste » en matière de sécurité.  Par ailleurs, le cas de Target illustre parfaitement l’enchainement des scénarios d’évolution défavorables après une attaque. Voici pourquoi :

En premier lieu, l’attaque grève le budget de l’enseigne, qui doit à grands frais se doter des meilleurs experts techniques pour colmater la faille. Elle doit également financer les frais de notification, les amendes, et le procès. Pratiquement dans le même temps, les médias s’emparent de cette information et alarment la clientèle ; l’enseigne est discréditée.

L’événement entraîne la démission du CEO Gregg Steinhafel, quelques mois après l’attaque. Il est accusé de n’avoir pas réagi suffisamment rapidement après la découverte du piratage, et n’avoir pas pris les mesures appropriées et jugées nécessaires. Il rejettera ses accusations.

« Depuis le début de cette histoire de vol massif de données, je me suis engagé à ce que Target se transforme en une meilleure compagnie tournée plus que jamais dans la satisfaction client. »

Lettre adressée au conseil d’administration de Target.

Les concurrents se sont servis de l’emballement médiatique pour récupérer ses clients. En outre, le bilan humain et financier de cette attaque se révèle très lourd pour Target, son image est durablement entachée, en témoignent encore aujourd’hui les nombreux tweets sur cette affaire.

•             Le cas TalkTalk

Deux ans après le « Data Breach », une autre cyberattaque d’ampleur touche l’opérateur de téléphonie mobile britannique TalkTalk. Il admet alors (pour la troisième fois) qu’il vient d’être victime d’un vol de données. Selon ses services, 150 000 de ses abonnés auraient été touchés. Si l’incident n’est pas considéré comme « une vaste attaque », les conséquences seront tout aussi lourdes. Pourquoi ? Les pirates informatiques ayant commis ce vol sont… des adolescents. Toute communication sur l’intrusion est vaine, le simple profil des hackers a infligé à l’opérateur une lourde perte en crédibilité.

•             Le cas d’Altran

Mi-janvier 2019, l’entreprise de conseil en ingénierie procède à la déconnexion de tous ses serveurs suite à une attaque. Il est intéressant d’observer son temps de réaction. Il lui a fallu quatre jours pour admettre officiellement l’incident. Le 28 janvier, l’entreprise diffuse finalement un communiqué, qui reste laconique :

« Nous avons mobilisé des experts techniques et d’investigation indépendants mondialement reconnus, et l’enquête que nous avons menée avec eux n’a révélé aucun vol de données ni aucun cas de propagation de l’incident à nos clients. Notre plan de rétablissement se déroule comme prévu et nos équipes techniques sont pleinement mobilisées ».

Il peut être qualifié de classique, de laconique, mais il témoigne surtout d’un déni de la part de l’entreprise. Il évoque seulement l’intervention « d’experts », alors que finalement, une dizaine de jours après l’attaque, la société tournera toujours au ralenti, ce qui bien entendu, inquiétera ses clients au nombre desquels Safran, la SNCF, et bien d’autres. Avec une communication opaque, les clients peuvent ainsi s’imaginer que l’attaque est bien plus importante que celle dont ils ont connaissance.

Que retenir de ces réactions et de la communication des entreprises après ces attaques ?

Tous les domaines d’activité peuvent être touchés, et bien évidemment, selon le profil des pirates, l’entreprise visée, l’ampleur de l’attaque, la cible précise, voici quelques erreurs notables que nous pouvons relever dans les communiqués :

