Le 26 septembre, à 2h48, un incendie se déclare dans l’usine Lubrizol, située en marge de l’agglomération rouennaise. Plus que des explosions qui s’en suivent et que des panaches de fumées noire, c’est d’une incertitude qui dure, d’une peur grandissante et de la colère des habitants dont l’on se souviendra.
Comme pour tous les sites classés Seveso seuil haut, un plan particulier d’intervention est prévu, que le préfet de Seine Maritime déclenche à 6h46. Pourtant, on peut s’interroger sur les raisons qui poussèrent le préfet à prendre certaines décisions. Le signal d’alarme à la population n’est déclenché qu’à 7h45, soit cinq heures après le début de l’incendie. A ce sujet, le préfet déclare que réveiller la population qui était « largement endormie » et « de facto en confinement », aurait nuit au bon déroulement des opérations, et aurait ralenti les pompiers occupés à éteindre le feu. Au déclenchement de l’alarme, la population, qui n’est pas formée à reconnaitre les différents signaux (confinement, évacuation…), semble alors découvrir qu’elle vit à proximité de ce site classé Seveso.
A trois cents mètres de l’usine, une aire d’accueil pour les gens du voyage est oubliée : ne s’agissant pas d’une zone résidentielle, elle n’apparait pas dans le processus lacunaire de gestion de crise. Le numéro vert, permettant à la population d’exprimer ses peurs, de demander des renseignements et de faire face au choc n’est ouvert qu’une semaine après, le 2 octobre. Les écoles ne sont pas fermées immédiatement.
Le préfet prend pour la première fois la parole à 10h, lors d’une allocution qui se veut rassurante mais dont les effets sont assez incertains.
Si cette réticence à sonner l’alarme se veut rassurante de la part des pouvoirs publics, la multiplication de propos contradictoires de leur part alarme la population. Alors que le préfet parle de « toxicité non-aigue », les pompiers appelés sur place affirment au contraire que « le risque est là » et qu’on ne peut nier la toxicité du nuage.
Ce manque d’alignement entre les différents services de l’État provoque une cacophonie qui occasionne une perte de confiance en la parole des autorités, les pompiers étant de plus une partie prenante parmi les plus crédibles.
Le ton choisi n’est également pas adapté : trop technique, il ne rassure pas et ne répond pas aux inquiétudes légitimes d’une population qui commence à se demander pourquoi le confinement n’a pas été ordonné plus tôt s’il y a un risque. Ne pas prendre au sérieux ces craintes face à un phénomène, qui n’est peut-être pas dangereux, mais ressenti comme tel par la population est une erreur de communication classique qui aurait pu être évitée.
Mais la crédibilité est affaiblie dès le départ, ni la crise, ni les inquiétudes des habitants de la commune ne semblent être pris en charge correctement et les informations ne sont pas délivrées. Dans ce vide s’engouffrent alors les réseaux sociaux, et l’État est dans l’impossibilité de revenir dans le dialogue. Il ne peut plus avoir une posture proactive dans la communication d’informations, mais seulement répondre avec peine à des rumeurs qui se multiplient.
Le préfet a dû faire face à un choix : minimiser pour ne pas affoler la population alors qu’il ne possédait encore pas assez d’éléments pour évaluer le risque, ou la protéger quitte à ordonner un confinement peut être inutile.
Le manque d’entrainement des populations est ici un facteur clé, si on avait été certain de la compréhension des consignes et la signification des sirènes, peut-être aurait il eut moins de mal à décider dans le sens d’une protection maximale.
La première priorité devrait être la protection de la population par la mise en place de consignes claires, relayées de manière efficace, ce qui dans ce cas revient à contraindre la population au confinement dès le début de l’incendie. L’absence de données précises sur la dangerosité de l’évènement aurait dû pousser le préfet à prendre toutes les précautions possibles rapidement pour faire face à l’ensemble des scénarios d’évolution, aussi catastrophiques soient-ils, pour ne faire courir aucun risque aux habitants de la commune, quitte à plus tard alléger le dispositif mis en place, au lieu d’adopter une position frileuse, entre réaction à l’urgence et volonté de ne pas inquiéter.
Lubrizol n’est pas en reste dans ce naufrage. Son premier réflexe est la bunkerisation, le silence, et il faut attendre le lendemain pour une première déclaration de la part de l’entreprise qui semble se cacher derrière l’État.
Ces premières paroles de la part de F. Henry manquent cruellement d’empathie pour les populations affectées par l’incendie. Trop tôt, l’entreprise tente de plus à se défausser en cherchant un bouc émissaire, laissant entendre qu’il s’agit surement d’un incendie volontaire. Répondre à l’émotion provoquée par l’accident en adoptant un ton trop rationnel, en ne montrant pas d’empathie et en cherchant à se dédouaner ne constitue pas une stratégie de communication valable.
Il existe pourtant des manières de se préparer à ces évènements, de réfléchir en temps calme à ce qui doit être dit et à la manière de le dire. S’il est vrai qu’il est compliqué de faire des analyses rapides de phénomènes comme celui de l’incendie de Lubrizol, le scénario reste assez classique et des réponses types et des infographies explicativespeuvent aisément être préparées à l’avance et permettent d’établir une meilleure communication avec la population. Communiquer sur des fumées toxiques constitue un exercice difficile, mais c’est un exercice qui doit avoir été anticipé, et les éléments de langage préparés à l’avance.
Toute crise, aussi brutale et soudaine soit-elle, s’inscrit dans une histoire longue dont il faut tenir compte. Lubrizol n’en est pas à son premier faux-pas : en 2013, une fuite de Mercaptan, additif non toxique qui donne son odeur au gaz, affole la population. Ne présentant en soi pas de risque, cette fuite n’occasionne presque aucune réaction de la part de Lubrizol qui laisse ainsi la panique s’installer. Ce premier accident entame le permis social de Lubrizol, l’existence d’un casier médiatique ne permettant pas une grande tolérance vis-à-vis de la marque de la part des Français.
Plus largement, la multiplication récente des scandales sanitaires et écologiques a des conséquences sur la manière dont la population perçoit et répond à cette crise ci. L’image de Tchernobyl se rappelle à tous alors qu’un nuage « à toxicité non aigue » envahit le ciel rouennais.
Rien dans la communication de crise adoptée par l’État et Lubrizol ne peut faire face au poids des images, à celles de ce ciel noir, et celles publiées sur les réseaux sociaux, rumeurs et fake news comprises.
La communication des pouvoirs publics semble tellement bancale que certains s’en amusent, et le potentiel humoristique de l’affaire va croissant, ce qui n’aide en rien les agents à communiquer sereinement. L’investissement grandissant de ce sujet sur les réseaux sociaux, et la viralité des publications est aussi liée à leur pouvoir comique.
Le 26 septembre, Jacques Chirac, ancien président français décède. Un agenda médiatique plein constitue généralement une bonne nouvelle pour les entreprises en crise, qui passent de ce fait à travers les mailles médiatiques. Mais dans le cas Lubrizol, l’effet s’inverse et on assiste à une accélération du mécontentement de la population. La plupart des journaux titrent sur ce décès et Lubrizol ne reviendra à la une que quelques jours plus tard. Le manque d’information claire et uniforme, l’absence de réponse appropriée de la part de Lubrizol et la monopolisation médiatique par un autre sujet entraine alors une inquiétude collective qui se teinte de paranoïa. Ces réactions témoignent de la défiance envers les médias traditionnels et de l’importance qu’il ne faut pas négliger des réseaux sociaux dans la mise à l’agenda médiatique.
Des groupes politiques investissent alors le scandale, stratégie politique qui permet d’alimenter une critique plus globale du gouvernement. Ce moment de crise constitue de fait l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité pour l’opposition.
Et maintenant ?
La mémoire collective de cette crise sera celle d’une communication et d’une réponse ratée de l’État et de l’entreprise Lubrizol. Une crise qui s’inscrit déjà dans le long terme, la bataille juridique autour des conséquences de l’incendie promettant d’être féroce, et de rappeler à l’ordre du jour médiatique à chaque avancée de l’affaire l’incendie du 26 septembre 2019. Les polémiques font déjà rage autour de la promesse gouvernementale « pollueur-payeur », et autour du bien-fondé de délivrer des autorisations de stocker en si grande quantité des produits dangereux.
Outre les impacts économiques, sanitaires et écologiques de cette crise, un affaiblissement de la confiance en la capacité de l’État à protéger et informer ne sera pas sans effets sur la gestion des prochaines crises et compliquera d’autant la capacité des agents à agir.
Cette crise dessine aussi de nouveaux défis qu’il faudra relever si l’on veut pouvoir faire face collectivement aux crises à venir. La gestion de crise en France doit prendre en compte le problème d’une particularité culturelle du peuple français qui a tendance à se reposer pleinement sur l’État et la police, qui doivent ainsi assumer seuls et pleinement la mission de protection de la population. La colère qui résulte du moindre manquement à cette mission est bien visible dans le cas Lubrizol.
L’État de son côté se défie d’une population qu’il pense volatile voire immature et semble tant craindre de susciter la panique générale qu’il s’enlise dans les déclarations contradictoires, dont l’effet rassurant est quelque peu gâché.
Tant que ces deux problèmes, qui se nourrissent l’un l’autre, ne sont pas adressés, il restera compliqué de désarmer les crises à venir.
Pourtant, il a été montré que face aux désastres, la population est plus résiliente qu’il y parait, moins encline à la panique que ce que le préfet semble penser, il est donc dommage que la défiance soit des 2 côtés.
Il s’agit désormais d’apprendre des défaillances dans la gestion de la crise à la française mises en relief par le cas Lubrizol et se recentrer autour de principes élémentaires : la préparation et la protection, l’empathie et la transparence, la coordination et la communication entre les agents.
« La conjugaison de nos trois métiers peut permettre à des sociétés victimes de campagne de diffamation de rétablir le plus rapidement possible leur image et la perception que le public et les dirigeants peuvent avoir de leur produits et services » Virginie Bensoussan.
Aujourd’hui, ce qui est sidérant, dans notre société, c’est la rapidité de diffusion de l’information. Information étant un mot presque trop élégant pour décrire la cacophonie « des informations » en général et en particulier sur le web, un média que l’on pourrait facilement s’amuser à définir par « beaucoup de bruit pour rien » ! Sauf que ce n’est pas pour rien, car l’impact de ce bruit est rapide et parfois meurtrier… Au moins pour la réputation de certaines personnes ou organisations, visées à juste titre ou par pure médisance. Encouragées par l’anonymat qu’offrent les différents supports d’expression en ligne, les internautes en capacité de s’exprimer sur tout et tout le monde se sont multipliés de manière exponentielle ces dernières années. Cet environnement est donc plus que propice à des attaques portant atteinte à l’image, la réputation et, finalement la vie des personnes.
C’est dans ce contexte que sont nées les activités de nettoyage d’E-Réputation, car l’image que l’on donne sur le net est devenue un enjeu majeur qu’il convient de maîtriser. Stéphane Alaux, Emmanuelle Hervé et Virginie Bensoussan-Brulé sont des experts du domaine, chacun dans leur spécialité et, à eux trois, ils décident de constituer une task force au service de leurs clients. Afin de préserver l’image de ceux-ci, ces trois experts s’allient aujourd’hui pour le meilleur résultat, en mettant en commun leurs compétences. Qui sont les personnes susceptibles d’être soutenues – voire « sauvées » – par ce groupe d’intervention ? Ce sont les personnalités publiques, les dirigeants de PME ou les entreprises du CAC40…. Les 3 intervenants peuvent répondre à l’ensemble des problématiques liées à la réputation et surtout, ils savent se mobiliser instantanément, pour faire face à une crise avérée et urgente.
