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German Wings

En matière de communication de crise, les accidents aériens sont un domaine où les erreurs sont scrutées à la loupe et ne pardonnent pas.

Filiale à bas coûts de l’allemand Lufthansa, la jeune compagnie GermanWings se devait d’être exemplaire en ce domaine, au risque de se faire reprocher une négligence rapidement assimilée à une « sécurité low cost ». En effet, le grand public aura tendance à interpréter la manière dont une entreprise s’exprime dans la première heure qui suit un accident comme indicative de son attitude et de son professionnalisme. Une communication ratée, qui semble manquer d’empathie ou qui donne l’impression que l’on cherche à minimiser la gravité des faits peut laisser une tache durable sur la réputation de l’entreprise.

Quels enseignements peut-on tirer de la communication à chaud des différentes sociétés impliquées ?

Le crash de l’A320 de GermanWings est le premier accident d’avion de la filiale à bas coûts de l’allemand Lufthansa. En revanche, pour Lufthansa, compagnie réputée très sûre, il s’agit du troisième drame – le dernier en date étant un Airbus A320 qui s’était écrasé en Pologne en 1993. La maison mère de GermanWings dispose donc d’une expérience avérée en matière de communication de crise.

Interviewée sur BMFTV, Emmanuelle Hervé, spécialiste de la communication de crise, a commenté : « Lufthansa a mis en place une communication de crise solide et pertinente. On note d’abord la hiérarchisation volontaire du groupe : Lufthansa – marque mère – a pris la parole avant sa filiale, déjouant ainsi toute stratégie de bouc émissaire. On peut saluer la réactivité dont a fait preuve Lufthansa – rendue possible, sans aucun doute, par une préparation des plus sérieuses – tout comme sa capacité à formuler les bon messages, de la meilleure manière possible dans de telles circonstances. »

Ce professionnalisme et cette préparation n’ont cependant pas évité à la compagnie et à sa filiale low-cost de subir les critiques des média, alors que les causes du crash étaient encore inconnues. « GermanWings, Lufthansa dans la tourmente » titre ainsi l’Express/l’Expansion, qui juge l’accident catastrophe pour l’image de la société mais qui n’épargne pas non plus la filiale du transporteur allemand sous le titre « « Crash d’un Airbus A320 en France: la communication maladroite de GermanWings ». L’hebdomadaire reproche à GermanWings de « botter en touche sur les réseaux sociaux », et s’étonne de l’apparent optimisme de son PDG.

A video message from our CEO Carsten Spohr. #indeepsorrow http://t.co/ueQiAUVrnz

— Lufthansa (@lufthansa) 25 Mars 2015

Initialement, la compagnie allemande a posté plusieurs tweets sur son compte, ne confirmant pas le crash et disant que les premières informations seraient données dans l’après-midi à la presse. Une attitude qui a été vivement critiquée sur le réseau social.

… As soon as definite information is available, we shall inform the media immediately … — Germanwings (@germanwings) 24 Mars 2015

Certes, on peut regretter ces maladresses ainsi que l’emploi de certains mots dans le communiqué inital de Germanwings (12h49), qui donne l’impression d’avoir appris le crash par les médias, parlant même de « spéculation », mais les fondamentaux de la communication de crise ont bien été respectés : prudence sur les faits, refus de toute spéculation sur les causes, et surtout priorité à l’expression de l’empathie envers les victimes et leurs familles. On peut facilement imaginer la virulence des critiques si cela n’avait pas été le cas.

La tentation du cliché

Le fait est que les compagnies low cost ont mauvaise réputation : « peu fiables, avec une flotte plus ancienne et un personnel moins bien formé », autant de clichés, selon Stéphane Albernhe, président du cabinet de conseil dans l’aérospatial Archery Consulting, qui s’attache à les démentir un par un dans le Figaro du 25-03-2015.

Que peut donc faire la communication contre le poids de l’émotion et la tentation des clichés ? Une seule chose : se préparer. Seule une préparation méticuleuse permet d’adopter immédiatement la bonne attitude, avec ce qu’il faut de réserve sur le fond et d’empathie sur la forme. Dans un univers médiatique ou les quinze premières minutes peuvent détruire une réputation ou préserver ses chances de reconstruction, la moindre erreur se paie très cher. La proximité, la cohérence, la capacité à parler d’une situation tragique sans donner l’impression que l’on cherche à se protéger soi-même émotionnellement, tout cela ne s’acquiert qu’avec la pratique. Notre expérience en la matière nous enseigne qu’un porte-parole bien entraîné saura trouver les mots justes au moment critique à condition de rester centré sur l’essentiel. En matière de communication de crise, ce n’est pas la stratégie qui est difficile, c’est l’exécution.

Retour sur la rue de Trévise

En résumé…

L’explosion de gaz du 12 janvier 2019 à Paris constitue un cas typique de gestion de crise accidentelle. Si les moyens engagés ont été à la hauteur de la gravité de la situation, la caractérisation et la prise en charge des victimes peuvent encore être perfectionnée. L’enquête qui débute apportera sans aucun doute d’autres enseignements.

Crédits : Carl Labrosse, AFP

Chronologie

Le samedi 12 janvier 2019 vers 9 h du matin, une très violente explosion se produit dans une boulangerie située de Trévise, dans le 9ème arrondissement de Paris. Le souffle de l’explosion dévaste tout dans un rayon de 100 mètres autour du commerce. Bilan : 4 morts, dont 2 pompiers qui intervenaient sur une fuite de gaz, et 66 blessés.

Le samedi 12 janvier 2019 vers 9 h du matin, une très violente explosion se produit dans une boulangerie située de Trévise, dans le 9ème arrondissement de Paris. Le souffle de l’explosion dévaste tout dans un rayon de 100 mètres autour du commerce. Bilan : 4 morts, dont 2 pompiers qui intervenaient sur une fuite de gaz, et 66 blessés.


Une mobilisation importante

Le quartier de Trévise est densément peuplé et très touristique. Trois hôtels sont aux abords directs de la boulangerie. Les habitants, les touristes et les personnels d’interventions sont les premières victimes, avec des morts, des blessés et des personnes choquées. La catastrophe a physiquement et moralement atteint leurs centres vitaux : santé, sécurité, logement.

Les services de secours, sont eux aussi, en première ligne et durement touchés. Immédiatement après l’explosion, les 81 casernes de la capitale et de la petite couronne sont sollicitées. Près de 200 pompiers mobilisés, ainsi que 20 chiens dressés au sauvetage[1]. La priorité pour les services de secours est la prise en charge des très nombreux blessés. Dix médecins pompiers apportent les premiers soins, puis le Samu prend le relais. L’image la plus marquante sera sans doute celles des hélicoptères de la sécurité civile posés place de l’Opéra[2].

Les services de sécurité, dont la préfecture de Police de Paris, sont mobilisés pour la sécurisation du périmètre. Leur priorité est de faciliter les opérations de secours et d’éviter un éventuel sur-accident.

La gravité de la crise et le fait que la capitale soit touchée amène le politique à être partie prenante jusqu’au plus haut niveau : le préfet de police Michel DELPUECH s’est rapidement rendu sur place, suivi d’Edouard PHILIPPE, Christophe CASTANER et de la maire de Paris Anne HIDALGO vers 11 h[3]. La prise en charge des victimes sur le moyen terme est assurée par la Ville de Paris et la mairie du 9e arrondissement avec le concours de nombreux partenaires (Croix-Rouge, Protection Civile, Paris Aide aux Victimes, la Fédération Nationale des Victimes d’Attentats et d’Accidents Collectifs[4], les assureurs, etc.)[5]. Enfin, le gestionnaire du réseau de gaz est une partie prenante sur toute la durée de la crise : son objectif prioritaire est le raccordement des logements endommagés, et à terme, il devra gérer les éventuelles conséquences d’une mise en cause juridique.