  • Absence de communication spontanée : l’entreprise s’exprime parce qu’elle y est contrainte. Généralement, la fuite, ou même l’attaque,  provient de l’interne (des employés qui en parlent à leurs amis, etc.), ou de blogueurs experts dans le domaine, entachant encore plus l’image de l’entreprise qui a donc voulu au départ, taire l’affaire. Les blogueurs spécialisés dans le cyber sont à suivre avec attention, ils sont reconnus, peuvent avoir les informations les premiers et sont parfois même en contact direct avec les pirates. Dans le paysage cyber français, on pourrait parler de Zataz.
  • Emploi de mots susceptibles de minimiser l’importance de l’événement pour le client (dans l’hypothèse où l’entreprise communique) ; ainsi, on note souvent la répétition de vocables tels que « aucun », « simple incident », « n’a pas », comme si une attaque était négligeable. Dans le cas de Ramsay Générale de santé : « L’attaque handicape le travail mais n’a pas d’impact sur les patients ». Pourtant, si le travail des employés est perturbé, les patients peuvent être impactés d’une certaine manière, ou légitimement inquiets…
  • Généralement, quelques éléments chronologiques sont fournis, mais le manque de transparence, une communication prosaïque, sont manifestes ; et des questions demeurent, la durée de l’intrusion par exemple, le volume de données subtilisées, mais aussi le flou quant au rétablissement des services.
  • Facteur humain souvent sous-estimé. Les internautes aujourd’hui connaissent le risque majeur que présente le numérique. Il faut donc plus de résilience, plus de transparence. Une cyberattaque induit de multiples rebondissements délétères : des démissions, un mécontentement ressenti par plusieurs parties prenantes, des pertes de ressources humaines et financières.
  • Il est enfin fondamental de penser à l’interne. Vos employés sont inquiets, ils n’ont plus accès à leurs outils, ne savent peut-être pas s’ils vont être payés, s’ils vont devoir poser leurs congés etc. suivant l’ampleur de l’attaque.

Mais alors, quelles stratégies adopter ?

La stratégie à adopter est bien entendu différente selon les cas, mais que ce soit une atteinte à la réputation, une perte de confiance des clients, de ses employés etc. voici quelques recommandations à prendre en compte :

  • Ne pas se laisser aller au déni :

o             La crise va durer longtemps

o             Une gestion de crise opérationnelle ou technique, qui n’implique que l’IT n’est pas suffisante (rétablir les serveurs, récupérer les données, etc., constitue bien sur l’urgence, mais cela ne suffit pas)

o             Les attaques cyber occasionnent des crises multiformes (réputation, juridique (loi RGPD), RH, scandale de type compliance, etc.)

  • Prendre l’initiative de diffuser un communiqué rapidement :

si possible avant que des internautes, blogueurs ou journaux relayent l’information. Ce dernier doit être clair, résumant la situation avec le plus de transparence possible. Ne pas laisser le vide et la parole aux nombreux articles, aux interrogations, aux réactions.

  • Des updates sont toujours appréciables :

elles démontrent la volonté de l’entreprise de tenir au courant ses clients, ses actionnaires, des évolutions de la situation jusqu’au retour à la normale des systèmes, et de l’activité. Cette manœuvre permettra de maintenir un relationnel avec les différents acteurs, pour « occuper le terrain », et peut contribuer à entretenir la confiance qu’ils accordent à votre structure.

  • Cartographier ses parties prenantes et anticiper les risques potentiels !

o             En interne : penser que les employés se posent peut-être des questions sur les données volées (mes données personnelles sont-elles sauves ?). Penser également à les rassurer sur la question de la pérennité de l’entreprise et de leur place au sein de cette structure. Penser à l’anxiété que peut provoquer la perte des outils de travail (agenda, boites mails, etc.).

Ici, le cas de Saint-Gobain est intéressant. En juin 2017, la structure a subi une attaque par le groupe NotPeyta depuis une filiale en Ukraine. Des milliers de données ont été cryptées, les réseaux ont dû être suspendus, entraînant une perte de chiffre d’affaires de 220 millions d’euros. L’attitude du groupe en interne pour gérer cette crise doit être regardée de plus près. Le président s’est notamment attelé à rassurer ses collaborateurs et s’est montré très présent, en communiquant régulièrement sur la situation et sur la reprise de l’activité. Cet engagement a suscité un véritable team building, un engagement de la part des collaborateurs qui n’étaient pas habitué à cette communication. C’était également un moyen d’encadrer les informations – certifiées ou non – que pouvaient émettre les nombreuses parties prenantes internes. « «  je compte sur vous, il faut servir nos clients, je vous tiens au courant, faire attention à ne pas propager des rumeurs, etc, ne pas poster les écrans noirs. »

o             L’objectif : éviter les RPS, la fuite de talents, la démotivation, la perte de productivité…

o             En externe : penser aux clients, aux fournisseurs, aux sous-traitants et prestataires. Penser à leurs inquiétudes (ai-je été contaminé par le virus ? mes données ont-elles été volées ? comment vais-je être payé ? etc.)