Emmanuelle Hervé, spécialiste de la communication et gestion de crise intervient avant, pendant et après la crise. Une fois les propos diffusés et la crise déclarée, c’est l’expertise de l’avocate Virginie Bensoussan qui entre en jeu afin d’identifier une action judicaire. Mais son action vient également en appui direct de la communication. L’avocate sera ainsi en mesure d’encadrer juridiquement les plans de communication de crises pour éviter que ceux-ci ne soient sujets à des actions en justice pour diverses raisons, par exemple des éléments de langages qui contiendraient des propos pouvant être considérés comme diffamatoires.
Si l’action judiciaire permettant de supprimer les contenus offensants ou diffamatoires n’est pas suffisante, c’est le savoir-faire de Stéphane Alaux qui est sur le devant de la scène. Selon lui, « l’identité numérique est primordiale pour une entreprise » et malheureusement, la prise de conscience de cette problématique n’est pas encore assez vive en France. En attendant le réveil des consciences, il se chargera de nettoyer l’Internet de toutes les traces pouvant entacher l’image d’une personnalité publique ou privée, dans le cadre de la campagne lancée par la task force. Stéphane Alaux intervient via sa société Net’Wash, dont il est le dirigeant-fondateur et qui agit sur le Net depuis plus de 20 ans maintenant. Grâce au logiciel Viginet, développé en interne, l’entreprise est capable de surveiller en temps réel le search, ce qui permet d’être immédiatement informé de toute parution suspecte sur le client et d’agir immédiatement en influençant positivement (Principe de la balance) des moteurs de recherche comme Google.
Ces trois experts aux différents parcours, s’unissent avec la même idée en tête : préserver au maximum l’image de leur client pour assurer ainsi la continuité de leurs activités. En effet, leurs expertises sont distinctes, complémentaires et chacune aussi nécessaire pour la réussite du résultat attendu par le client.
La mini bio d’Emmanuelle Hervé et son portrait en quelques questions
Ingénieure de formation, elle commence sa carrière en Inde puis rejoins le groupe de chimie américain DuPont de Nemours, pour développer le marché MENA. A son retour en France en 2005, elle approche le métier de consultant en gestion de crise qu’elle adopte depuis 2008. Elle a fondé et dirige le cabinet EH&A Consulting, spécialisé dans la gestion de crise.
Le cabinet accompagne les organisations publiques et privées dans la gestion et la communication avant, pendant et après une crise, afin de préserver la pérennité de l’activité économique de ses clients, la réputation des marques et des dirigeants.
Pourquoi choisir cette carrière qu’est-ce qu’elle vous apporte sur le plan personnel ?
EH : Je suis ingénieure et j’ai passé 15 ans à pratiquer ce métier dans une société américaine de chimie en sillonnant le monde, mais je passais ma vie dans les avions… Vers 2008 j’ai voulu me poser et me suis naturellement tourné vers mon histoire familiale, en effet je suis née dans la « gestion de crise » car ma mère avait créé une des premières agences indépendantes françaises de gestion de crise, spécialisée dans l’environnement et la santé, pour la pétrochimie et le secteur pharmaceutique.
J’ai donc intégré l’agence et appris le métier sur le tas !
A titre personnel, c’est un métier très gratifiant, car on rencontre les gens sans faux semblant, le temps de la crise n’est plus celui des masques et de vraies amitiés naissent des moments passés ensembles. Certes mes clients sont stressés et parfois pas commodes, mais on est sur de vrais enjeux, de survie de la société, de la réputation de la marque, du job du dirigeant et c’est un challenge hyper motivant.
Comment définissez-vous la gestion de crise et la E-réputation ?
EH : C’est un métier qui vient du domaine militaire ; elle a ensuite été développée pour le civil et notamment pour l’industrie de la pétrochimie par Charles Edelman aux Etats-Unis. En effet le pétrole est une activité dans laquelle l’accident industriel est à la fois probable et très impactant d’un point de vue humain et environnemental, de plus les enjeux financiers liés aux cotations en bourse des acteurs majeurs ont très tôt obligé cette industrie à intégrer la gestion de crise et la gestion de la communication de la crise comme un savoir-faire essentiel à leur survie.
Aujourd’hui la gestion de la crise va couvrir absolument tous les secteurs d’activité, public ou privé et ceci à cause de 2 facteurs principaux une judiciarisation immédiate et la caisse de résonnance des réseaux sociaux.
Deux phénomènes ont amené les entreprises à prendre conscience des risques liés à leur réputation. La première est l’arrivée de l’Internet et surtout à partir de 2013, lorsqu’il est devenu conversationnel. Soudainement, tout ce qui pouvait rester sous le tapis, pouvait être mis à jour et diffusé largement jusqu’à atteindre les médias classiques. Avec Wikileaks et les révélations de Snowden, une autre étape a encore été passée : celle du changement culturel, où tout un chacun s’est senti légitime pour devenir un lanceur d’alerte.
Un autre changement majeur qui nous amené à adapter notre métier à un monde très juridique : la crise des subprimes en 2008, qui a conduit de nombreuses entreprises à fermer. Il a alors fallu gérer en particulier la fermeture des sites industriels, avec tous les risques que cela suppose : séquestration, destruction de matériel, chantage. Les Plans de Sauvegarde pour l’Emploi sont aussi devenus un sujet de gestion de crise.
Sur la E-réputation en particulier, là aussi on voit un changement, qui date des années 2013 – 2014. Avant, les crises étaient le reflet de quelque chose qui s’était passé dans le monde réel. Par la suite, on a eu à gérer des crises qui n’avaient aucun fondement réel. Il ne s’était rien passé, pas de défaut produit, pas de pollution, pas de licenciement tout cela n’était dû qu’à l’existence du web.
Diffamation sur Instagram
Ce phénomène a été accru par l’utilisation massive des réseaux sociaux. Alors que les premières crises naissaient après un évènement marquant imputable à la marque, à l’entreprise, ou à son directeur général, des crises ont vu le jour à la suite d’un simple commentaire publié sur un réseau social fréquenté. Dans le cas crée un véritable bad buzz avec des conséquences, humaines, business, réputationnelles réelles. L’affaire a été compliquée et la marque a mis des semaines à s’en remettre. Ces changements majeurs ont amené les entreprises à prendre les mesures nécessaires et nos métiers à se réinventer.
Finalement, le bad buzz peut être à l’origine d’une crise ou sa conséquence. Bien évidemment, la crise laisse des traces sur internet et ce sont ces traces qui alimentent la crise d’E-réputation. Dans notre jargon, nous parlons de « casier médiatique » et les conséquences sont particulièrement graves pour une entreprise. Le droit à l’oubli ne fonctionne pas bien ! Un buzz peut naître en août 2020 et la société sera en liquidation judiciaire en août 2021 car la majorité de ses ventes se fait via internet. Il faut donc s’y préparer et s’armer.
A quels stades de la crise intervenez-vous et dans quelles mesures vos métiers à tous 3 sont-ils complémentaires ?
EH : Nous intervenons tout d’abord « en temps de paix » , à ce stade ce sont plutôt des entreprises d’une grande taille, voire des multinationales cotées qui ont besoin de s’armer, de s’organiser à l’éventualité d’une crise. On va écrire un plan de crise, former les membres de la cellule de crise et entrainer l’entreprise par des exercices de simulation.
L’autre type d’intervention est « à chaud ». Il y a des crises à cinétique lente ou rapide. La cinétique rapide, c’est l’explosion. Mais le plus souvent les cinétiques sont plus lentes : on sait qu’une chose peut sortir mais on ne sait pas où et quand. Par exemple, si vous avez Elise Lucet ou L214 tournent autour de votre activité.
Nous intervenons auprès de la direction générale et de son comité de direction pour faire face aux conséquences d’un retrait produit, d’un fait de corruption, d’un chantage, d’un bad buzz, d’une violence au sein de l’entreprise, d’un attentat etc.
Dans le cas où l’entreprise n’est pas armée d’une cellule de crise, nous allons prendre en main les premières actions et dérouler la méthode de gestion de crise afin d’en déduire la meilleure stratégie de réponse à la crise, que nous déclinerons par une tactique de communication de crise vers les parties prenantes de l’entreprise.
Enfin nous intervenons également pour accompagner les procédures collectives, PSE, RJ et fermeture de site industriels.
Nos 3 approches sont complémentaires car, même si la gestion de crise donne la méthode qui permet au plus près de combattre les impacts de la crise, et de coordonner les corps de métier, il sera nécessaire de faire intervenir un avocat pour se défendre des attaques juridiques possibles (plaintes des clients, compliance RGPD, respects des contrats commerciaux, diffamation). Enfin la crise va laisser derrière elle un « casier médiatique », qui peut être extrêmement nuisibles aux personnes physiques et à la marque, il conviendra donc de « nettoyer ».
L’accroissement des outils numériques et la massification des échanges est un fait. Quelle influence sur vos métiers ?
E.H : Rien ne disparaît vraiment, chaque occurrence peut être retrouvée… Ce sont donc les suites de crise (justifiée ou non) qui sont difficile à appréhender et qui demandent donc des outils supplémentaires pour soutenir nos clients. En effet, comment peut-on s’en sortir quand on est dans le cas où l’on a été condamné, que l’on a purgé sa peine et qu’on recherche un travail… Trop facile de trouver les antécédents ! Avant, l’employeur se fiait plus à la réalité du moment et à la personne qu’il avait en face. Si vraiment, ensuite, il avait un doute, il lui fallait aller dans les archives des journaux pour vérifier des infos. Aujourd’hui, il a déjà tout sous la main avant d’avoir vu la personne…
Le phénomène et le danger est augmenté par le fait que nombre de dirigeants d’entreprise ou personnalités politiques ont une mauvaise compréhension du web conversationnel, le néglige ou en ont peur, ou les deux.
Pouvez-vous nous donner un exemple de crise bien gérée et 5 conseils pour prévenir ou endiguer une crise ?
Les crises bien gérées ont ceci en commun qu’elles ont été identifiées à temps et que l’entreprise à fait montre de transparence et d’empathie à tous les stades.
Commençons par ne pas aggraver la crise et ne pas tomber dans ce que j’appelle les 7 péchés capitaux : la tactique du bouc émissaire, les abonnés absents (no comment), l’arrogance, la stratégie du contre feu, la globalisation, la victimisation et la réponse juridique.
La stratégie juridique est indispensable mais ce n’est pas une stratégie de communication. La réaction de l’entreprise ne doit jamais être établie dans un langage juridique par des avocats car elle apparaît toujours comme défensive, donc agressive et il ne faut jamais commencer par attaquer. La stratégie juridique et la stratégie de communication doivent être alignées pour ne pas se contredire… C’est là où notre action est importante car très (trop) souvent communiquant et juriste ne sont pas d’accord, n’ayant pas les mêmes enjeux, pas le même temps…En revanche, intégrer une stratégie juridique est indispensable car on doit regarder la crise au travers de ce prisme : il faut se demander quelles sont nos obligations, quels sont les risques juridiques, ce qui peut se passer par la suite, y a-t-il une jurisprudence….