Réguler des conséquences sur la durée

L’appel d’un locataire s’inquiétant d’une forte odeur de gaz arrive à la caserne Château d’Eau vers 8 h 30. À 8 h 45, une équipe de 6 pompiers est sur place, rue de Trévise[6]. Le point de rupture de la crise est une explosion due au gaz partant du sous-sol de l’immeuble. Selon le général Jean-Claude GALLET, commandant de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, l’action des deux pompiers qui intervenaient sur place a permis d’épargner « une vingtaine de vies », notamment par les consignes de confinement aux riverains[7]. Vers 10 h, trois postes médicaux avancés sont créés. Vers 11 h, un pompier porté disparu est sauvé des décombres, un sauvetage qui témoigne de la grande maîtrise des pompiers de Paris en matière de décisions d’urgence.

Mais passé le choc et les opérations de sauvetage du jour même, les conséquences doivent être régulées sur le long terme, illustrant la difficile articulation des temporalités sécuritaires, politiques, médiatiques, et judiciaires.

Pour informer et orienter au mieux les victimes, la Ville de Paris a créé une page internet dédiée. Le site identifie les immeubles impactés, donne des indications sur les démarches administratives à suivre et les dispositifs d’accompagnements mobilisables pour les particuliers et les professionnels. Ces dispositifs d’accompagnement vont du numéro vert à l’intention des blessés, aux mesures spécifiques, en passant par le soutien psychologique. Les différentes permanences sont regroupées au sein de l’Espace d’Information et d’Accompagnement (EIA).

Pour la ville de Paris, la préoccupation suivante est le relogement des habitants des immeubles soufflés. Au 17 janvier, soit 5 jours plus tard, 80 personnes cherchaient encore une solution de relogement[8]. Neuf immeubles ont été impactés. Une procédure unique pour les demandes de déménagement ou de travaux a donc été mise en place. Une procédure spécifique a été mise en place par la Ville de Paris pour traiter les cas des nombreuses voitures du périmètre placées en fourrière à la suite de l’explosion. Des mesures exceptionnelles ont également été prises sous l’égide de la Fédération française des assurances.

Les conséquences sont aussi économiques. La chambre de commerce et de l’industrie de Paris a dénombré 42 entreprises sinistrées[9]. Les commerçants et les professionnels victimes de l’explosion bénéficient également d’aménagement.

Crédits : Carl Labrosse, AF

Une information judiciaire a été ouverte contre X le 29 janvier par le parquet de Paris, avec « les chefs d’homicides involontaires, blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 3 mois, et blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à 3 mois »[10]. Une réponse globale à la crise est donc privilégiée par l’Etat. Cependant, cette réponse a des limites


Réaction de GRDF

GRDF, qui exploite le réseau de gaz de la Ville de Paris via un contrat de concession, diffuse rapidement un communiqué de presse, peu après l’explosion[12], factuel et empathique, la compagnie se met aux services des autorités pour gérer la situation. Dans notre jargon de gestionnaire de crise, il correspond au FACET, on aurait préféré un CAFET, (Commencer par la Compassion).

La mobilisation de l’opérateur GRDF est également mentionné sur la page dédiée à l’événement sur le site de la ville de Paris.

Entre le 12 et le 14 janvier, GRDF publie 3 Tweets sur le sujet et en repostera 20, donc celui empathique, de son directeur général Edouard SAUVAGE :

On ne peut que rappeler que la prise de parole du PDG est dans ce type de crise nécessaire, ce doit d’être empathique et réalisé le plus rapidement possible, exercice réussi pour GRDF. Cependant la polémique éclate immédiatement quant à la sécurité du réseau de gaz parisien.

Par voie de communiqué presse diffusé sur son site et sur Twitter, GRDF conteste la critique de la vétusté du réseau de gaz par le conseiller Divers Droite de Paris, Alexandre VESPERINI[13]. Le directeur exécutif de GRDF, Christian BUFFET, est interviewé quelques jours plus tard sur le plateau de BFMTV : s’il mentionne la coopération de GRDF avec les autorités, c’est la polémique sur l’état du réseau qui intéresse maintenant les médias.

Chez ENGIE, maison mère de GRDF, aucune communication. A tord ou à raison ?


Une crise aux enseignements multiples

Les avancées de l’enquête qui débute apporteront d’autres enseignements de l’explosion de la rue de Trévise. Des observations peuvent déjà être faites.

La première observation concerne la prise en charge psychologique des victimes. Des personnes n’ayant pas subi de blessures corporelles ne sont pas considérées ou ne se considèrent pas comme victime. Passé le suivi immédiat de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP), elles ne font donc pas forcément la démarche d’un suivi psychologique plus long. Ainsi, Gaëlle ABGRALL, psychiatre de référence de la cellule d’urgence médico-psychologique du Samu de Paris, estime qu’environ 30% des personnes impactées par la catastrophe seront suivies sur le long terme[14]. Certains traumatismes, non traités, peuvent alors devenir de véritables handicaps. Le perfectionnement de la caractérisation des victimes et de leur prise en charge dans la durée semble nécessaire.

Par ailleurs, l’explosion de la rue de Trévise est l’occasion de voir à l’œuvre la résilience de la population, c’est-à-dire de sa capacité à surmonter le choc et à s’adapter pour continuer à fonctionner. Le réseau VISOV[15

] (Volontaires Internationaux en Soutien Opérationnel Virtuel), une communauté qui se mobilise pour aider les secours grâces aux réseaux sociaux, a été activé[16].

En relayant les consignes des autorités et en donnant des conseils à leurs followers, cette communauté est un exemple d’aide à la résilience en situation de crise.

La résilience de la population passe aussi par la solidarité. Outre les offres spontanées d’assistances des riverains pour leurs voisins sans logements, le théâtre Antoine annonce que les recettes d’une pièce joué par des acteurs connus seront reversés aux familles des deux pompiers tués dans la catastrophe[17].

Enfin, un troisième aspect qui sera intéressant à étudier concerne les conséquences sur la gestion du réseau d’alimentation en gaz des grandes villes. Celui-ci est souvent tentaculaire, et parfois vétuste. On va donc voir ressurgir ce sujet « marronnier ».

Dans le cas de la rue de Trévise, Alexandre VESPERINI, élu du 6ème arrondissement de Paris, alerte sur un réseau de gaz parisien mal signalisé et datant du début du 20ème siècle. L’élu alerte également sur la multiplicité des interlocuteurs et la difficulté d’un pilotage global des travaux de rénovation[18]. La dénonciation de ces propos par GRDF, filiale d’ENGIE[19] qui était en charge du réseau rue de Trévise, semble augurer de vifs débats dans le sillage de l’enquête.

Il est intéressant d’observer des réactions dans d’autres villes. Par exemple, la ville de Lyon prépare un plan de rue unique de tous les réseaux (eaux, électricité, gaz). Jusqu’à présent, et c’est encore le cas actuellement, chaque gestionnaire de réseau possédait son propre fond de plan à usage interne géré par ses équipes de cartographie en régie, sans aucune mutualisation[20].


[1] https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Explosion-rue-Trevise-l-effroi-a-Paris-1599916

[2] https://www.huffingtonpost.fr/2019/01/13/explosion-a-paris-grdf-sinscrit-en-faux-apres-les-critique-dun-elu-sur-le-reseau-gazier_a_23641300

[3] https://www.grdf.fr/espace-presse/communiques-de-presse/mobilisation-des-equipes-de-grdf-rue-de-trevise-7500

[4] https://www.rtl.fr/culture/medias-people/explosion-a-paris-une-representation-de-dany-boon-pour-les-pompiers-tues-7796238684

[5] http://www.leparisien.fr/economie/explosion-rue-de-trevise-le-reseau-de-gaz-a-paris-est-dans-un-etat-catastrophique-12-01-2019-7987221.php

[6] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/polemique-sur-l-etat-du-reseau-de-gaz-parisien-803664.html

[7] https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-des-marches-publics/0600594954161-lyon-prepare-un-plan-de-rue-unique-de-tous-les-reseaux-2242096.php

[8] https://www.20minutes.fr/paris/2426815-20190117-video-explosion-paris-gens-flash-back-images-destruction-blesses

[9] https://twitter.com/VISOV1

[11] http://www.leparisien.fr/faits-divers/explosion-rue-de-trevise-l-enquete-confiee-a-trois-juges-d-instruction-29-01-2019-7999842.php