o             L’objectif : ne pas s’aliéner de parties prenantes, ne pas perdre de clients ou de contrats, travailler sa social license to opperate.

  • Ne pas sous-estimer le facteur humain dans une crise :

remercier ses employés qui œuvrent pour le rétablissement de la situation et qui doivent gérer une situation anxiogène : faire face à une potentielle perte de confiance de la clientèle peut s’avérer compliqué. De même, il est très important de faire preuve d’empathie envers des clients qui se retrouvent lésés, notamment en cas de vol de données ; il faut rassurer, voire parfois présenter des excuses.

  • Penser aux canaux de communication disponibles :

o             l’intranet est-il vraiment consulté ? vos bases de données sont-elles à jour ?

o             les interlocuteurs habituels (RH, commerciaux, etc.) ont-ils été briefés pour aligner la communication ? ont-ils les ressources nécessaires pour faire face à l’afflux de questions ?

o             les employés peuvent-ils être les ambassadeurs de l’entreprise ? si oui, leur avez-vous fourni assez d’éléments ?

  • User de certains vocables avec prudence :

Une allégation telle que : « L’enquête est en cours et démontrera etc. » peut s’avérer gênante par la suite. Il arrive que l’enquête démontre justement que le groupe concerné par l’attaque ne prenait pas les mesures adéquates pour la protection de ses systèmes d’information.  Le mieux reste d’accompagner le texte d’une description des mesures prises avant pendant et après la crise. Si enfin vous pouvez vous livrer à la plus grande transparence, n’hésitez pas à communiquer ce que vous savez.

  • Penser au retour d’expérience :

Dans le cas de Saint Gobain, l’entreprise n’a pas hésité à revenir plusieurs fois sur cette attaque afin de montrer au grand public, aux clients, qu’elle en était sortie plus forte. Elle a notamment renforcé sa politique cyber défense pour réagir plus rapidement, détecter les failles en amont et identifier les risques, dans la plus grande résilience. Par ailleurs, elle organise régulièrement des tests pour sensibiliser l’ensemble des collaborateurs aux actes de cyber malveillance. Le directeur opérationnel du groupe, Claude Imauven, avait d’ailleurs déclaré  « L’attaque du mois de juin nous a permis d’avoir une vision de ce que cela peut nous coûter au maximum… » . D’où l’importance de se préparer à toutes les éventualités aujourd’hui et de revenir sur cette expérience.

De même, le cas d’Airbus est notable. Fin janvier 2019, la compagnie a été victime d’une cyberattaque massive. Le communiqué de presse était exhaustif sur la description de l’attaque, ce qui a été volé et divulgué. « Des données à caractère personnel ont été consultées (…) essentiellement des coordonnées professionnelles et des identifiants informatiques d’employés d’Airbus en Europe ». Si ces déclarations peuvent inquiéter  au premier abord, elles sont obligatoires, et peuvent donc aussi se révéler un moyen pour l’entreprise de démontrer toute sa transparence envers ses collaborateurs et clients. Le communiqué se termine par des mentions qui se veulent rassurantes pour tout le monde : « Aucun impact sur les activités commerciales ». Et l’évènement est qualifié « d’incident », on minimise donc son impact et on rappelle que ce n’est qu’un accident de parcours, ce qui ne devrait pas mettre en péril la confiance accordée à l’entreprise.