La mini bio de Stéphane Alaux et son portrait en quelques questions
Véritable autodidacte au parcours varié allant de la cuisine à la communication en passant par le droit et l’économie, Stéphane Alaux s’est intéressé au web dès son avènement, alors qu’il était en Angleterre. Il est ainsi devenu un spécialiste de ce nouvel univers et vite précurseur sur les solutions visant à protéger et défendre les entrepreneurs sur le web. Emettant des avis tranchés sur le sujet d’un web à la marge depuis l’avènement du web 2.0 (ou web conversationnel) il avoue faire passer l’intérêt des entreprises avant le respect de cette pseudo éthique qui, pour lui, n’existe pas… Il est spécialisé depuis 20 ans en identité numérique, search marketing et business digital.
Spécialiste avéré du référencement sur Internet, il dirige depuis 2012 la société Net’Wash, qu’il a fondée et se positionne dans la durée comme le leader dans le domaine de la E-réputation en France.
Stéphane Alaux :
Quand intervenez-vous en cas de crise E-réputationnelle ?
Dans la mesure où les actions de prévention, très importantes, ne sont que très rarement mises en place, nous intervenons le plus souvent en bout de course, pour gérer les traces numériques. Nous éteignons les feux…
Une crise d’E-réputation est une perte de contrôle de son image, avec un déséquilibre entre ce que je dis de moi et ce que l’on dit de moi. On connaissait déjà ça dans la vraie vie, mais là on parle d’Internet, ce fameux continent du « tout est possible » et surtout du « tout restera chez moi »…. Je considère qu’on peut parler de crise à partir du moment où en première page de Google, la proportion de ce que disent les autres sur moi est plus importante que je dis sur moi. Lorsque la crise est d’une ampleur internationale, l’information est diffusée en volume considérable. Il est possible que l’on puisse tenter de maîtriser cela de manière préventive, mais c’est bien rare et c’est donc le plus souvent à posteriori que les actions commencent…
Il a seulement 2 options. Soit le problème existe vraiment et donc les traces numériques sont inévitables, soit le problème n’existe pas mais il a été inventé pour être posté sur Internet et là c’est encore pire, puisque l’intention elle-même est mauvaise…. La massification des médias digitaux ne fait qu’accroître l’ampleur d’une telle crise et les premières répercussions sont immédiates.
La société Net’Wash intervient à ce stade et je dois dire que près de 95% du chiffre d’affaires de notre société se fait lorsque la crise est passée. A mon grand dam, car je sais qu’en faisant de la prévention et des actions en amont, on pourrait grandement limiter les dégâts… Mais l’insouciance règne encore au joli pays d’Internet et la chute est très dure. Notre job est de maîtriser rapidement les conséquences et, dans la mesure du possible, essayer de contrarier le courant des événements…
Comment la E-réputation est gérée aux USA ?
Les américains sont extrêmes procéduriers, ils ont une gestion très différente de la nôtre. Si vous dites du mal de quelqu’un, on va vous demander des millions de dollars de dommages et intérêts… En France, ce sera 500 ou 1000 €, parce que la diffamation n’est pas prise au sérieux. Le droit Français et Européen n’est pas vraiment adapté à ces nouveaux comportements. Pour avoir du poids et faire respecter la E-réputation de son entreprise, il n’y a pas vraiment d’outils. Nous sommes aussi victimes de ce que j’appellerais l’esprit latin : on est capable de marcher avec un caillou dans la chaussure. Les entreprises continuent de fonctionner malgré une mauvaise image, elles ne sont pas affolées.
L’esprit américain peut s’étendre à tous les Anglo-Saxons, qui prennent l’E-réputation très au sérieux, comme la « réputation » tout court… En France, malheureusement, les entreprises ne prennent pas conscience qu’il est aujourd’hui incontournable, voire de l’ordre de la survie, de maîtriser et contrôler leur image sur internet. Lorsqu’on parle d’investir dans l’E-réputation, le responsable digital est méfiant. On lui alloue un budget pour une mission précise (qu’il a souvent lui-même planifiée et soumise à sa direction) et cette mission ne comprend pas de poste E-réputation. De fait, ajouter une charge supplémentaire au budget initial n’est pas possible. S’il veut vraiment ajouter ce volet aux autres postes de sa mission, il devra amputer son budget initial. Il est donc réticent et a tendance à mettre l’E-réputation de côté. Par ailleurs ses enjeux ne sont pas les mêmes que ceux du dirigeant. Avec le développement du digital, il pourra très facilement changer d’entreprise, en cas de problème. Le dirigeant subira quant à lui de plein fouet les conséquences de son inconséquence !!! Celui qui a tendance à déléguer la E-réputation doit véritablement s’en saisir, car il est directement concerné par cette problématique. Comme les Relations presse hors produit, la E-réputation devrait prioritairement être validée par le dirigeant et non s’arrêter aux services communication, marketing ou digital… Car lorsque la crise est là, c’est le dirigeant qui paie le prix fort de la chute de chiffre d’affaires, pouvant aller jusqu’à la faillite.
Par ailleurs, certaines entreprises continuent d’investir massivement dans des campagnes de pub télé alors même que leur réputation est catastrophique. Elles assistent à un véritable déséquilibre entre l’investissement et le retour sur investissement. Pour moi, l’E-réputation est la réponse à cet écart. Aujourd’hui les gens se ruent sur internet et l’identité numérique est primordiale pour une entreprise. Il faut comprendre qu’une crise, même bien gérée, continuera sur le Web ; si aucune mesure n’est prise, l’entreprise peut courir à sa perte.
Quels sont les outils dont vous disposer pour prévenir, surveiller et contrôler l’E-réputation d’une entreprise ?
Nous avons créé notre propre outil « Viginet ». Développé en interne sur la base des besoins bien connus du fait de notre expérience, nous l’avons construit pour surveiller le search* en temps réel. Nous avons également une base de données énorme nous permettant de trouver des informations qui ne sont pas encore annexées sur Google ; nous allons chercher des informations dans des forums avant que Google ne les ait annexées ; cette action peut prendre quelques jours mais elle permet de trouver beaucoup plus rapidement des éléments recherchés, cette base de données étant en constante évolution. L’objectif est principalement d’avoir un outil de surveillance efficace pour surveiller le positif et le négatif sur les mots clés que l’on va rentrer sur ce logiciel. Bien sûr, nous utilisons aussi « SEMrush », mais cet outil du marché, extrêmement performant mais global nous propose 80% d’éléments que nous n’utilisons pas. Nous ciblons nos actions et c’est pourquoi nous avons préféré bâtir notre outil, qui correspond exactement à nos attentes.
*Ce qu’on trouve sur Google.fr en fonction des mots clés. Le résultat étant appelé Search Engine Results Page.
Comment s’articule l’intérêt du consommateur et la nécessité de préserver l’image d’un client ?
Notre mission est d’aider le client à préserver son espace de travail. On ne cache pas la vérité et il n’y a aucune forme d’obligation : l’intérêt du consommateur dépend de ce qu’il recherche. Nous souhaitons simplement que l’entreprise qui se met en scène commercialement sur le web puisse maîtriser cet espace qu’est sa « première page ». Nous travaillons à accompagner l’entreprise, dans son intérêt.
A quels stades de la crise intervenez-vous et dans quelles mesures vos métiers à tous 3 sont-ils complémentaires?
Nous sommes contactés une fois que la crise est déclenchée. C’est très long de nettoyer le search, notre métier ayant une certaine inertie. En revanche notre intervention sur les Google news est différente. Le traitement, l’ensevelissement et la récupération de l’image n’est pas le même. Pour y parvenir il faut utiliser des surfaces accréditées Google news. On peut donc intervenir au même moment qu’Emmanuelle et Virginie, mais ce sont elles qui nous donne le tempo et qui déclenchent l’action.
Pour le search, ce sera plus long, cela peut durer des mois. Il est extrêmement facile de dire du mal en publiant. Lorsqu’il n’y a pas eu de construction de digues digitales, il faut bloquer le contenu négatif ou diffamatoire en imposant un autre contenu positif. On arrive ainsi à faire autorité sur les 10 premiers résultats et même les 2 premières pages. Dans ce cas le travail est plus compliqué…
L’accroissement des outils numériques et la massification des échanges viennent elles compliquer votre métier ?
On ne peut intervenir sur les réseaux sociaux, ce sera le travail du juriste. Les RS n’ont pas forcément d’impact sur notre métier de base. Ce qui est nouveau, c’est que tout le monde est un communicant en force (et croit réellement l’être), c’est donc un véritable souci, d’autant que l’anonymat est quasiment imposé. On parle des réseaux sociaux, mais n’importe quelle surface de communication donnant des avis (quechoisir.fr) peut être une véritable catastrophe pour la marque.
Est-il possible de restaurer complètement une réputation entachée ?
Sur les deux premières pages de Google, oui. Un internaute qui cherche le nom du dirigeant de la marque incriminée et l’évocation de l’affaire qui le concerne, trouvera l’information, ailleurs. Mais naturellement et en début de recherche, il trouvera seulement les informations basiques et neutres ou positives sur le sujet. Notre métier ne consiste pas à supprimer ou maitriser la totalité de l’information dans Google. Nous agissons en sorte que la première page d’une entreprise sur Google, qui est un espace de travail, soit vierge d’élément négatif. Notre action est importante pour préserver l’avenir d’une entreprise et s’assurer qu’elle puisse continuer à fonctionner, pour sa santé financière, la sauvegarde de ses équipes et la pérennité de ses activités.
La mini bio de Virginie Bensoussan Brulé et son portrait en quelques questions :
Avocate à la Cour d’appel depuis 2006, Virginie dirige le pôle contentieux numérique au sein du cabinet Lexing Alain Bensoussan Avocats, qu’elle a rejoint en 2006.
Ses domaines de prédilection sont le conseil et le contentieux en droit de la presse, en droit pénal du numérique et de l’informatique, en contentieux de l’Internet et en contentieux Informatique et libertés et bien sûr, ses spécialités sont au cœur des préoccupations liées aux atteintes à la e-réputation et aux litiges internet de toutes natures. Elle a été nommée Best Lawyer dans la catégorie Information Technology Law de l’édition 2019 du classement de la revue américaine Best Lawyers.
Mes 2 parents sont avocats et notre cabinet est familial puisque je l’ai intégré il y a 14 ans et que mon frère Jérémy nous a rejoints à la fin de ses études d’ingénieur, il y a 6 ans… Nous avons un peu « élargi » la famille, avec aujourd’hui 80 avocats et des actions sur les 5 continents.
En quoi la maîtrise de la E réputation est-elle primordiale ?
Au sens juridique, le terme réputation s’applique aux personnes physiques ; sur le web on parlera plutôt d’atteinte à la considération professionnelle pour les personnes physiques et, pour les produits ou services, il s’agit de critique de produits ou services et on parle de dénigrement.
Les entreprises et les dirigeants doivent absolument savoir ce qui se dit sur eux et sur leurs produits. Du fait de la rapidité de propagation de l’information sur Internet et également de sa durabilité, c’est grave. Ce genre d’incident peut créer un climat de défiance de la part des collaborateurs, mais aussi des clients, des autorités de tutelles, etc… Ils doivent donc être vigilants et prendre les mesures nécessaires, qu’elles soient judiciaires ou non, pour rétablir leur image vis-à-vis du public. Dans le cadre d’une atteinte à la réputation, il n’y a que 3 mois pour agir en judiciaire, à compter de la première mise en ligne de propos injurieux ou diffamatoire. Pour le dénigrement, on a 5 ans. Pour les délits de presse, il y a également 3 petits mois pour agir. Cela nécessite que les entreprises mènent des actions de veille et que, en cas d’incident, elles choisissent les actions à mettre en place : cela peut être de ne rien faire, mais elles peuvent aussi tenter de neutraliser le contenu par l’action d’une agence d’E reputation comme Net Wash ou tenter d’obtenir le déréférencement… Il faut aussi identifier la personne à l’origine des propos diffamatoires et il faut bien savoir que, dans la grande majorité des cas, l’auteur sera soit un salarié ou un ancien salarié, soit concurrent. Sur un plan judiciaire, on s’adresse aux Prud’hommes quand c’est un salarié et au Tribunal de commerce pour le concurrent déloyal.