[12] https://www.lci.fr/police/en-direct-explosion-rue-de-trevise-paris-six-immeubles-menaces-d-effondrement-trois-autres-inhabitables-2109924.html

[13] https://www.ouest-france.fr/ile-de-france/paris-75000/explosion-rue-de-trevise-paris-la-chambre-de-commerce-recense-42-entreprises-sinistrees-6179162

[14] https://www.huffingtonpost.fr/2019/01/12/une-explosion-rue-de-trevise-a-paris-ravage-un-immeuble_a_23640827/

[15] https://www.fenvac.com/prise-en-charge-des-victimes-de-l

[16] https://www.paris.fr/trevise

[17] https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Explosion-rue-Trevise-l-effroi-a-Paris-1599916

[18] https://www.huffingtonpost.fr/2019/01/12/explosion-a-paris-a-opera-des-helicopteres-pour-evacuer-les-blesses_a_23640886/

[19] https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Explosion-rue-Trevise-l-effroi-a-Paris-1599916

[20] http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/explosion-rue-de-trevise-grace-a-eux-une-vingtaine-de-vies-ont-ete-epargnees-16-01-2019-7990422.php

Incendie du Grande America : une gestion de crise unique, racontée par le préfet maritime de l’atlantique Jean-Louis Lozier

C’est à la Préfecture Maritime Atlantique, au magnifique au château de Brest, qu’Emmanuelle Hervé – Capitaine de Corvette (RC) – a eu la chance d’interviewer le vice-amiral d’escadre et préfet maritime de l’Atlantique Jean-Louis Lozier – au sujet de l’incendie du Grande America.

Retour sur une gestion de crise aux leçons édifiantes.

Propos récoltés par Emmanuelle Hervé et mis en forme par Victorien Fritz.

De l’alerte incendie au naufrage

Nous sommes le dimanche 10 mars 2019 au soir.

À quelques centaines de kilomètres des côtes françaises, un incendie est déclaré sur le porte-conteneurs « Grande America », un bâtiment de l’armateur italien Grimaldi.  

La préfecture maritime, prend l’information via le Maritime Rescue Coordination Centre (MRCC) Rome, dans le même temps on lui dit que l’incendie est maîtrisé. La communication avec le navire est indirecte, cela va engendrer une vingtaine de minutes de retard sur la réalité, pendant la première phase de la crise.

À 23h passées, le vice-amiral Jean-Louis Lozier reçoit une nouvelle communication : un deuxième conteneur a pris feu. Le capitaine du bateau semble perdre le contrôle. « Lorsque j’ai compris que la crise allait prendre des proportions importantes, il devait s’être écoulé deux ou trois heures depuis mon alerte initiale ».

La machine est lancée : « A partir de là, nous n’avons pas eu d’hésitations […] Ma priorité, sauver des vies en mer ».

Deux cellules de crise sont alors déclenchées : une cellule de communication, et une cellule opérationnelle en sous-sol.

Le sauvetage de l’équipage a eu lieu entre 2h30 et 4h du matin par la frégate HMS Argyll de la Royal Navy. Un sauvetage comme celui-ci est très dangereux, car la mer est mauvaise : les creux de vagues sont de 4 à 5 mètres de profondeur ! Il y a de forts risques pour les 27 membres de l’équipage qui peuvent tomber à l’eau à tout moment.

Cette frégate, de retour de mission avec un équipage impatient de rentrer au port, est d’ailleurs plutôt mécontente de devoir allonger son périple en Atlantique, mais le vice-amiral d’escadre est catégorique : ils devront passer par la France pour débriefer du sauvetage avec la préfecture. En appui, un Falcon 50 de la Marine nationale gravite autour de la scène de sauvetage.

Par la suite, Jean-Louis LOZIER met en demeure l’armateur, pour qu’il prenne « toutes les mesures nécessaires pour faire cesser le danger que constitue son navire pour la navigation et l’environnement dans la zone économique exclusive française. » Très rapidement, deux remorqueurs sont affrétés par ses soins pour rallier la zone d’opérations.

Sur le terrain, la Marine s’active : le dispositif anti-pollution se met en place. Les conditions météo continuent de se dégrader les jours qui suivent l’incendie. Pourtant, le bâtiment de soutien et d’assistance affrété (BSAA) VN Sapeur arrive sur les lieux le 12 mars en milieu de matinée. Le centre d’expertises pratiques de la lutte antipollution (CEPPOL) coordonne rapidement ses actions avec la préfecture maritime.

Aux alentours de 15h30, le 12, le bateau sombre, en un temps record de moins d’une minute. Pour le vice amiral d’escadre, on a évité une catastrophe. « Quelque temps avant, j’ai étudié la possibilité d’envoyer des marins à bord du Grande America avant qu’il n’arrive à proximité de la côte ». Outre le danger auquel les marins sur le terrain auraient été exposés, l’aspiration dans l’océan créé par le porte-conteneur aurait également entraîné avec lui les navires de la Marine nationale.

Le 14 mars, les premières nappes de pollution sont repérées. La mer calmée, les opérations commencent. L’Argonaute met en place un barrage pour confiner puis récupérer les nappes :

Le 22 mars, les opérations de dépollution se poursuivent. L’Argonaute  tracte au travers des nappes un barrage hauturier pour récupérer le plus d’hydrocarbures possible. Le VN Partisan a prélevé des échantillons des polluants ramassés afin qu’ils soient identifiés et analysés par le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) et le Laboratoire d’analyse, de surveillance et d’expertise de la Marine (LASEM). Ces techniques permettront d’opter pour la technique de ramassage la plus adaptée.

Le 29 mars, le BSAA Argonaute passe à quai à La Rochelle pour y décharger les bennes remplies d’hydrocarbure et d’eau souillée, qui seront retraitées. Une fois le déchargement effectué, l’Argonaute reprend la mer pour poursuivre sa mission :

La crise vue des médias et des réseaux sociaux

Sur Twitter, la crise connaît un grand pic le 14 mars. Assumé par Jean-Louis LOZIER, ce pic correspond aux rumeurs de marée noire sur les réseaux sociaux ainsi qu’au moment des révélations de la préfecture maritime devant la presse quant à l’évolution de la crise « J’ai lu mon texte et c’est tout. Je savais très bien que je déclencherai à ce moment le pic de crise. Je préférais ça et que tout le monde se mobilise à terre à postériori plutôt que l’inverse. ». Le même jour, le ministre de la transition écologique François de RUGY se déplace à Brest et confirme lors d’un point-presse la probabilité d’un danger de pollution sur les côtes.

Au total, le terme Grande America a été Twitté près de 10 000 fois le 14 mars[1], près de 3 fois plus que la veille et que le lendemain. A partir du 16 mars, la crise diminue en popularité, dans le même temps que les équipes sur place parviennent à contenir la pression des ONG et la pollution. 15 jours plus tard, la crise semble enfin contenue sur les réseaux sociaux.

En général, le vice-amiral d’escadre estime que la communication autour de cette crise a bien été gérée : « c’est ma cellule de communication qui s’en est occupée. On a augmenté de 50% nos abonnés twitter avec cette crise que je considère avoir close le 18 avril, un mois après son début. Pour moi, l’important dans la communication est de toujours rester prudent pour ne pas risquer de se contredire en cas d’évolution défavorable. »

Dans les médias, l’affaire du Grande America devient populaire dans le même temps que sur les réseaux sociaux :

Si la plupart des articles mentionnent la pollution immédiate évoquée par le préfet maritime dès le 14 mars, d’autres font peu à peu apparition et dénoncent les avaries et erreurs à répétition de la firme italienne Grimaldi Lines. Dans un article de Charlie Hebdo publié le 22 mars, la rédaction enfonce le clou :

Malgré ce dossier, force est de constater que le groupe Grimaldi Lines s’en sort plutôt bien et ce grâce à une série de facteurs-clés déterminants.

Facteurs-clés de la réussite

Pour Jean-Louis LOZIER, plusieurs facteurs spécifiques ont permis de gérer la crise du Grande America.