Sources :

•             https://www.lemonde.fr/emploi/article/2019/12/11/le-turnover-des-salaries-penalise-la-securite-informatique_6022404_1698637.html#xtor=AL-32280270

•             https://www.faceaurisque.com/2019/01/25/cybersecurite-barometre-2019-linquietant-constat-du-cesin-sur-les-cyberattaques/

•             https://www.fireeye.fr/current-threats/what-is-cyber-security.html

•             https://www.saint-gobain.com/sites/sgcom.master/files/03-07-2017_cp_va.pdf

•             https://www.ticsante.com/story/4735/le-groupe-ramsay-generale-de-sante-victime-d-une-cyberattaque.html

•             https://www.eurofins.com/mediacentre/safeharborstatement/?page=https://www.eurofins.com/media-centre/press-releases-2019/2019-06-03-8/

•             http://www.eclaireursdelacom.fr/la-reputation-des-entreprises-menacee-par-les-cyberattaques/

•             https://www.riskinsight-wavestone.com/2014/05/target-6-mois-tard-quel-retour-cyber-assurance/

•             https://www.usinenouvelle.com/editorial/chez-saint-gobain-il-y-un-avant-et-un-apres-la-cyber-attaque.N651134

L’Oréal face à ses contradictions : vendre des crèmes qui blanchissent la peau et démontrer son engagement éthique en supprimant les mots qui fâchent !

Visibrain

Depuis la mort de Georges Floyd au mois de Mai dernier, afro-américain, asphyxié par un policier blanc à Minneapolis dans l’État du Minnesota (États-Unis), de nouvelles manifestations ont été recensées en Amérique mais aussi dans le monde entier.

En réaction, certains mouvements ont émergé de nouveau comme celui des Black Lives Matter, fondé en 2013, et ayant pour objectif de lutter contre les violences portées à la communauté afro-américaine.

Ce mouvement est relayé par certaines grandes entreprises comme celle américaine spécialisée dans la fabrication d’articles de sport, Nike. Cette entreprise a ainsi indiqué sur twitter, via son message « Ne tournez pas le dos au racisme », son soutien au mouvement Black Lives Matter.

Reprise par les entreprises, la bataille contre les violences et le racisme est omniprésente dans notre société.

Les incitations au racisme sont cependant monnaie courante, du black face, incarnation stéréotypée de personnes noires à travers un maquillage, au délit de faciès à l’embauche. Mais l’entreprise est obligée de réagir fortement sous peine d’être taxé de laxisme voir de soutien avec ces comportements. Pour preuve on n’oublie pas, par exemple, le scandale qui a suivi deux employés de la marque Le slip français, qui s’étaient grimés lors d’une soirée et leur mise à pied immédiate.

Cet environnement sociétal fait que le contexte est anxiogène et a un impact direct sur la stratégie marketing de certaines entreprises qui se sentent obligées de prendre les devants, « de laver plus blanc que blanc » pour surtout éviter des effets de désengagements du public voir des campagnes de boycott.

C’est ainsi que le Samedi 27 juin, le groupe de cosmétique annonçait, dans un communiqué, le retrait des mots « blanc », « blanchissant » et « clair » de la description de ses produits destinés à « uniformiser » la peau.

Cependant, l’Oréal ne s’attendait pas à ce que son communiqué fasse l’objet d’un véritable bad buzz. C’est pourtant ce qu’il s’est passé sur Twitter avec l’amoncèlement de tweets et de hashtags.

Cette décision a été vue par certains comme du racisme antiblanc. Immédiatement, les internautes ont relayé l’information sur les réseaux sociaux, et les tags ont commencé à pleuvoir : #jarreteloreal, #boycottloreal.

Pour d’autres, le communiqué est perçu comme un acte hypocrite. L’Oréal souhaite lutter contre le racisme pourtant, auparavant, certains de ses actes avaient été assimilés à du racisme.

Par exemple, l’Oréal avait été mis en cause, en 2008, pour avoir photoshopé la peau de la chanteuse Beyoncé afin de la rendre plus blanche, pour une campagne publicitaire pour ses produits vendus en Afrique.