Au sein de la Task Force, comment interviendrez-vous ?
L’intérêt de cette alliance de 3 expertises, c’est que les entreprises, les personnes ou les organisations qui rencontrent un problème de cette nature vont entrer dans le sujet par l’une de nos 3 structures. Chacun d’entre nous ayant l’exacte connaissance de l’activité des autres va savoir qui contacter en priorité. Pour ma part, si mon cabinet est contacté directement, je vais intervenir une fois que les propos ont été diffusés et que leur impact négatif s’amplifie. Je vais d’abord identifier une action judiciaire et voir si elle est opportune et faisable. Si ce n’est pas le cas, je conseillerai le client et l’orienterai vers l’agence de E-réputation pour tenter d’enfouir les contenus. Si l’action judiciaire et primordiale et opportune, je vais poursuivre en justice et demander des réparations pour préjudice moral.
Si la campagne de dénigrement devient diffamatoire au point de créer une situation critique, je vais accompagner les clients et leur conseiller une agence de communication de crise pour valider des plans médias, en communication interne entreprise et à l’externe envers les médias, réseaux sociaux, etc. Des scripts seront formatés pour les services clients. En coopération avec l’agence de communication de crise, je valide le contenu des messages publiés par l’agence, afin d’éviter qu’à son tour la réponse ne soit pas elle-même porteuse de messages potentiellement dénigrants. Il ne faut pas évidemment, que la communication de crise se retourne contre le client.
En amont, j’accompagne nos clients pour former leurs collaborateurs ou agents à respecter la loi quand ils s’expriment au nom de leur entreprise, ou à titre personnel mais en évoquant leur vie professionnelle sur un réseau social ou lors de n’importe quel type de communication impliquant l’identité de l’entreprise.
En quoi cette coopération tripartite est-elle plus efficace pour les clients ?
Dans les situations les plus complexes et graves sur le plan réputationnel, la conjugaison de nos 3 expertises peut permettre aux sociétés victimes de campagnes de diffamation ou dénigrement de rétablir rapidement et durablement l’opinion publique sur leurs dirigeants et leurs produits et services. Ce qui compte, c’est de rétablir l’image de la marque, de la structure et de ses dirigeants dans l’esprit du public, au sens large. Si je pense aux banques, par exemple, leur autorité de tutelle est la CPR à qui ils rendent des comptes et ils ne peuvent donc absolument pas se permettre de ternir leur réputation.
On se trouve démuni face à ce type de comportement, mais il est assez facile d’identifier les auteurs des propos diffamatoires quand ce sont des salariés ou des concurrents, car ils ne savent pas très bien se cacher… Il est donc assez facile d’intervenir et obtenir réparation par la justice civile ou pénale.
Je souhaite ajouter un point que je trouve très important, car mal appréhendé par le public, c’est la relation légale avec les plateformes américaines (FB, Twitter etc..). C’est important car tout le monde les utilise !! Elles coopèrent avec la justice française, sous réserve toutefois qu’on aille au-delà de la simple mise en demeure. Mais, dans le cas où des contenus diffamatoires sont postés sur leur plateforme, elles exécutent, sous certaines conditions bien sûr, les décisions de justice qui sont rendues à leur encontre, même étrangères.
À Strasbourg, dans la nuit du 9 au 10 mars 2021, un incendie détruit le datacenter SBG2 et endommage le datacenter SBG1 du site d’OVHcloud. Le leader européen du cloud subi alors la plus importante catastrophe industrielle de son histoire et l’ensemble du site est mis hors tension.
Le 10 mars, entre 14000 et 16000 entreprises clientes d’OVHcloud découvrent que leurs sites web, applications et services SI ne sont plus disponibles. Les clients prennent contact avec le service support d’OVHcloud, remis en ligne le 11 mars à 1h22 du matin.
Le 11 mars, OVHcloud recommande à ses clients d’activer leur disaster recovery plan (Plan de Reprise d’Activité) dans une annonce sur sa page support. Le datacenter SBG2, hébergeant des serveurs et des back-ups, est complétement détruit par l’incendie et les données sont perdues. Certaines entreprises clientes déplorent donc une perte irrémédiable de leurs données. OVHcloud engage un suivi de situation sur les réseaux sociaux dans la journée. Ces annonces créent un vent de panique auprès des parties prenantes de l’entreprise.
Le 17 mars OVHcloud relance progressivement les datacenters SBG3 et SBG4 et fournit à ses clients une console de suivi de situation en temps réel.
Le 22 mars, la CNIL publie sur son site internet un document « Incendie OVH : faut-il notifier à la CNIL ? ». Ce document rappelle que les entreprises ont pour obligation de notifier la CNIL pour toutes indisponibilités et, ou pertes de données personnels et professionnelles. La CNIL annonce également que les entreprises impactées doivent en informer leurs clients. L’effet domino est officiel.
Entre le 11 mars et le 31 mars, OVH publie une note d’information sur son site de support et communique quotidiennement les réseaux sociaux.
Le 06 avril, des serveurs de substitutions sur d’autres sites sont proposés à tous les clients.
Contexte :
Évènement localisé à impact global, cet incident a eu des conséquences directes sur la gestion des risques dans les entreprises et les relations entre les parties prenantes. OVHcloud est au milieu d’une crise réputationnelle et stratégique en termes de gestion de ses parties prenantes.
L’incendie touche plus de 14000 entreprises françaises et mis hors ligne plus de 3,6 millions de sites internet en Europe. Cet incident soulève des enjeux réputationnels, juridiques, business, financiers et sociaux. En effet, d’une part OVHcloud se doit de conserver la confiance de ses parties prenantes et de sauvegarder sa crédibilité comme leader européen du cloud computing. D’autre part, pour ses clients, leurs enjeux sont d’assurer un plan de reprise ou de continuité d’activité et de faire état d’une indisponibilité ou d’une perte de données et donc d’en informer eux-mêmes leurs parties prenantes.
La communication de crise d’OVHcloud :
OVHcloud publie le 11 mars 2020 à 11h un communiqué sur les conséquences de l’incendie sur sa page support.
Ce communiqué enclenche la communication de crise de l’entreprise. OVHcloud doit faire preuve de rationalité, d’empathie, de disponibilité et de transparence dans sa stratégie de communication. Dans ces communiqués, on retrouve les critères d’empathie avec « nous savons l’importance cruciale que cela revêt pour eux (les clients) » ; de rationalité de l’information avec une chronologie chiffrée (date, heure, nombre d’acteurs…) ; ou encore de disponibilité avec la volonté d’informer avec « la plus grande transparence sur ses causes et ses impacts. » Dès lors, OVHcloud publie un communiqué complet à une fréquence quotidienne (tous les après-midis entre le 11 et le 31 mars) sur le suivi de la situation et des mesures prises pour ses clients.
Le 11 mars à 16h40, Octave Klaba (fondateur d’OVH) prend la parole dans une vidéo de 8 minutes publiée sur son compte LinkedIn et Twitter. Le fondateur d’OVHcloud utilise ce format deux autres fois au cours du mois de mars (le 16 mars à 20:30 et le 22 mars à 18:00). Ces vidéos permettent de communiquer rapidement de l’information et « d’humaniser » la situation.
L’entreprise ne se pose pas en victime de la situation et expose clairement sa volonté de coopérer avec ses parties prenantes. À titre d’exemples, l’offre de 6 mois de gratuité des services OVH aux entreprises impactées est une action concrète envers les parties prenantes. Il y a également l’annonce du partage des résultats des recherches en « gestion des risques d’incendie dans un datacenter » avec un maximum d’entreprises pour éviter de futurs incidents.
Au 16/04/2021 lors de la rédaction de cet article, soit 43 jours après l’incendie, la stratégie de communication se veut « omnicanal » et l’entreprise utilise des FAQ (FR, EN), ses sites de supports « travaux », le compte Twitter et LinkedIn d’Octave Klaba et d’OVHcloud et la plateforme communautaire OVHcloud Community (FR, EN).
Aussi, la principale contrainte est l’étendue des parties prenantes. OVHcloud est présent dans 19 pays et fournit 1,5 millions TPE, PME, ETI tels que les 155 des 1000 plus grands groupes européens. La gestion de la relation des parties prenantes et la stratégie d’alliés d’OVHcloud est complexe, car elles impliquent de prendre en considération une multitude de problèmes et d’attentes. Chaque entreprise définit une stratégie SI en fonction de l’impact de la donnée sur son business model et cette diversité rend la communication de crise plus difficile et moins sur mesure. L’étude de Saper Vedere illustre cette complexité. L’étude présente que chaque partie prenante a ses propres attentes en matière de réponse à la situation. Les résultats montrent que la communication de crise incarnée par son CEO permet de conserver la confiance des parties prenantes et ne crée de « paracrise mobilisant les équipes et les ressources [de l’entreprise] sur autre chose que le rétablissement de son activité ».
La stratégie de communication de crise d’OVHcloud a néanmoins quelques points d’améliorations sur le ciblage et sur la gestion de la marque-employeur. D’une part, bien que la communication touche un maximum de parties prenantes, OVHcloud publie un contenu technique utile pour les DSI et experts métiers mais opaques pour les néophytes et les organisations sans expertise dans les systèmes d’information. L’engagement de transparence et l’étendue des parties prenantes déséquilibrent le ciblage de la communication et on ne comprend pas quelles sont les parties prenantes ciblées. Par exemple, les informations techniques sous forme de schémas techniques, de photos et de graphes semblent être destinés à un public technique. Par ailleurs, il n’y a pas d’information sur la gestion de la crise par les employés, comme par exemple la gestion du stress et la nouvelle organisation de crise.
La gestion des rumeurs
Le management d’OVHcloud n’hésite pas à démentir les informations fausses publiées par les internautes. Premier exemple, Jean-Michel Blanquer (ministre de l’éducation nationale) accuse OVHcloud d’être à l’origine des dysfonctionnements de la plateforme de cours à distance ENT. C’est le P-DG d’OVHcloud, Michel Paulin, qui dément immédiatement cette information dans un tweet. La prise de position d’un personnage public comme le Ministre de l’Éducation nationale a un impact fort pour l’entreprise française habituée à être soutenue par le gouvernement. En effet, en octobre 2019 le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire avait demandé à Dassault Systèmes et OVH de travailler sur la mise en place d’un « cloud de confiance » à l’échelle française et européenne pour contourner le Cloud Act américain. OVH avait répondu favorablement à la demande du gouvernement et souhaitait se positionner comme la solution de cloud computing de référence française. La réputation de l’entreprise est donc mise à mal avec cette accusation et la rectification immédiate à cette fausse information permet de conserver la crédibilité d’OVHcloud dans la sphère numérique française.
Deuxième exemple, la rumeur sur le classement Seveso du site de Strasbourg due à une erreur d’information dans un tweet des Pompiers de France. Une information immédiatement rectifiée sur la page support d’OVHcloud avec une main courante. L’information a ensuite été corrigée par les Pompiers de France.