  • Une prise en compte minutieuse des leçons passées « J’ai de la chance d’être préfet maritime aujourd’hui car j’ai des dispositifs légaux, techniques, etc., qui sont beaucoup plus efficaces qu’il y a 40 ans. Il existe tout un processus de retour d’expérience et d’amélioration des organisations qui permet de ne plus répéter les mêmes erreurs. » Ici et à l’inverse de la crise de l’ERIKA il y a quelques années déjà, la communication a été continue, donnant une impression de maîtrise et de transparence.
  • Une connaissance précise et un respect des rôles et des périmètres de chacune des parties prenantes, élément indispensable pour l’efficacité de la gestion de crise.
  • Un temps médiatique centré sur les gilets jaunes, permettant une plus faible couverture médiatique de l’événement.
  • Pas d’erreurs d’interprétation ou de fautes (aucune victime à déplorer, aucune erreur de communication de la part de la préfecture maritime ou de l’armateur, une évacuation fluide de l’équipage).
  • Un pôle d’excellence à Brest : le pôle maritime de Brest regroupe la plupart des activités maritimes stratégiques de France, faisant de lui un lieu particulièrement adapté à ce genre de crises. Il regroupe notamment le centre national des décisions stratégiques maritimes et le siège social de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) depuis janvier 2019. Alliés et experts sous la main, comme le témoigne le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE).
  • Une excellente anticipation (compétence métier) ainsi qu’une grande transparence. En effet, l’amiral Lozier dans la gestion de la crise a démontré sa compétence, notamment en communiquant avec une grande transparence, malgré le risque d’envenimer cette crise. En réponse au proverbe « sunshine is the best disinfectant », Jean-Louis LOZIER prend la décision politique de communiquer proactivement et de manière régulière envers de nombreux acteurs différents comme les préfets terrestres, les députés et les ONG : « je me suis dit qu’il faudrait travailler avec d’autres préfets, pour faire le lien mer-terre. J’ai commencé par contacter les deux préfets les plus proches du littoral, en organisant des vidéo-conférences, puis en effectuant des points quotidiens aussi orientés vers les autorités parisiennes. (…) Un jour, j’ai proposé à ce que les préfets contactent les élus afin de les tenir au courant. J’ai donc pu avoir un lien avec plusieurs d’entre eux et cela a très bien marché ».

Ces élus ont participé à donner de la crédibilité aux actions de la Préfecture maritime sur la gestion de la crise « Par rapport au ‘Prestige’, nous avons vu les énormes progrès accomplis en matière d’organisation de traitement et de suivi de la pollution » a même commenté Hervé BOUYRIE.

Dans ces cas-là et comme il est important de le rappeler pour toute organisation, la parole des autres est toujours plus crédible que la sienne ; il faut donc tout faire pour créer des conditions de confiance chez les différentes parties prenantes.

La confiance comme mot d’ordre

La confiance est le facteur-clé :

  • Une confiance envers le gouvernement favorisée par l’expérience. « Au niveau du gouvernement, j’ai eu la chance de ne pas avoir de pression parisienne. J’ai de la chance qu’ils m’aient fait confiance. Ils ne se sont jamais mêlés de ce que je faisais. » Le préfet maritime a tenu informé le milieu politique parisien en permanence. François de RUGY s’est montré exemplaire dans sa coopération avec la préfecture maritime, restant à son niveau politique sans interférer dans la conduite opérationnelle une fois qu’il avait validé les lignes directrices.
  • Une confiance créée auprès de son chef par force de preuve. Aristote nous rappelle « (qu’) il y a trois types d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur la mer. » L’Amiral PRAZUCK a été un facteur essentiel à la bonne gestion de cette crise. La confiance et la liberté d’action qu’il a su accorder au vice-amiral d’escadre, résultant de l’efficacité de celui-ci sur le terrain, s’est immédiatement transposée vers les autres marins impliqués dans la gestion de la crise.
  • Une confiance envers l’équipe opérationnelle et le centre de commandement souterrain. Jean-Louis LOZIER aborde la crise en tant que contrôleur et non perturbateur des éléments opérationnels, laissant une grande liberté d’actions aux hommes et femmes sur le terrain.
  • Une confiance sous caution envers l’armateur Grimaldi. « Je pense qu’ils se sont rapidement organisés en cellule de crise. On n’a pas eu affaire à un pseudo-armateur bidon (…) Grimaldi a réellement été présent avec nous ; on a pu travailler avec eux et leurs assureurs, classés parmi les meilleurs. ». En outre, les assureurs étaient connus, sûrs, et jouissaient d’une bonne réputation. Ces éléments ont su créer la confiance. Néanmoins, cette confiance est restée sous caution : mis en demeure deux fois, l’armateur Grimaldi n’a pas eu la vie facile après l’accident.
  • Une confiance durement bâtie auprès des ONG. Jean-Louis LOZIER a su innover sur ce point dès le mercredi suivant des événements : « J’ai proposé de recevoir les associations et de leur faire un point presse. Elles ont été très compréhensives. Au départ ils ont attaqué la manière que l’on a eu de gérer la crise. Mais sortir la liste de tous les contenants du bateau (notamment les marchandises dangereuses) les a beaucoup impressionnés ».

  • Une confiance sous caution avec le capitaine du Grande America« Si cela se trouve, le capitaine n’a pas voulu tout nous dire… » Le vice-amiral d’escadre Lozier apprend le déclenchement d’un incendie. Une heure plus tard, il apprend que celui-ci a été maîtrisé. La préfecture maritime reste alors vigilante, car elle sait où les erreurs d’appréciation ont pu mener les précédents des incendies sur les porte-conteneurs (affaire ERIKA en 1999, Probo Koala en 2006). Elle voit juste car à 23h un second conteneur a pris feu et bientôt l’équipage décide de fuir le navire. « La communication, passant par le MRCC Rome à ce moment-là, était un facteur de plus qui retenait notre vigilance ».

Les leçons de la crise

Les leçons tirées sont multiples et pleines de sens pour améliorer la gestion de crise de la préfecture maritime.

Une première leçon à tirer est très pragmatique. Tous les porte-conteneurs ont des normes de sécurité très insuffisantes vis-à-vis des incendies : « On a un vrai problème sur la sécurité des porte-conteneurs face aux incendies. On a beaucoup d’exemples de la difficulté d’éteindre des incendies dans des structures RoRo comme celle-ci. » (cf. la polémique de Grimaldi Lines autour du Grande Nigeria).

La seconde leçon de cette crise est que les dispositifs d’évaluation des dégâts environnementaux sont insuffisantsPour le vice-amiral d’escadre, il serait aujourd’hui utile de créer une véritable cellule d’évaluation des dommages environnementaux :« on s’appuie aujourd’hui sur des structures comme le CEDRE (expert international en pollutions accidentelles des eaux) mais ce n’est pas son domaine d’expertise. Dans les faits, pour cette crise, nous n’avons pas été ennuyé sur cette analyse de contenus dangereux pour l’environnement, mais je suis convaincu qu’un nouveau besoin émerge d’une volonté de protection de la biodiversité. Vu l’évolution des besoins sociétaux, on est plutôt précurseurs avec cette idée. On voit aussi ici l’intérêt d’avoir un marin à la tête de cette gestion ! ».

De l’extérieur, nous remarquons une troisième leçon qu’apporte cette crise pour n’importe quelle organisation. Celle-ci tient au fait que chacune des parties prenantes a su respecter son périmètre. C’est cette confiance collective qui a permis une gestion si efficace de la crise du Grande America. Cela dit, comme nous le rappelle une nouvelle fois Jean-Louis Lozier, c’est à force d’expérience et d’exercices que la préfecture maritime en est arrivée là !

Jean-Louis LOZIER : un parcours exceptionnel

Après être entré en 1981 à l’École navale, Jean-Louis LOZIER a consacré l’essentiel de sa carrière aux forces sous-marines. A partir de 1985, il a successivement servi au sein du sous-marin nucléaire d’attaque Rubis, du sous-marin classique Agosta et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins Le Foudroyant et L’Inflexible. Il prend des fonctions en état-major pour la première fois de 1992 à 1994. Il a commandé le SNA Emeraude entre 1997 et 1999 et les SNLE Indomptable et Inflexible entre 2004 et 2006.

En 2007, il est nommé chef d’état-major de l’amiral commandant la zone maritime de l’Océan indien. Il participe la même année à la libération des otages retenus sur le voilier Le Ponant.