De plus, selon des propos tenus par un dirigeant de l’Oréal et recueillis par le figaro, l’Oréal a décidé d’enlever les termes appelant à la blancheur, mais poursuivra quand même la vente de ses produits éclaircissants. Le changement ne viserait que les campagnes de communication et les emballages.

Et la crise de se poursuivre, l’universitaire Mame-Fatou Niang précise, produit un tweet qui laisse penser que la stratégie de communication de l’Oréal est ambiguë voire incompréhensible.

Débats sociétaux et crises numériques

« Le groupe l’Oréal a décidé de retirer les mots blanc/blanchissant (white/whitening), clair (fair/fairness, light/lightening) de tous ses produits destinés à uniformiser la peau ». Ce communiqué qui a entrainé un véritable bad buzz démontre que le digital permet la diffusion d’une information de manière rapide et ample.

Cela se fait notamment à travers : l’utilisation d’hashtags, le nombre d’internautes/followers et l’omniprésence des réseaux sociaux dans notre société. Pour preuve, Visibrain – plateforme de veille de réseaux sociaux – a recensé 10 fois plus de tweets qu’en temps normal.

Ce bad buzz rappelle aussi que la discrimination à l’égard de l’identité d’un individu est un sujet des plus critiques. D’ailleurs, en 2018, Sophie Licari – consultante indépendante en communication stratégique – avait souligné que les différentes formes de discrimination et d’atteinte à l’identité restaient de loin l’un des sujets les plus critiques de notre société.

L’appropriation culturelle en est un exemple. En 2019, Dior en avait fait les frais avec sa publicité « The new sauvage » mettant en scène l’acteur Johnny Depp jouant de la guitare dans le désert de l’Utah tandis qu’un amérindien en tenue traditionnelle exécutait une danse sacrée. Les internautes s’étaient levés et avaient pointé du doigt l’acte raciste qu’avait commis l’entreprise. Face à la polémique Dior a décidé de retirer sa campagne.

Outre la criticité d’un sujet, il faut rajouter que la discrimination est aussi un sujet clivant. De sorte qu’elle appelle nécessairement deux parties opposées : les progressistes et les réactionnaires. Dès lors, une action menée dans le cadre de tels sujets polémiques mettra naturellement en exergue des discordances sociétales. Les uns approuveront, les autres réfuteront.

La discrimination identitaire est donc une problématique constante et difficile à gérer notamment en présence d’antécédents. Dans le cas de l’Oréal, effectivement, sa gestion d’image sera compliquée du fait qu’elle avait déjà été épinglée sur internet pour le licenciement de la mannequin Munroe Bergdorf. Cette dernière avait dénoncé le racisme des personnes blanches dans un post Facebook en 2017. S’ajoute à cela, maintenant, le bad buzz de l’Oréal avec son communiqué du 27 juin.

Dès lors, les entreprises doivent porter une attention particulière quant à leur stratégie de communication. Il semble que la meilleure des positions à prendre est celle de la cohérence et de l’anthenticité.

Sources : https://twitter.com/lorealparisusa/status/1267449907880824832 https://www.visibrain.com/fr/blog/decryptage-bad-buzz-loreal-sur-les-medias-sociaux/
https://fr.fashionnetwork.com/news/l-oreal-accuse-d-avoir-blanchi-la-chanteuse-beyonce,39608.html
https://www.marianne.net/economie/polemique-sur-l-oreal-et-la-suppression-des-references-au-blanchiment-quelle-est-la
https://information.tv5monde.com/terriennes/l-oreal-ne-dites-plus-creme-blanchissante-mais-qui-donne-de-l-eclat-365494
http://www.cri-aquitaine.org/pdf/discrim_france-2.pdf
https://www.liberation.fr/checknews/2017/12/19/pourquoi-le-fait-de-se-grimer-en-noir-est-associe-a-la-pratique-raciste-du-blackface_1617742
https://www.leparisien.fr/video/video-une-soiree-blackface-provoque-l-indignation-04-01-2020-8228994.php
http://www.crpve91.fr/Lutte_contre_les_discriminations/Productions_du_CRPVE/pdf/discrimination_embauche.pdf

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