La gestion de crise chez les clients d’OVHcloud
L’incident technique du 10 mars est à l’origine d’un effet domino sur le plan commercial et technique et pour l’ensemble du numérique français et européen.
D’abord, les clients critique le manque de professionnalisme de la part d’OVHcloud. En effet, le service payant et premium de Private Cloud permettant de réaliser des sauvegardes se trouvaient dans le datacenter détruit par l’incendie. Les private cloud détruits représentent 20% des sauvegardes. OVHcloud réagit immédiatement en suspendant les facturations et en proposant des infrastructures alternatives gratuitement à tous les clients impactés. Dans le même temps, les concurrents d’OVHcloud profitent de la situation pour critiquer ce choix sur les réseaux sociaux et attirer les clients mécontents et sans solution.
Le système anti-incendie est aussi critiqué sur les réseaux sociaux. Les datadenters n’étaient pas munis de réseaux anti-incendie à l’instar des infrastructures concurrentes. La question du positionnement de marché low-cost des services OVH est donc critiquée par les médias et les internautes.
La mise hors ligne de sites internet a également un impact potentiel sur le référencement des sites dans les pages de résultats des moteurs de recherche et sur l’expérience utilisateur. Aussi, pour les entreprises dotées d’une sauvegarde locale, celles-ci ont mis en ligne des sites non à jour présentant aux clients des informations obsolètes et créant une expérience utilisateur non optimale. Selon des experts en SEO, pour pallier cette problématique les entreprises devront augmenter la fréquence de leur communication sur les réseaux sociaux et investir dans les services de régie publicitaire pour améliorer le référencement de leur site.
Les leçons tirées de la gestion de crise d’OVHcloud
L’incident du datacenter d’OVHcloud est un bel exemple où la maitrise technique d’une crise doit se coupler à la maitrise de la communication de crise. Une gestion technique d’une crise ne suffit pas pour sortir l’entreprise de l’épreuve sans ruiner sa crédibilité et l’ensemble des efforts et des ressources investis. OVHcloud a su montrer sa maitriser technique de l’incident grâce à son expertise et sa réputation dans l’univers du numérique. Aussi, contrairement aux multiples erreurs de Lubrizol, l’entreprise a adopté une position transparente, responsable et empathique vis-à-vis de ses parties prenantes. OVHcloud reste actif et communique lorsque ses parties prenantes l’écoutent. Cette maitrise de la communication de crise réduit les effets secondaires comme des para-crises et des sur-crises. En somme, le rôle de la communication de crise permet protéger la réputation de l’entreprise et conserver la confiance des parties prenantes, surtout avant une entrée en bourse pour OVHcloud.
L’affrontement entre la CGT d’une part, le gouvernement d’autre part sur le projet de loi El Khomri a vite été qualifié de « crise sociale ». Or, ce n’est pas une crise sociale. Et ceci pour plusieurs raisons.
Une mobilisation très minoritaire
La première, c’est que les désordres récents, actuels et à venir n’auront entraînés qu’un très petit nombre de salariés. La police a parlé, pour la journée du 26 mai, de quelque 150 000 participants pour toute la France. Rappelons que la CGT compte quelque 600 000 adhérents. Si on y ajoute Force ouvrière, Solidaires et la FSU, cela doit représenter un total de quelque un million d’adhérents. Autrement dit, les manifestants ne représentent guère que 15 % des adhérents des organisations qui ont appelé à la mobilisation. C’est donc dérisoire. On ajoutera que les organisations syndicales qui acceptent le projet de loi, tel qu’elles l’ont négocié dans sa version actuelle, CFDT en tête, représentent à peu près autant d’adhérents que celles qui la refusent. Il s’agit donc, par rapport à l’ensemble des salariés, d’un mouvement très minoritaire.
A cela s’ajoute le fait que le nombre de sites qui se sont mis en grève se limitent à quelques dizaines : raffineries de pétrole, centrales nucléaires et imprimeries de presse. Mais évidemment, ce ne sont pas n’importe lesquelles et cela se voit. Il s’agit donc, et Philippe Martinez lui-même l’a affirmé, de « bloquer le pays ». On ne peut s’empêcher de penser aux techniques insurrectionnelles, telles qu’elles étaient enseignées à l’époque où le secrétaire général de la CGT militait à la « CGT Renault », la « forteresse ouvrière » qu’elle a cessé d’être depuis. On observera par ailleurs que le mouvement est finalement assez peu suivi à la SNCF et à la RATP et que si les salariés d’Air France et de l’aviation civile s’y mettent, ce sera pour des raison qui leur sont propres. L’effet médiatique et la gêne occasionnée aux Français ne doivent pas faire illusion. La CGT, en réalité, a très peu de ressorts pour mener son action.
Une crise sociale qui n’en est pas une
La comparaison s’impose, bien évidemment, avec les crises sociales qui ont jalonné notre histoire sociale : 1906, 1936, 1947 et 1968. Rappelons qu’en 1936 et en 1968, le mouvement était parti de la base. En 1936, la CGT avait été totalement prise au dépourvu ; son secrétaire général, Léon Jouhaux, alors en déplacement à Genève, où il participait à une réunion du BIT, s’y étant décidé trop tard faute d’avoir cru en l’importance du mouvement, n’avait pu revenir en France, les trains étant en grève. En 1968, la CGT avait même manifesté son hostilité au mouvement étudiant, le qualifiant de « petit bourgeois », et si elle avait pris le train, c’est quand il était déjà en marche et parce qu’elle s’était montrée incapable de l’arrêter.
Reste donc 1906 et 1947. En 1906, les anarchosyndicalistes avaient tenté de provoquer une « grève générale » le 1er mai afin d’imposer leur programme de réduction de la durée du travail. Il était alors question de « la journée de huit heures ». Ce fut un échec. Quelques dizaines d’années plus tard, à l’automne 1947, il s’agissait de faire tomber le gouvernement socialiste pour des raisons géopolitiques : on était alors au début de la guerre froide et les communistes venaient d’être exclus du gouvernement par le président du Conseil Paul Ramadier. Après avoir tenté d’étouffer le mouvement, qui était parti des usines Renault au printemps (« la grève est l’arme des trusts contre la classe ouvrière », affirmait alors Benoît Frachon), la CGT se lance donc, en appui du Parti communiste, dans une action insurrectionnelle visant à faire tomber le gouvernement. Résultat : la création des compagnies républicaines de sécurité (CRS) et la scission qui, à la fin de l’année, débouchera sur la création de la CGT-Force Ouvrière.
Philippe Martinez, à travers sa politique d’affrontement, joue donc gros jeu. Il bénéficie du soutien des militants membres ou sympathisants du Parti de gauche ou du Nouveau parti anticapitaliste, de plus en plus influents dans les rangs de la CGT compte tenu de la marginalisation du PCF. L’étendue de ce noyautage reste à préciser ; mais il est important ; il se dit par exemple que le chef de cabinet de Philippe Martinez serait membre du NPA, donc trotskiste, ce qui serait une première à la CGT. Toutefois, cette ligne directement inspirée de la vulgate marxiste ne suscite pas l’unanimité au sein de la centrale. Nombre de militants CGT, sur le terrain, n’en tiennent aucunement compte dans leur politique d’action quotidienne ; et au niveau national, nombre d’opposants, et non des moindres, ont été marginalisés, se taisent – au moins pour l’instant -, ou ont « démissionné avec leurs pieds »,. Philippe Martinez pourrait donc payer son probable échec par un retour des partisans d’une ligne plus constructive.
Le masque d’un affrontement politique
La CGT, de 1947 à 1989 (l’année d’ouverture du mur de Berlin), était contrôlée par le Parti communiste. On n’y reviendra pas. Avec l’effondrement de l’Union soviétique et du bloc de l’est, ses secrétaires généraux successifs, Louis Viannet puis Bernard Thibault, s’efforcent alors de la préserver en prenant leurs distances avec le PCF. Il s’agit pour eux de revenir aux pratiques de la vieille CGT : démocratie interne et politique d’action fondée sur la recherche de compromis. Mais ils se heurtent à deux obstacles. D’une part, ceux qui continuent de se comporter comme ils le faisaient dans les années soixante-dix, comme si rien n’avait changé ; d’autre part, l’influence croissante des trotskistes, qui prennent la place laissée vacante par le Parti communiste. C’est donc sur les uns et sur les autres que s’appuie le nouveau secrétaire général élu au congrès de Marseille, voici quelques mois, Philippe Martinez. L’offensive de la CGT dissimule donc une arrière pensée qui n’a pas grand chose à voir avec le contenu concret du projet de loi sur le travail : elle exprime la politique de « la gauche de la gauche », telle qu’elle s’oppose à la ligne social-démocrate mise en œuvre par François Hollande et Manuel Valls. Donner raison à la CGT en retirant le projet, voir même en le transformant autrement qu’à la marge, reviendrait, pour l’exécutif politique, à donner raison au Parti de gauche et aux socialistes dissidents. Il ne saurait donc en être question, sauf à se saborder.
Compte tenu de la tournure que prennent les évènements et de la faible participation au mouvement, deux issues se présentent donc, sachant que l’exaspération des Français devant les blocages risque de s’accroître. La première, c’est pour le gouvernement de sonner la fin de la récréation, en évitant toutefois toute provocation, mais en ne faisant aucune concession à la CGT. C’est ce qu’avait fait le socialiste Ramadier en 1947. Philippe Martinez devrait alors manger sa cravate et ce ne serait pas sans conséquences sur son leadership à l’intérieur de la CGT. Deuxième issue possible : lui concéder quelques aménagements de détail dans le texte de loi afin de lui sauver la face et de répondre aux voeux de certains député socialistes en vue du prochain vote à l’assemblée nationale. Face à ces deux issues possibles, la CFDT, qui représente l’option social-démocrate sur le plan syndical, s’est mise en position d’attente et il ne serait pas surprenant que Force ouvrière en fasse autant quand la confédération verra dans quel sens tourne le vent. Ceci suppose toutefois que le gouvernement, qui ne serait pas à un faux pas près, évite toute erreur au cours des prochaines semaines, et cela n’est pas garanti à l’avance.
Les enjeux pour les acteurs en présence
Pour les différents acteurs en présence, les enjeux sont donc décisifs.
Du côté de l’exécutif politique, le fait de céder à la CGT en retirant le texte, voire même en l’amendant substantiellement (notamment sur le fameux « article 2 »), aurait deux conséquences fâcheuses. D’une part, ce serait accorder la victoire à tous ceux qui, au sein de la gauche, contestent son orientation ouvertement social-démocrate, ceci déterminant le devenir politique aussi bien du premier ministre que du président de la République. D’autre part, ce serait désavouer la CFDT, c’est à dire son allié syndical, au bénéfice d’une conception jusqu’auboutiste du syndicalisme. La possibilité même de réformes substantielles serait donc annihilée, et cela bien au delà de l’actuel quinquennat. A l’heure où ces lignes étaient écrites, le scénario le plus probable était donc que le Sénat rétablirait certaines dispositions auxquelles le gouvernement avait renoncé, puis que l’Assemblée nationale rétablirait texte initial, non sans débats préalables qui permettraient au premier ministre d’affirmer qu’il a vaillamment résisté aux pressions de la Droite.