En 2010, il devient adjoint au chef de la division forces nucléaires. En 2015, il préside la commission permanente des programmes des essais. Promu vice-amiral d’escadre le 1er septembre 2016, il prend les fonctions d’inspecteur de la Marine nationale.

Jean-Louis LOZIER est finalement nommé à 57 ans préfet maritime de l’Atlantique à la date de 4 septembre 2018.


[1] Les données analysées contiennent les recherches pour le terme « Grande America » ainsi que « #GrandeAmerica »

Lubrizol : quand la communication éclipse la bonne gestion opérationnelle de la crise

Le 26 septembre, à 2h48, un incendie se déclare dans l’usine Lubrizol, située en marge de l’agglomération rouennaise. Plus que des explosions qui s’en suivent et que des panaches de fumées noire, c’est d’une incertitude qui dure, d’une peur grandissante et de la colère des habitants dont l’on se souviendra.

Comme pour tous les sites classés Seveso seuil haut, un plan particulier d’intervention est prévu, que le préfet de Seine Maritime déclenche à 6h46. Pourtant, on peut s’interroger sur les raisons qui poussèrent le préfet à prendre certaines décisions. Le signal d’alarme à la population n’est déclenché qu’à 7h45, soit cinq heures après le début de l’incendie. A ce sujet, le préfet déclare que réveiller la population qui était « largement endormie » et « de facto en confinement », aurait nuit au bon déroulement des opérations, et aurait ralenti les pompiers occupés à éteindre le feu. Au déclenchement de l’alarme, la population, qui n’est pas formée à reconnaitre les différents signaux (confinement, évacuation…), semble alors découvrir qu’elle vit à proximité de ce site classé Seveso.

Paris Normandie

A trois cents mètres de l’usine, une aire d’accueil pour les gens du voyage est oubliée : ne s’agissant pas d’une zone résidentielle, elle n’apparait pas dans le processus lacunaire de gestion de crise. Le numéro vert, permettant à la population d’exprimer ses peurs, de demander des renseignements et de faire face au choc n’est ouvert qu’une semaine après, le 2 octobre. Les écoles ne sont pas fermées immédiatement.

Le préfet prend pour la première fois la parole à 10h, lors d’une allocution qui se veut rassurante mais dont les effets sont assez incertains.

jeanmarcmorandini.com
France Tv Info

Si cette réticence à sonner l’alarme se veut rassurante de la part des pouvoirs publics, la multiplication de propos contradictoires de leur part alarme la population. Alors que le préfet parle de « toxicité non-aigue », les pompiers appelés sur place affirment au contraire que « le risque est là » et qu’on ne peut nier la toxicité du nuage.

Ce manque d’alignement entre les différents services de l’État provoque une cacophonie qui occasionne une perte de confiance en la parole des autorités, les pompiers étant de plus une partie prenante parmi les plus crédibles.

Le ton choisi n’est également pas adapté : trop technique, il ne rassure pas et ne répond pas aux inquiétudes légitimes d’une population qui commence à se demander pourquoi le confinement n’a pas été ordonné plus tôt s’il y a un risque. Ne pas prendre au sérieux ces craintes face à un phénomène, qui n’est peut-être pas dangereux, mais ressenti comme tel par la population est une erreur de communication classique qui aurait pu être évitée.

Mais la crédibilité est affaiblie dès le départ, ni la crise, ni les inquiétudes des habitants de la commune ne semblent être pris en charge correctement et les informations ne sont pas délivrées. Dans ce vide s’engouffrent alors les réseaux sociaux, et l’État est dans l’impossibilité de revenir dans le dialogue. Il ne peut plus avoir une posture proactive dans la communication d’informations, mais seulement répondre avec peine à des rumeurs qui se multiplient.

Le préfet a dû faire face à un choix : minimiser pour ne pas affoler la population alors qu’il ne possédait encore pas assez d’éléments pour évaluer le risque, ou la protéger quitte à ordonner un confinement peut être inutile.

Le manque d’entrainement des populations est ici un facteur clé, si on avait été certain de la compréhension des consignes et la signification des sirènes, peut-être aurait il eut moins de mal à décider dans le sens d’une protection maximale.

La première priorité devrait être la protection de la population par la mise en place de consignes claires, relayées de manière efficace, ce qui dans ce cas revient à contraindre la population au confinement dès le début de l’incendie. L’absence de données précises sur la dangerosité de l’évènement aurait dû pousser le préfet à prendre toutes les précautions possibles rapidement pour faire face à l’ensemble des scénarios d’évolution, aussi catastrophiques soient-ils, pour ne faire courir aucun risque aux habitants de la commune, quitte à plus tard alléger le dispositif mis en place, au lieu d’adopter une position frileuse, entre réaction à l’urgence et volonté de ne pas inquiéter.

Lubrizol n’est pas en reste dans ce naufrage. Son premier réflexe est la bunkerisation, le silence, et il faut attendre le lendemain pour une première déclaration de la part de l’entreprise qui semble se cacher derrière l’État.

Europe 1

Ces premières paroles de la part de F. Henry manquent cruellement d’empathie pour les populations affectées par l’incendie. Trop tôt, l’entreprise tente de plus à se défausser en cherchant un bouc émissaire, laissant entendre qu’il s’agit surement d’un incendie volontaire. Répondre à l’émotion provoquée par l’accident en adoptant un ton trop rationnel, en ne montrant pas d’empathie et en cherchant à se dédouaner ne constitue pas une stratégie de communication valable.

Il existe pourtant des manières de se préparer à ces évènements, de réfléchir en temps calme à ce qui doit être dit et à la manière de le dire. S’il est vrai qu’il est compliqué de faire des analyses rapides de phénomènes comme celui de l’incendie de Lubrizol, le scénario reste assez classique et des réponses types et des infographies explicatives peuvent aisément être préparées à l’avance et permettent d’établir une meilleure communication avec la population. Communiquer sur des fumées toxiques constitue un exercice difficile, mais c’est un exercice qui doit avoir été anticipé, et les éléments de langage préparés à l’avance.

Incendie du Grande America: une communication de crise réussie

Comprendre l’escalade de la crise

Toute crise, aussi brutale et soudaine soit-elle, s’inscrit dans une histoire longue dont il faut tenir compte. Lubrizol n’en est pas à son premier faux-pas : en 2013, une fuite de Mercaptan, additif non toxique qui donne son odeur au gaz, affole la population. Ne présentant en soi pas de risque, cette fuite n’occasionne presque aucune réaction de la part de Lubrizol qui laisse ainsi la panique s’installer. Ce premier accident entame le permis social de Lubrizol, l’existence d’un casier médiatique ne permettant pas une grande tolérance vis-à-vis de la marque de la part des Français.

Plus largement, la multiplication récente des scandales sanitaires et écologiques a des conséquences sur la manière dont la population perçoit et répond à cette crise ci. L’image de Tchernobyl se rappelle à tous alors qu’un nuage « à toxicité non aigue » envahit le ciel rouennais.

Rien dans la communication de crise adoptée par l’État et Lubrizol ne peut faire face au poids des images, à celles de ce ciel noir, et celles publiées sur les réseaux sociaux, rumeurs et fake news comprises.

La communication des pouvoirs publics semble tellement bancale que certains s’en amusent, et le potentiel humoristique de l’affaire va croissant, ce qui n’aide en rien les agents à communiquer sereinement. L’investissement grandissant de ce sujet sur les réseaux sociaux, et la viralité des publications est aussi liée à leur pouvoir comique.

Le 26 septembre, Jacques Chirac, ancien président français décède. Un agenda médiatique plein constitue généralement une bonne nouvelle pour les entreprises en crise, qui passent de ce fait à travers les mailles médiatiques. Mais dans le cas Lubrizol, l’effet s’inverse et on assiste à une accélération du mécontentement de la population. La plupart des journaux titrent sur ce décès et Lubrizol ne reviendra à la une que quelques jours plus tard. Le manque d’information claire et uniforme, l’absence de réponse appropriée de la part de Lubrizol et la monopolisation médiatique par un autre sujet entraine alors une inquiétude collective qui se teinte de paranoïa. Ces réactions témoignent de la défiance envers les médias traditionnels et de l’importance qu’il ne faut pas négliger des réseaux sociaux dans la mise à l’agenda médiatique.