Côté CGT, Philippe Martinez risque d’être rendu responsable de cet échec, même s’il parvient à sauver la face, peut-être avec l’aide du gouvernement. Ceci aura pour effet de renforcer les tensions à l’intérieur de la CGT. D’un côté, il y aura ceux qui feront de la surenchère autour de la conception traditionnelle des « luttes syndicales ». Mais de l’autre, les « modernistes » condamneront une politique aussi archaïque et désastreuse. Quant aux adhérents, ils seront partagés entre deux tendances : « voter avec leurs pieds », ce qui aurait pour effet de réduire encore la « base sociale » de la CGT, soit manifester leur indifférence pour les gesticulations confédérales, ce qui est le cas d’un très grand nombre de syndicats, et peut-être même de la majorité d’entre eux.
Embusquée dans son silence, la CFDT ne pourra évidemment qu’en tirer profit, sachant qu’elle n’a aucun intérêt à venir trop ouvertement en aide à un exécutif politique largement discrédité dans l’opinion. Quant au MEDEF, il n’existe pas, sinon pour affirmer que la CGT est constituée de « voyous » et pour proférer des menaces par SMS à la présidente de la CFE-CGC. L’organisation patronale paraît ainsi placée sous l’influence de quelques personnalités qui paraissent tout ignorer du jeu social. D’où une politique ponctuée de coquecigrues et dont les zigzags témoignent d’un manque évident de professionnalisme.
Dernier point : l’appui passif d’une majorité des Français à l’hypothèse d’une retrait du projet de loi, dont font état les sondages, ne témoigne en rien d’une approbation de la politique de la CGT ni d’une quelconque désapprobation d’un projet dont ils ignorent largement le contenu mais du discrédit jeté sur l’action de l’exécutif politique. En affirmant être « contre le projet de loi », on affirme son manque de confiance en l’action du gouvernement. La crise, si crise il y a, n’est pas une crise sociale, mais la manifestation d’une crise politique.
Le nouveau président du Groupe Air France, Jean-Marc Janaillac a du souci à se faire pour opérer le redressement de la compagnie. Il aura suffi d’un grain de sable administratif, suivi d’un pataquès en ce qui concerne sa communication, pour tout compromettre.
Une annonce délicate dans un contexte sensible
La Direction d’Air France était donc engagée dans une négociation difficile en vue de la création d’une filiale low cost dont le personnel aurait bénéficié, bien entendu, d’avantages moins élevés que ceux du personnel de la société-mère.
Une réunion du comité central d’entreprise a lieu le 23 février. Des documents lui sont communiqués conformément à la loi. Parmi eux, la rémunération globale des quinze plus hauts salaires. Les élus du personnel découvrent alors que les membres du COMEX, en 2016, ont vu leur rémunération progresser de 41% par rapport à l’année précédente. Réplique embarrassée des représentants de la Direction : ce chiffre résulte « d’une mauvaise imputation comptable » ; ce n’est pas 41% mais 17,6% (seulement). C’est moins, il est vrai, que les 65% d’augmentation de la rémunération d’Alexandre de Juniac, avant son départ en 2015, qui avaient suffisamment fait scandale à l’époque.
Sidération et étonnement côté syndicats
Il y a de quoi être furieux. Les syndicats contre la Direction et Jean-Marc Janaillac contre les administratifs qui ont mis le feu aux poudres, peut-être en imaginant que ça passerait inaperçu, et qui ont ainsi compromis sa négociation. Croyant calmer le jeu, il explique, dans Le Parisien du 3 mars que les rémunérations individuelles n’ont en réalité augmenté que d’un peu plus de 5%. Et il le dit alors que la NAO (Négociation Annuelle Obligatoire) sur les salaires va s’ouvrir le 7 mars.
Mais il y a mieux : la raison qu’il donne à cette augmentation en est « la part variable des salaires liée à l’amélioration des résultats de la compagnie ». Les agents d’Air France, devant lesquels on ne cesse d’évoquer la nécessité de se serrer la ceinture, auront bien compris que les efforts qui leur sont demandés, à eux, n’y sont pour rien.
Conclusion
Voilà Air France reparti dans un cycle de mouvements de grève. Quant à la compagnie low cost, elle risque au mieux d’être retardée. On se contentera d’observer qu’il est étonnant, venant d’une entreprise qui, sur le plan technique, a plutôt bonne réputation dans le milieu, de manifester une telle nullité dans le domaine des relations humaines et sociales. Explication probable : l’accumulation, depuis des décennies, de pratiques fondées sur une culture technique et un sentiment profond de supériorité, venant de « ceux qui savent », par rapport à « ceux d’en bas ». réflexion d’une hôtesse, à la dépose bagage d’Orly : « si la Direction descendait un peu sur le terrain, on n’en serait pas là ». Elle a parfaitement raison.
Ce mois-ci, c’est Cash investigation qui a attiré l’œil d’EH&A Consulting. Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à une émission qui existe depuis 2012 ?
Diffusée le 19 septembre 2017, l’enquête « Travail, ton univers impitoyable » a dévoilé des conditions de travail choquantes chez l’opérateur Free et le distributeur Lidl. Stress, harcèlement, burn-out, les révélations de Cash Investigation mettent en péril la réputation des deux enseignes. Jusque-là, rien de très nouveau pour l’émission qui avait déjà utilisé la même recette avec Zara, SCNF, L’Oréal, Apple ou Ikea. Ce sont moins les propos de l’enquête que ses conséquences qui nous ont interpellés.
Si les enquêtes de Cash Investigations provoquent généralement des réactions importantes sur les réseaux sociaux, c’est la première fois qu’une émission télévisée soit le déclencheur d’un mouvement social dans une entreprise. En effet, le lendemain de la diffusion de l’enquête, un mouvement de grève débute chez Lidl.
Revenons sur une émission qui s’est révélée être le déclencheur d’une crise sociale.
Rappel des faits
Lidl, entreprise allemande implantée en France depuis 1988, rassemble 25 000 collaborateurs sur 1 500 magasins. Le 19 septembre, un employé de Lidl est licencié pour faute grave. Sa faute ? Avoir quitté son poste 23 minutes plus tôt que prévu. Les employés du site, scandalisés, décident de débrayer le jour même.
Ce n’est pas la première fois que Lidl est accusée de licenciement abusif. En 2014, l’enseigne avait perdu un procès au prud’homme pour avoir renvoyé une employée pour faute grave après la consommation d’une viennoiserie à 39 centimes.
Le 19 septembre au soir, hasard de calendrier, Cash Investigation diffuse sa nouvelle enquête qui pointe du doigt les méthodes de management de Lidl. Pendant la diffusion de l’émission, on observe des centaines de réactions sur les réseaux sociaux. L’écart entre l’image sympathique cultivée par l’entreprise et les révélations de l’enquête engendre un véritable buzz.
Dès le lendemain matin, les salariés de l’entrepôt de Lidl de Rousset dans les Bouches-du-Rhône entrent en grève. Ils bloquent les camions, et, portés par l’élan généré par Cash investigation, exigent un changement des pratiques de management et la réintégration de leur collègue licencié. Le Figaro rapporte que le délégué syndical CGT, Christophe Polichetti, avait été soulagé de voir l’émission. Le lendemain, la grève prend fin suite aux engagements de la direction sur les pratiques managériales et à la requalification du licenciement de leur collègue en « licenciement abusif ».
Suite au reportage, les témoignages se multiplient. Accusée de réduire ses préparateurs « à l’état de robot » avec le système de commande vocale dans les entrepôts, Lidl doit aussi répondre de la cadence imposée aux caissières sous un prétexte de polyvalence. Les salariés accusent Lidl d’avoir oublié l’humain dans la recherche d’une productivité maximisée.
Une communication qui met le feu aux poudres
Lidl a assuré un suivi et une bonne réactivité en direct de la diffusion de l’émission sur les réseaux sociaux.
L’entreprise a fait le choix d’ouvrir ses locaux et d’accorder aux journalistes de Cash Investigation une interview de 2h30. Mais le manque de préparation du porte-parole leur a fait défaut.
En effet, le vice-président des relations sociales et humaines, Denis Maroldt semble bien mal à l’aise. Après avoir écouté l’enregistrement dans lequel un responsable menace son employé et lui dit « je te cartouche » et « t’es mort », Denis Maroldtdéclare que cet enregistrement est « sorti de son contexte ». Il confond même les « indemnités » et le « chômage », l’un distribué par l’entreprise, l’autre par le Pôle Emploi. Ce manque de préparation est d’autant plus étonnant que Cash investigation est connue pour mettre les dirigeants et leurs représentants en difficulté.
Lidl essaye de rattraper le coup dans les jours qui suivent et fait preuve de bons réflexes : l’écoute, le mea culpa, l’ouverture. Denis Marolt déclare au Figaro que « le reportage ne reflétait pas nos pratiques. Ce qui est montré dans le reportage, ce sont des situations isolées ». Il concède néanmoins « qu’il y a des efforts à faire pour améliorer les conditions de travail des salariés dans l’entreprise ».
Lidl diffuse également un communiqué le mercredi 27 septembre répondant point par point aux accusations. Ils mettent en avant sa politique de transparence (ouverture des locaux et interview de 2h30) et les améliorations au sein du groupe grâce aux matériels et aux formations.
Lidl n’a pas fait l’erreur de répondre à chaud, mais assure que « la moitié des inaptitudes que nous constatons sont liées à des problèmes de santé personnels et non professionnels ». L’UNSA appelle à la grève. Lidl subit également ses alliés, maladroits et mal choisis. Cyril Hanouna prend la défense de l’entreprise dans son émission Touche pas à mon poste, mais les internautes dévoilent que Lidl est l’un des plus gros annonceurs de l’émission.
Enfin, la position défensive de Lidl remet de l’huile sur le feu. Jeudi 19 octobre, Lidl relance elle-même le buzz en annonçant vouloir porter plainte contre X pour « transmission de documents confidentiels » à France 2.
Ce qu’il faut retenir
Bien que de nombreux signaux forts étaient présents Cash investigation s’est révélée être le déclencheur de crise sociale. Ce cas, bien qu’inédit, est peut-être le premier d’une longue série.
Il faut impérativement se préparer à une interview, d’autant plus si le journaliste est réputé hostile.
Ce bad buzz pourrait avoir un impact négatif sur Lidl pour de nombreuses années.
Il faut toujours veiller à la tentation du bon droit et le déclenchement du juridique, car c’est souvent inadapté. Porter plainte pour divulgation de documents qui mettent en accusation l’entreprise va forcément relancer la polémique et ne contribuera pas à restaurer la réputation de Lidl auprès du grand public.
Aux premières heures du confinement, nos experts se sont penchés sur la question du « leader confiné » dans le cadre d’un premier webinaire que vous pouvez retrouver ici : https://www.youtube.com/watch?v=ww6Uu4WOJNM
Nous avons tenté d’analyser pendant cette période inédite quel était le leadership approprié en temps de crise et à distance.
@EH&A
Mais comment managers et décideurs ont-ils vécu cette crise de leur côté ? Personnellement et professionnellement ?
Lors de la crise sanitaire, le MEDEF a réalisé deux enquêtes afin de connaitre « l’impact » de cette crise sur « l’état d’esprit des chefs d’entreprise », entre leurs difficultés rencontrées et les initiatives positives qui ont pu découler de cette crise.
L’étude s’intitule « les dirigeants face à la crise sanitaire ». Elle a été réalisée entre le 27 mai et le 5 juin 2020. Ce ne sont pas moins de 1 203 chefs d’entreprise qui ont été interrogés.