Des groupes politiques investissent alors le scandale, stratégie politique qui permet d’alimenter une critique plus globale du gouvernement. Ce moment de crise constitue de fait l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité pour l’opposition.

Et maintenant ?

La mémoire collective de cette crise sera celle d’une communication et d’une réponse ratée de l’État et de l’entreprise Lubrizol. Une crise qui s’inscrit déjà dans le long terme, la bataille juridique autour des conséquences de l’incendie promettant d’être féroce, et de rappeler à l’ordre du jour médiatique à chaque avancée de l’affaire l’incendie du 26 septembre 2019. Les polémiques font déjà rage autour de la promesse gouvernementale « pollueur-payeur », et autour du bien-fondé de délivrer des autorisations de stocker en si grande quantité des produits dangereux.

Outre les impacts économiques, sanitaires et écologiques de cette crise, un affaiblissement de la confiance en la capacité de l’État à protéger et informer ne sera pas sans effets sur la gestion des prochaines crises et compliquera d’autant la capacité des agents à agir.

Cette crise dessine aussi de nouveaux défis qu’il faudra relever si l’on veut pouvoir faire face collectivement aux crises à venir. La gestion de crise en France doit prendre en compte le problème d’une particularité culturelle du peuple français qui a tendance à se reposer pleinement sur l’État et la police, qui doivent ainsi assumer seuls et pleinement la mission de protection de la population. La colère qui résulte du moindre manquement à cette mission est bien visible dans le cas Lubrizol.

L’État de son côté se défie d’une population qu’il pense volatile voire immature et semble tant craindre de susciter la panique générale qu’il s’enlise dans les déclarations contradictoires, dont l’effet rassurant est quelque peu gâché.

Tant que ces deux problèmes, qui se nourrissent l’un l’autre, ne sont pas adressés, il restera compliqué de désarmer les crises à venir.

Pourtant, il a été montré que face aux désastres, la population est plus résiliente qu’il y parait, moins encline à la panique que ce que le préfet semble penser, il est donc dommage que la défiance soit des 2 côtés.

Il s’agit désormais d’apprendre des défaillances dans la gestion de la crise à la française mises en relief par le cas Lubrizol et se recentrer autour de principes élémentaires : la préparation et la protection, l’empathie et la transparence, la coordination et la communication entre les agents.

Les sociétés humaines et la gestion des risques industriels : d’AZF à Lubrizol

En 2001, à Toulouse, l’usine AZF explose. Vingt-deux employés sont tués, ainsi que huit personnes se trouvant aux abords de l’usine. Le nombre des blessés s’élève à 2 450.

L’histoire des catastrophes industrielles ne commence pas avec AZF et nous gardons tous en mémoire celles de Seveso, Tchernobyl et tant d’autres.

Pourtant, c’est AZF qui se rappelle à nous, quelques semaines après l’incendie des usines Lubrizol et Normandie Logistique. Les similitudes, troublantes, nous poussent à nous demander si nous avons été capables d’apprendre collectivement de nos erreurs pour éviter qu’elles ne se reproduisent.

Pour Lubrizol comme pour AZF, en découvrant les images dans les médias, nous nous sommes trouvés comme étonnés de voir, si près de ces sites, des habitations, des jardins comme autant de preuve de l’activité humaine aux portes du danger.

Ces deux sites ont pourtant été construits à l’écart des villes, assez proche pour que les habitants puissent y travailler et assez loin pour ne pas les mettre en danger. L’urbanisation croissante des deux métropoles, Toulouse et Rouen, ont poussé les habitants à s’installer de plus en plus près des usines, jusqu’à construire leurs maisons sous l’ombre de celles-ci. La transformation de friches d’industrie en équipements collectifs est venue combler ce maillage urbain. La coexistence entre lieux de vie et lieux industriels va-t-elle ou doit-elle être remise en cause ? Ou est-ce à la gestion du risque de s’adapter aux nouveaux modes de vie ? Les premières catastrophes environnementales et industrielles, dans les années 1960-1970, marquent l’émergence d’une « société du risque », soit la volonté de réglementer pour limiter les impacts du risque industriel. C’est à ce moment que s’établissent des bases saines de bonnes pratiques, d’inspections indépendantes, de plans d’urgences. Chaque catastrophe apporte avec elle son lot de réformes, de « plus jamais » et de lois aux noms douloureux (directive Seveso en 1976, loi dite AZF en 2003…). Il est temps de prévoir la crise de demain et non plus de pallier, trop tard, les manques d’hier.

Ces avancées ont bien sûr évité le pire à Lubrizol, fiché Seveso, qui a donc dû, comme tous ces sites, travailler son Plan de Prévention des Risques Technologiques. L’incendie y est clairement identifié comme un risque possible. Ce risque était divisé en 3 scénarios : le premier scénario prévoit un feu extérieur aux entrepôts A4 et A5, les deux autres des feux intérieurs aux entrepôts A4 ou A5. Le 26 septembre les trois scenarios se sont déroulés en même temps et, rapidement, l’eau vient à manquer. Lorsque le feu atteint le hangar 5, les réserves d’eau des sprinklers étaient épuisées.

Des accidents peu probables, mais aux impacts catastrophiques, doivent être pris en compte. L’effectivité de la sécurité, c’est-à-dire son application réelle, en action, doit être travaillée. Le passage entre une sécurité théorique et une sécurité pratique se fait par l’entrainement, la formation et l’information.

Que dire alors de la vague de simplification qui a lieu dans les années 2017-2018 ? Les installations ne sont plus systématiquement astreintes à une étude d’impact, le nombre d’inspection chute, passant de 30 000 en 2006 à 18 196 en 2018. La Loi Essoc, « pour un État au service d’une société de confiance », de 2018, statue qu’un exploitant peut désormais modifier son établissement sans passer par une autorité indépendante. Entre 2016 et 2018, le nombre des accidents industriels augmente de 34%[1].

Pour le cas de Lubrizol, cela donne lieu à un savant mélange de plan lacunaire et de réglementations non respectées : des stockages extérieurs sans systèmes de détection incendie, un mauvais confinement des eaux d’extinctions, des incohérences dans l’inventaire du stock, et autant de manquements qui étaient connus des autorités avant l’incendie. A été annoncé, trop tard puisque post-catastrophe, que Lubrizol et Normandie Logistique avaient un mois pour se conformer aux règles de sécurité, sous peine de poursuites devant le tribunal administratif de Rouen.

Comment expliquer également le retard dangereux de la France en matière de système d’alerte à la population ?

En Belgique et aux Royaume-Uni, une alerte à la population multicanaux est déjà mise en place. Elle associe le porte-à-porte, les haut-parleurs et systèmes d’alerte que nous connaissons, les médias traditionnels, les médias sociaux et le cell broadcasting. Le préfet est revenu sur ce retard français : «Il faut que nous arrivions maintenant (…) à toucher l’usager chez lui. (…) Le ministère de l’Intérieur (…) va nous imposer un système de diffusion par les pylônes téléphoniques d’envoi de messages personnalisés sur tous les téléphones portables », système qui était déjà mis en place au Petit-Quevilly, où les habitants ont été alertés par sms à 6h11, mais pas à l’échelle de la région.

En Belgique
Au Royaume-Uni

Dix-huit ans après AZF, qu’en est-il de la communication de crise ?

En 2001, Total a appris des erreurs commises lors du naufrage de l’Erika, et change sa stratégie de communication : empathie, aide aux victimes, aux secours et aux employés, transparence, aucune volonté affichée de se défausser… Les employés du groupe vont même sur place pour manifester leur soutien à l’entreprise.

Lubrizol de son côté semble avoir peu appris : stratégie du bouc émissaire, mauvaise communication en interne, pas d’empathie, bunkerisation

D’AZF à Lubrizol, nous pouvons désormais poser le constat selon lequel les avancées en matière de gestion de crise ne suivent pas une ligne droite. Il est temps de repenser collectivement à la gestion de crise pour se rapprocher un peu plus sûrement de ce qu’Ulrich Beck qualifiait de « promesse démesurée », celle d’un État qui veut éradiquer le risque.

Des millions de data parties en fumée : comment OVHcloud a t-il géré cette crise ?

©Twitter

Chronologie :

À Strasbourg, dans la nuit du 9 au 10 mars 2021, un incendie détruit le datacenter SBG2 et endommage le datacenter SBG1 du site d’OVHcloud. Le leader européen du cloud subi alors la plus importante catastrophe industrielle de son histoire et l’ensemble du site est mis hors tension.

Le 10 mars, entre 14000 et 16000 entreprises clientes d’OVHcloud découvrent que leurs sites web, applications et services SI ne sont plus disponibles. Les clients prennent contact avec le service support d’OVHcloud, remis en ligne le 11 mars à 1h22 du matin.

Le 11 mars, OVHcloud recommande à ses clients d’activer leur disaster recovery plan (Plan de Reprise d’Activité) dans une annonce sur sa page support. Le datacenter SBG2, hébergeant des serveurs et des back-ups, est complétement détruit par l’incendie et les données sont perdues. Certaines entreprises clientes déplorent donc une perte irrémédiable de leurs données. OVHcloud engage un suivi de situation sur les réseaux sociaux dans la journée. Ces annonces créent un vent de panique auprès des parties prenantes de l’entreprise.

Le 17 mars OVHcloud relance progressivement les datacenters SBG3 et SBG4 et fournit à ses clients une console de suivi de situation en temps réel.

Le 22 mars, la CNIL publie sur son site internet un document « Incendie OVH : faut-il notifier à la CNIL ? ». Ce document rappelle que les entreprises ont pour obligation de notifier la CNIL pour toutes indisponibilités et, ou pertes de données personnels et professionnelles. La CNIL annonce également que les entreprises impactées doivent en informer leurs clients. L’effet domino est officiel.

Entre le 11 mars et le 31 mars, OVH publie une note d’information sur son site de support et communique quotidiennement les réseaux sociaux.

Le 06 avril, des serveurs de substitutions sur d’autres sites sont proposés à tous les clients.

Contexte :

Évènement localisé à impact global, cet incident a eu des conséquences directes sur la gestion des risques dans les entreprises et les relations entre les parties prenantes. OVHcloud est au milieu d’une crise réputationnelle et stratégique en termes de gestion de ses parties prenantes.

L’incendie touche plus de 14000 entreprises françaises et mis hors ligne plus de 3,6 millions de sites internet en Europe. Cet incident soulève des enjeux réputationnels, juridiques, business, financiers et sociaux. En effet, d’une part OVHcloud se doit de conserver la confiance de ses parties prenantes et de sauvegarder sa crédibilité comme leader européen du cloud computing. D’autre part, pour ses clients, leurs enjeux sont d’assurer un plan de reprise ou de continuité d’activité et de faire état d’une indisponibilité ou d’une perte de données et donc d’en informer eux-mêmes leurs parties prenantes.

La communication de crise d’OVHcloud :

OVHcloud publie le 11 mars 2020 à 11h un communiqué sur les conséquences de l’incendie sur sa page support.

Ce communiqué enclenche la communication de crise de l’entreprise. OVHcloud doit faire preuve de rationalité, d’empathie, de disponibilité et de transparence dans sa stratégie de communication. Dans ces communiqués, on retrouve les critères d’empathie avec « nous savons l’importance cruciale que cela revêt pour eux (les clients) » ; de rationalité de l’information avec une chronologie chiffrée (date, heure, nombre d’acteurs…) ; ou encore de disponibilité avec la volonté d’informer avec « la plus grande transparence sur ses causes et ses impacts. » Dès lors, OVHcloud publie un communiqué complet à une fréquence quotidienne (tous les après-midis entre le 11 et le 31 mars) sur le suivi de la situation et des mesures prises pour ses clients.

Le 11 mars à 16h40, Octave Klaba (fondateur d’OVH) prend la parole dans une vidéo de 8 minutes publiée sur son compte LinkedIn et Twitter. Le fondateur d’OVHcloud utilise ce format deux autres fois au cours du mois de mars (le 16 mars à 20:30 et le 22 mars à 18:00). Ces vidéos permettent de communiquer rapidement de l’information et « d’humaniser » la situation.

L’entreprise ne se pose pas en victime de la situation et expose clairement sa volonté de coopérer avec ses parties prenantes. À titre d’exemples, l’offre de 6 mois de gratuité des services OVH aux entreprises impactées est une action concrète envers les parties prenantes. Il y a également l’annonce du partage des résultats des recherches en « gestion des risques d’incendie dans un datacenter » avec un maximum d’entreprises pour éviter de futurs incidents.

Au 16/04/2021 lors de la rédaction de cet article, soit 43 jours après l’incendie, la stratégie de communication se veut « omnicanal » et l’entreprise utilise des FAQ (FR, EN), ses sites de supports « travaux », le compte Twitter et LinkedIn d’Octave Klaba et d’OVHcloud et la plateforme communautaire OVHcloud Community (FR, EN).

Aussi, la principale contrainte est l’étendue des parties prenantes. OVHcloud est présent dans 19 pays et fournit 1,5 millions TPE, PME, ETI tels que les 155 des 1000 plus grands groupes européens. La gestion de la relation des parties prenantes et la stratégie d’alliés d’OVHcloud est complexe, car elles impliquent de prendre en considération une multitude de problèmes et d’attentes. Chaque entreprise définit une stratégie SI en fonction de l’impact de la donnée sur son business model et cette diversité rend la communication de crise plus difficile et moins sur mesure. L’étude de Saper Vedere illustre cette complexité. L’étude présente que chaque partie prenante a ses propres attentes en matière de réponse à la situation. Les résultats montrent que la communication de crise incarnée par son CEO permet de conserver la confiance des parties prenantes et ne crée de « paracrise mobilisant les équipes et les ressources [de l’entreprise] sur autre chose que le rétablissement de son activité ».

La stratégie de communication de crise d’OVHcloud a néanmoins quelques points d’améliorations sur le ciblage et sur la gestion de la marque-employeur. D’une part, bien que la communication touche un maximum de parties prenantes, OVHcloud publie un contenu technique utile pour les DSI et experts métiers mais opaques pour les néophytes et les organisations sans expertise dans les systèmes d’information. L’engagement de transparence et l’étendue des parties prenantes déséquilibrent le ciblage de la communication et on ne comprend pas quelles sont les parties prenantes ciblées. Par exemple, les informations techniques sous forme de schémas techniques, de photos et de graphes semblent être destinés à un public technique. Par ailleurs, il n’y a pas d’information sur la gestion de la crise par les employés, comme par exemple la gestion du stress et la nouvelle organisation de crise.

La gestion des rumeurs

Le management d’OVHcloud n’hésite pas à démentir les informations fausses publiées par les internautes. Premier exemple, Jean-Michel Blanquer (ministre de l’éducation nationale) accuse OVHcloud d’être à l’origine des dysfonctionnements de la plateforme de cours à distance ENT. C’est le P-DG d’OVHcloud, Michel Paulin, qui dément immédiatement cette information dans un tweet. La prise de position d’un personnage public comme le Ministre de l’Éducation nationale a un impact fort pour l’entreprise française habituée à être soutenue par le gouvernement. En effet, en octobre 2019 le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire avait demandé à Dassault Systèmes et OVH de travailler sur la mise en place d’un « cloud de confiance » à l’échelle française et européenne pour contourner le Cloud Act américain. OVH avait répondu favorablement à la demande du gouvernement et souhaitait se positionner comme la solution de cloud computing de référence française. La réputation de l’entreprise est donc mise à mal avec cette accusation et la rectification immédiate à cette fausse information permet de conserver la crédibilité d’OVHcloud dans la sphère numérique française.

Deuxième exemple, la rumeur sur le classement Seveso du site de Strasbourg due à une erreur d’information dans un tweet des Pompiers de France. Une information immédiatement rectifiée sur la page support d’OVHcloud avec une main courante. L’information a ensuite été corrigée par les Pompiers de France.