Les résultats indiquent plusieurs points d’attention. Le premier étant l’inquiétude des dirigeants concernant la pérennité de leur structure. L’avenir de leur entreprise (encore aujourd’hui pour beaucoup) reste incertain.
L’étude montre toutefois que les dirigeants se sont servis de cette crise pour rebondir. Les inquiétudes ont été nombreuses, le stress très important, mais ce dernier était un véritable facteur « stimulant ».
Pour « pallier la perte de chiffre d’affaires », les entreprises se sont penchées sur une nouvelle manière de travailler en développant la digitalisation, de nouvelles habitudes et se sont réinventées en termes de logistique, en repensant l’organisation des locaux, des horaires, des déplacements.
Par ailleurs, la « confiance dans le collectif de l’entreprise » est aussi notable. À distance, les managers et chefs d’entreprise ont dû entretenir plus que jamais la communication avec leurs collaborateurs. La confiance s’en est trouvée renforcée.
Un dernier point est à aborder. La plupart des interrogés ont confié avoir eu beaucoup de difficultés à prendre du temps pour eux « en dehors de leur entreprise ». Par ailleurs, ils ont constaté que la conciliation entre « leur vie personnelle et leur vie professionnelle » était délicate. Dans ce cadre, l’étude est illustrée par une cartographie des impacts de la crise sanitaire sur la performance et le bien-être des dirigeants.
@MEDEF
Cette problématique du bien-être au travail se retrouve dans une seconde étude réalisée du 6 au 18 mai par Kantar qui avait pour thème « la perception du climat au travail pendant la crise sanitaire ». 1 502 salariés issus du secteur privé ont répondu à cette enquête.
La crise sanitaire mondiale que nous vivons engendre de profonds bouleversements sur notre façon de travailler.
Comment capitaliser au sein de votre entreprise sur ce qui a été bénéfique et qu’il faut garder, sur ce qui est perfectible mais intéressant et sur ce qui au contraire, était compliqué et qu’il faut éviter ? Comment rassembler tous les employés pour en parler et recueillir ces informations précieuses, à distance et tous ensemble.
Nous avons développé une méthode qui permet en vingt minutes de mobiliser l’intelligence collective de l’ensemble des collaborateurs de votre entreprise, sans distinction entre cols blancs et cols bleus, pour engager, ensemble, une réflexion sur le monde de demain.
La crise sanitaire que nous connaissons depuis le printemps aura eu un effet concret sur l’organisation du travail. Elle a mis en lumière ce qui, avant, demeurait limité : le télétravail (17% des actifs y avaient déjà eu recours avant le premier confinement[1], seulement 12% télétravaillaient au moins un jour par mois, il y a huit ans[2]).
Par effet de cliquet, il est depuis venu s’imposer. Certains grands groupes ont annoncé sa généralisation, comme PSA, souhaitant, dès lors, revoir en profondeur leur organisation. Côtés salariés, même s’il ne s’applique pas à tous, le télétravail a suscité un certain engouement (44% des actifs ayant pu télétravailler au printemps l’ont fait, 79% souhaiteraient y recourir plus souvent[3]).
Pourquoi devriez-vous porter une attention particulière aux conséquences de cette nouvelle organisation ? :
Ce plébiscite ne doit pas occulter les risques liés à sa pratique. Car si cette nouvelle organisation a nourri nombre de débats et occupé le temps médiatique, la conjugaison d’effets inhérents représente autant de facteurs de crises pour l’entreprise qui n’ont cependant été peu observés.
Pour l’employé, travailler en dehors d’un espace de travail destiné par essence à cet usage fait naître de nouveaux enjeux physiques et psychologiques. La moindre distinction entre univers personnel et professionnel, la « néotaylorisation »[4] et le surcroit de travail constaté associés à l’absence de lien social et la dégradation des relations (40% des télétravailleurs[5]) laissent présager un accroissement des risques psychosociaux (burn-out, arrêts de travail…). Et les nouvelles conditions du deuxième confinement (maintien de l’école) ne les ont pas réduits : « On est reparti à l’identique, sans prendre le temps de stabiliser de nouveaux modes de fonctionnement à distance, note Natalène Levieil, spécialiste des risques psychosociaux au sein du cabinet LHH (ex-Altedia). En mars, on avait vu venir les problèmes d’isolement pour les personnes fragiles, ou de chevauchement vie privée-vie professionnelle, mais on n’avait pas anticipé la montée des tensions au sein des équipes »[6].
Dans un premier temps, ces risques psycho-sociaux sont couverts par les organismes sociaux : les indemnités journalières versées en cas d’arrêt maladie ont augmenté de 29,9 % entre janvier et août, pour l’Assurance Maladie[7]. L’entreprise pourraient néanmoins en subir les répercussions sur son organisation (moindre mobilisation disponible) et, à moyen terme, sur ses finances (hausse des charges sociales, procédures juridictionnelles…).
Le télétravail, par ailleurs, étend la responsabilité de l’entreprise aux accidents du télétravailleur à domicile. L’employeur, étant tenu vis-à-vis de ses salariés à une obligation de sécurité de résultat, doit prendre les mesures nécessaires pour préserver leur santé et assurer leur sécurité.
« Le Code du travail prévoit expressément, pour l’employeur, les mêmes obligations en matière de prévention des risques professionnels à l’égard de tous ses salariés, y compris ceux en télétravail.Ainsi, l’accident survenu sur le lieu du télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens des dispositions de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale. Si l’employeur peut contester le caractère professionnel de cet accident, il est en pratique difficile pour lui de démontrer qu’il a eu lieu en dehors du temps de travail ou est dû à une cause totalement étrangère au travail. » Maîtres Benoît Charot, Olivier Rivoal et Yéléna Nobou, avocats[8]
L’absence d’universalité du télétravail annonce un autre écueil. Le fossé pourrait se renforcer entre les postes pouvant en bénéficier et les autres. Cette nouvelle distinction cols bleus / cols blancs touche la société dans son ensemble. Pour les entreprises concernées le sujet est tout aussi primordial ; « cette crise accentue la fracture sociale », confirme, ainsi, Christophe Debien, psychiatre et responsable de pôle au Centre national de ressources et de résilience (CN2R)[9]. Celle-ci génère une rupture de la confiance et de l’écoute entre les employés et leur management qui se révélera préjudiciable en situation de crise.
Les risques intrinsèques apparaissent plus évidents. L’organisation en distanciel complexifie et impacte la sécurisation des données. Les télétravailleurs ont chez eux recours à des connections Wi-Fi non-sécurisées.
« Avec le télétravail, il arrive que les employés se connectent au système informatique de la mauvaise manière » Alessandro Roccati Senior VP de Moody’s coauteur de l’étude sur la hausse des cyberattaques contre les banques durant le confinement[10].
Le point vient s’aggraver pour ceux qui choisissent un lieu public à la merci des regards indiscrets. Il est ici intéressant de noter que les employés des jeunes entreprises sont plus négligents vis à vis des données sensibles. D’après une étude du spécialiste du stockage et de la gestion d’informations, Iron Moutain, parmi les employés sondés au sein de ces entreprises, 48% admettent avoir laissé des documents sensibles à la vue de tous dans un bureau, les avoir traités négligemment ou même les avoir oubliés ou égarés dans un lieu public. Soit deux fois plus que dans les sociétés plus établies (23% des employés)[11].
De nombreuses organisations tolèrent, par ailleurs, d’autres mises en péril : l’utilisation de messageries personnelles pour l’échange de documents professionnels (50 % des télétravailleurs) ou leur non-destruction (19 % d’entre eux jettent leurs documents à la poubelle)[12]. Au delà d’évoquer l’ampleur de la menace des cyberattaques – elles ont triplé contre les banques pendant le premier confinement[13] – les organisations doivent accroitre leur vigilance face à cette mise à disposition de données sensibles supplémentaire.
« Les entreprises laissent leurs employés utiliser leur ressource la plus précieuse, à savoir leurs données, en dehors du bureau sans même leur offrir les moyens d’appliquer les meilleures pratiques de gestion de l’information, notamment de stockage et de destruction sécurisés. Il est essentiel qu’elles étendent leurs procédures de gestion de l’information à leurs télétravailleurs et salariés distants. Et pas seulement pour leurs données numériques, mais aussi pour leurs documents papier, tout aussi susceptibles de tomber entre de mauvaises mains » alertait dès 2013, Marc Delhaie, Président-Directeur général d’Iron Mountain France[14]
Concomitamment, les conditions de travail évoquées rendent plus difficile le respect des normes (droit du travail, RGPD, réglementations sectorielles particulières…). Dans l’urgence, la vigilance portée à la conformité se réduit générant de nouveaux risques pour l’entreprise. « L’employeur est sans conteste le responsable du traitement des données personnelles, rappelle Maître Jérémie Giniaux-Kats, avocat. Si, le salarié peut engager sa responsabilité en cas de non-respect des dispositions d’une charte informatique, d’une clause de confidentialité ou d’une charte du télétravail, en cas d’amende prononcée par la CNIL, seul l’employeur sera tenu par la condamnation pécuniaire et ne disposera d’aucune action récursoire contre un salarié fautif.[15]
« L’employeur doit redoubler d’efforts pour assurer la sécurité des données personnelles qu’il permet à ses salariés de traiter, lorsque ces salariés travaillent hors les murs », Maitre Jérémie Giniaux-Kats, Avocat.
Que retenir et comment mieux anticiper les crises en tenant compte de cette nouvelle organisation ?
Le télétravail, décision collatérale au premier confinement, s’est imposé de lui-même. Ses écueils sont essentiellement apparus empiriquement. La conjoncture exceptionnelle n’a pas permis d’alternative. Il demeure néanmoins essentiel d’éviter l’accumulation de nouveaux risques dans la perspective d’une crise.
Dans chaque organisation, la manifestation d’une crise exogène à l’entreprise comme la crise sanitaire liée au Covid-19 doit alors générer un ensemble de réflexes incontournables :
>> la constitution d’une cellule d’anticipation dès l’annonce des premières mesures
>> l’ouverture de la cellule de crise avec des rôles clés répondant à des missions précises
>> l’allégement des agendas des membres de la cellule afin qu’ils puissent pleinement s’y consacrer
>> la cartographie des risques et l’analyse des évolutions défavorables corollaire
>> la bonne prise en compte de toutes les parties-prenantes en apportant un appui particulier au dialogue et à la communication interne, éléments clés pour éviter que des univers à deux vitesses et un climat social dégradé ne viennent s’ajouter aux facteurs de risques déjà identifiés.
La négligence de ces procédés de gestion de crise pourra à tout moment transformer ces exemples en nouvelles menaces pour l’entreprises sur les plans organisationnel, juridique, financier et réputationnel. A tout le moins, ils constitueront pour une crise potentielle des facteurs aggravants qu’il convient d’anticiper.
Fabien Mirabaud, anciennement avocat d’affaires spécialisé dans les fusions-acquisitions dans un prestigieux cabinet d’avocats à Paris, décide en 2002 de se réorienter pour devenir commissaire-priseur. Il est diplômé en 2008 de l’École du Louvre et fonde en 2010 la maison de vente MIRABAUD MERCIER. La Maison de Vente aux Enchères Mirabaud Mercier est sollicitée pour réaliser des expertises et des ventes aux enchères dans de nombreuses spécialités : mobilier et objets d’art, tableaux & dessins anciens, vins et spiritueux, haute époque et curiosités, montres, bijoux, etc.
Fabien Mirabaud est agréé de Drouot et également Officier ministériel. Il est aussi vice-président du syndicat des maisons de vente SYMEV, le seul et unique syndicat des commissaires-priseurs français.
Emmanuelle Hervé est partie à sa rencontre afin d’avoir son opinion sur la gestion de la crise du Covid dans le monde de l’art, et des maisons de vente.
Tout d’abord, y a-t-il une décote du marché de l’Art liée à la crise sanitaire ?
De manière générale, le marché est bon, les journées sont pratiquement les mêmes, le volume des ventes continue avec une légère diminution. Il y a une décote du mobilier ancien car il est difficile d’organiser des transports à l’heure actuelle. Mais à titre d’exemple, le marché des tableaux anciens a repris sa courbe d’il y a 30 ans ! Le marché des livres anciens aussi d’ailleurs. Ce qu’on a, on le vend bien. Toujours faut-il avoir des inventaires à réaliser, des œuvres à vendre, il est sûr que notre sourcing s’est allégé, nous faisons moins de découvertes, moins de jolies ventes. Nous avons souffert au début, pendant le premier confinement car on ne pouvait voir personne. Mais finalement, il y a eu un accélérateur des ventes en ligne, et c’est quelque chose de positif.
Alors, qu’est ce qui a changé depuis le Covid ?
La logistique est différente. C’est une logistique qui doit s’adapter à internet. Il faut envoyer beaucoup de photos et de vidéos des œuvres par exemple. Pour certaines ventes, la logistique s’est allégée, pour d’autres elle est très lourde, notamment en termes de transport. Les ventes sont désormais 100% dématérialisées, ce qui était déjà beaucoup le cas avant. Nous avons adapté l’accueil du public pour les expositions. Maintenant, nous organisons des visites sur huit jours et sur rendez-vous. Auparavant, l’exposition se faisait sur une journée. Heureusement que nous étions prêts ! Si cette crise était arrivée il y a 15 ans, ça n’aurait pas été pareil !
Avez-vous découvert de nouveaux clients ? Perdu des anciens ?
Nous avons perdu un type de clientèle : les acheteurs d’opportunités. Ceux qui achetaient un petit dessin à 400€, car ils avaient un coup de cœur. Mais nous avons gagné des acheteurs internautes. Le marché s’est enrichi, nous avons acquis des acheteurs internationaux.
Si nous revenons un jour à une vie normale, continuerez-vous ce système ? celui-ci élimine-il des coûts ?
Je n’ai pas de boule de cristal pour lire l’avenir, en revanche, les confrères se sont rendu compte que l’on pouvait réduire des coûts en dématérialisant ! Ayant dit cela, l’esprit fédérateur de Drouot reste essentiel. Vous savez, en temps normal, Drouot c’est 5000 visites par jour ! Il y a 17 maisons de vente différentes et une quinzaine de ventes par jour ! Avec les ventes dématérialisées, si chaque commissaire se met dans son coin, les acheteurs vont courir dans tous les sens car tout ne sera plus centralisé. Il faut toujours fédérer. Drouot est un lien fédérateur qui permettra aux gens de continuer de voir les objets.
Comment se sont débrouillées les grandes maisons comme Christie’s ou Sotheby’s face à cette crise ?
Contrairement à nous, Sotheby’s et Christie’s peuvent se permettre d’agir seuls, de ne pas passer par des plateformes fédératrices que la plupart des commissaires-priseurs utilisent. Par exemple, Sotheby’s a réalisé un gros coup médiatique au mois de juin, en vendant un triptyque du britannique Francis Bacon pour 86 millions de dollars ! Il s’agissait des premières grandes ventes entièrement à distance, sans public physiquement présent.
Et concernant le reste du marché de l’Art (foires, salons, galeries.) ?
Certains petits antiquaires souffrent de cette crise, car c’est un marché moins connu et qu’ils ne sont pas connectés à internet. Les grands antiquaires qui font des foires (la foire de Maastricht, la biennale des antiquaires) se réinventent en faisant des foires online. Concernant les foires d’art contemporain comme la FIAC, elles ont également suivi le mouvement des ventes en ligne.
Y a-t-il un nouvel enjeu particulier ?
Il y en a un. Il est légal, et concerne le droit de rétraction du consommateur. Le vrai enjeu pour nous c’est donc la logistique post vente. Le droit de rétractation en droit français donne au consommateur 14 jours pour se rétracter, à compter de la réception de la marchandise. Normalement, les ventes aux enchères ne rentrent pas dans ce droit. Or, si la vente se fait de manière 100% dématérialisée, le droit de rétraction s’applique. Certains acheteurs ne sont pas contents et cela peut créer des contentieux.
Selon vous, que pouvons-nous tirer comme leçon de cette période ?
Cette crise est un bouleversement, et un accélérateur de processus. Cette crise n’a fait qu’accélérer un processus qui était de toute façon inévitable : celui de la dématérialisation des ventes d’œuvres d’art. Le fait que les vendeurs acceptent d’avoir des ventes dématérialisées est formidable ! Il faut continuer à surfer sur le développement du numérique. Dans le futur, si nous pouvons combiner les ventes sur internet et celles à Drouot, nous aurons tout gagné ! Ce sera le bonus !
Découvrez le parcours d’Eric Minnaert, conseiller en anthropologie appliquée pour les organisations. Sa passion pour l’anthropologie lui a donné envie de soigner les entités sociales, comme les entreprises, en travaillant leurs fondamentaux culturels.
« Mes interventions en entreprise sont l’opportunité d’une reconnexion au réel par le partage de l’imaginaire de ses membres. C’est ici que j’aide l’interface du management à rendre réel ces imaginaires, par un repositionnement de sa responsabilité. » Eric Minnaert
Emmanuelle Hervé est allée à sa rencontre afin de comprendre comment l’anthropologie peut être mis au service de la gestion de crise.
Pourquoi l’anthropologie ?
Je voulais être préhistorien. Mon intérêt pour la préhistoire a révélé mon intérêt pour l’anthropologie. Je voulais comprendre comment une société pouvait vivre. Je me suis inscrit à la faculté de Nanterre, mais je n’ai pas aimé la manière dont était enseignée l’anthropologie. J’ai donc décidé d’aller chez les pygmées en Centre-Afrique et cette expérience m’a permis de mettre en lumière une problématique bien précise : pourquoi notre monde détruit le leur ? J’ai alors décidé de quitter le confort de cette discipline universitaire pour m’attaquer à des problématiques concrètes. Plus tard, je suis parti étudier à l’école des hautes études en sciences sociales auprès de Maurice Godelier (anthropologue et directeur d’études à l’EHESS).
L’anthropologie est un terme vaste, pouvez-vous nous éclairer ?
Dans sa définition la plus large, l’anthropologie c’est l’étude de l’homme sans limite de temps ni d’espace. L’idée est de comprendre une structure sociale précise à un moment donné de son histoire. J’essaye de reconstruire quelque chose à partir de sa culture (du groupe) pour qu’elle perdure.
Comment l’anthropologie peut-elle se mettre au service de la gestion de crise ?
Le commanditaire a une question simple : pourquoi les choses ne vont pas ? L’idée est de comprendre pourquoi les choses ne vont pas, et apporter des choix stratégiques de transformation.
Quelle est votre méthode ?
Moi je vais sur le terrain, écouter, parler, regarder faire. Je me mets en immersion totale avec les gens et j’oublie que je suis là en tant qu’anthropologue. Cela me permet d’avoir les clés pour comprendre l’entreprise, je peux desceller des problèmes à travers ce que je vis et ce que j’observe, puisque je suis extérieur à la situation. L’informel m’apporte beaucoup d’éléments. Je ne présuppose rien et j’essaye d’être le plus à l’écoute possible, en éliminant le plus de filtres possibles. L’objectivité est le but. Mais la vraie urgence, c’est de retrouver la capacité d’écouter les gens, donc je crée des groupes de paroles.
Pouvez-vous nous donner un cas concret ?
Il y a quelques années, j’ai été appelé dans un EHPAD. Je me suis enfermé pendant six mois comme eux, dans une chambre, qui est devenue mon bureau finalement ! L’immersion m’a permis de comprendre la douleur des proches, des patients et des résidents car ils côtoient la mort au plus près de sa réalité. J’ai aussi réalisé, qu’il fallait réintroduire le concept de la mort au sein de l’EHPAD. Les résidents ont l’impression qu’ils vont partir, comme les autres, sans laisser de trace. On parle de fin de vie, mais le concept de mort n’est pas abordé et j’ai réalisé qu’il fallait en parler avec les résidents, faire des interventions avec eux. Dès lors que les équipes s’emparent de ces questions, le management prend une nouvelle forme.
J’ai également beaucoup travaillé dans des hôpitaux, avec des équipes de soignants en crise, en burnout, les blocs opératoires ne fonctionnent plus. Je me suis souvent retrouvé au sein de petites équipes, ce qui fait que je suis devenu rapidement proche des gens et petit à petit, nous avons trouvé des valeurs communes. Pour vous donner une idée précise, dans ce cas-là, le problème venait de l’arrivée d’un nouveau chirurgien qui venait d’Angleterre, avec de nouvelles techniques d’opérations. Les professeurs de médecine au sein des équipes sentaient leurs savoirs mis en péril. Je pense que mon approche fonctionne particulièrement bien au sein des équipes de médecins, car dans leur monde tout est remis en cause en permanence. La science est faite pour être questionnée.
Quelle est la différence entre votre métier et celui d’un psychologue ?
L’anthropologue se concentre sur le groupe. Le psy va se concentrer sur le burnout d’une personne en particulier, moi je vais tenter de comprendre et analyser les dynamiques du groupe. Je travaille pour que le groupe puisse accepter l’individualité.
Comment parvenez-vous à leur dire ce que vous pensez ?
La clé, à 90%, c’est la diplomatie. On ne peut pas tout dire à un moment donné. La direction ne peut pas tout entendre. Avant de livrer mon résultat final, à l’oral, je fais attention à bien choisir mes mots, ne pas ajouter de désordre au désordre et surtout, anonymiser.
Vous travaillez seul depuis 30 ans, pourquoi ne pas recruter ou s’associer ?
J’ai essayé de trouver d’autres anthropologues qui sont indépendants comme moi, mais les gens ont peur de se lancer dans l’inconnu. Personnellement, j’aime ne pas savoir, être dans une sorte d’inconfort, cela me permet de m’adapter. Mais j’admets que cela ne peut pas convenir à tout le monde.
En 2008, Eric a co-écrit un ouvrage intitulé « Anthropologie du corps vieux ». Dans sa partie : « le corps vieux : un lieu de mémoire ?» il analyse les données récoltées dans le cadre d’une immersion de six mois dans une unité de soins longue durée. En plus d’être anthropologue, Eric est également professeur, il enseigne « Les grands enjeux contemporains » à Dauphine et à l’ICART, école du management de la culture et du marché de l’art.
La crise du Coronavirus est survenue brusquement et a provoqué l’apparition de nouveaux comportements au sein des populations. Des comportements auxquels il fut difficile de s’adapter de prime abord. Il a fallu réapprendre à vivre avec ce virus, modifier son style de vie, ses habitudes, tout ce que l’on connaissait. Ces comportements diffèrent suivant chaque pays et chaque culture car l’évolution du virus n’a pas été la même partout. L’approche de l’État vis-à-vis de la gestion de cette crise ainsi que ses relations avec sa population ont été gérées de manières différentes. Par ailleurs les effets psychologiques du confinement restent à déterminer, les spécialistes n’ont à l’heure actuelle, pas assez de recul pour en mesurer les conséquences.