La gestion de crise chez les clients d’OVHcloud

L’incident technique du 10 mars est à l’origine d’un effet domino sur le plan commercial et technique et pour l’ensemble du numérique français et européen.

D’abord, les clients critique le manque de professionnalisme de la part d’OVHcloud. En effet, le service payant et premium de Private Cloud permettant de réaliser des sauvegardes se trouvaient dans le datacenter détruit par l’incendie. Les private cloud détruits représentent 20% des sauvegardes. OVHcloud réagit immédiatement en suspendant les facturations et en proposant des infrastructures alternatives gratuitement à tous les clients impactés. Dans le même temps, les concurrents d’OVHcloud profitent de la situation pour critiquer ce choix sur les réseaux sociaux et attirer les clients mécontents et sans solution.

Le système anti-incendie est aussi critiqué sur les réseaux sociaux. Les datadenters n’étaient pas munis de réseaux anti-incendie à l’instar des infrastructures concurrentes. La question du positionnement de marché low-cost des services OVH est donc critiquée par les médias et les internautes.

La mise hors ligne de sites internet a également un impact potentiel sur le référencement des sites dans les pages de résultats des moteurs de recherche et sur l’expérience utilisateur. Aussi, pour les entreprises dotées d’une sauvegarde locale, celles-ci ont mis en ligne des sites non à jour présentant aux clients des informations obsolètes et créant une expérience utilisateur non optimale. Selon des experts en SEO, pour pallier cette problématique les entreprises devront augmenter la fréquence de leur communication sur les réseaux sociaux et investir dans les services de régie publicitaire pour améliorer le référencement de leur site.

Les leçons tirées de la gestion de crise d’OVHcloud

L’incident du datacenter d’OVHcloud est un bel exemple où la maitrise technique d’une crise doit se coupler à la maitrise de la communication de crise. Une gestion technique d’une crise ne suffit pas pour sortir l’entreprise de l’épreuve sans ruiner sa crédibilité et l’ensemble des efforts et des ressources investis. OVHcloud a su montrer sa maitriser technique de l’incident grâce à son expertise et sa réputation dans l’univers du numérique. Aussi, contrairement aux multiples erreurs de Lubrizol, l’entreprise a adopté une position transparente, responsable et empathique vis-à-vis de ses parties prenantes. OVHcloud reste actif et communique lorsque ses parties prenantes l’écoutent. Cette maitrise de la communication de crise réduit les effets secondaires comme des para-crises et des sur-crises. En somme, le rôle de la communication de crise permet protéger la réputation de l’entreprise et conserver la confiance des parties prenantes, surtout avant une entrée en bourse pour OVHcloud.

Enguerrand JOURDIER

Socapalm, vers une évolution dans le règlement des conflits ?

La Société Camerounaise des Palmeraies (Socapalm), filiale de la Société Financière des Caoutchoucs (Socfin) basée au Luxembourg et détenue par Hubert Fabri et Vincent Bolloré, a mis en place une nouvelle politique de coopération avec les ONG locales.

Sur le complexe industriel de 16 500 hectares basé dans le village de Mbambou (Région du littoral camerounais), plusieurs parties s’affrontent à propos de l’exploitations de l’huile de palme Socapalm, différentes ONG dont Greenpeace, et les associations de riverains. Accusée de déforestation, d’accaparement des terres, de mauvaises conditions de travail et de fournir des logements sommaires, Socapalm a décidé de réagir avant que la crise ne s’intensifie.

La société a donc déclaré prendre conseil auprès de l’ONG The Forest Trust afin de comprendre les revendications et régler aux mieux les problèmes soulevés.

Quelle est la situation de Socapalm ?

Le prédécesseur de Socapalm, la Compagnie Nationale des Palmeraies, avait pour objectif le développement des campagnes grâce à son implantation dans les régions en besoin. Mais en 2000, la privatisation de ce groupe laisse place à Socapalm dont les objectifs sont les rendements de l’agrobusiness international. Ce changement de politique dans l’exploitation des palmeraies est mal perçu par les populations locales.

(source : farmlandgrab.org)

Socapalm se retrouve dès lors confrontée à une lutte pour la possession de la terre face aux populations locales et à l’association Synergie Nationale des Paysans et Riverains du Cameroun (Synacaparm).

En effet, depuis 1930, la population a grandi et s’est même multipliée par huit. L’accord passé avec la Compagnie nationales des palmeraies et Socapalm prévoit de laisser aux villageois 250 hectares d’espace vital pour les cultures vivrières. Or les villages s’agrandissent mais les plantations ne reculent pas. En 2005, Socapalm est alors encouragée à rétrocéder 20 000 hectares afin de respecter cette norme, ce que l’entreprise déclare avoir fait. Aujourd’hui, The Forest Trust conseille au groupe de réaliser une cartographie de ses territoires pour prouver qu’elle a bien respecté les directives à la population locale.

Quels défis pour l’entreprise ?

Socapalm, pour permettre un contact régulier avec les populations locales, a mis en place des réunions tripartites avec les préfectures et les chefs traditionnels, en mettant de côté tout autre moyen de dialogue avec les populations locales. La contestation 2.0, dans les zones pourvues d’électricité, se développe via les réseaux sociaux. Cela lui permet d’être relayée par plusieurs ONG européennes et de gagner en visibilité, mais aussi en légitimité. L’entreprise, en oubliant l’importance des réseaux sociaux, s’est coupée de la population locale de laquelle elle voulait pourtant se rapprocher.

Dominique Cornet, directeur général de Socapalm, reconnaît qu’il est désormais nécessaire d’améliorer les dialogues et les relations avec ses voisins, et continuer l’effort fourni pour assurer des conditions de vies au-dessus du seuil minimum toléré par le pays.

La bonne entente des relations avec les parties prenantes est essentielle, certes pour prévenir une situation de crise, mais également pour éviter les nombreux vols que la compagnie subit, et qui peuvent représenter jusqu’à 10% des récoltes.

Que faut-il retenir ?

  • Prévenir une crise, c’est écouter et prendre en compte les autres parties au conflit avant que les relations s’enveniment ou se rompent. Il faut donc prêter attention aux discours et montrer des signes encourageants quant à la compréhension des enjeux de chacun.
  • Il ne faut pas négliger l’impact des réseaux sociaux sur les modes de contestation et de négociation. Se cantonner uniquement à un règlement traditionnel des conflits, c’est manquer de prendre la parole sur les incontournables réseaux sociaux.
  • Une bonne communication avec les parties prenantes permet de régler les problèmes principaux et secondaires : Socapalm essaie donc de réduire les attaques des ONG et associations à son encontre, et son action pourrait permettre de réduire les vols. Une bonne communication est nécessaire pour un développement économique stable sur la longue durée.

Source

MBAMBOU Kiené, « Au Cameroun, frictions à l’huile de palme », Le Monde, 21/08/17.

Être un leader en situation de crise

Gérer une crise c’est à la fois savoir prendre les bonnes décisions au bon moment, garder une vision stratégique et surtout manager intelligemment et humainement ses collaborateurs en perte de repères. Au sein d’une grande multinationale comme d’une petite entreprise, le dirigeant doit posséder certaines qualités qui feront de lui un vrai leader en situation de crise.

Garder son sang-froid et affronter l’incertitude

La crise, quelle qu’en soit la cause, entraîne des réactions émotionnelles très fortes : stress, tensions, anxiété ou panique, ces émotions peuvent entraîner la sidération, c’est-à-dire l’incapacité à penser ou même une perte de contact avec le réel. Le niveau de stress et de perte de repères dépend des personnes, cependant le comportement du leader donne le ton. Il doit être en mesure de rester calme et organisé pour guider au mieux ses équipes, leur faire prendre conscience de la gravité de la situation tout en évitant d’alimenter le climat d’incertitude. Dans ce genre de situation, le directeur de la cellule de crise devient le seul référent, et point de repère de ses collaborateurs.

Établir un plan d’action et générer une vision à terme

La gestion de crise nécessite de prendre des décisions et de mettre en place des actions rapidement. Le leader doit être capable d’engager un plan d’action tout en ne perdant jamais une vision sur le long terme. Il lui revient d’incarner une stabilité qui permet à ses collaborateurs une certaine confiance dans l’avenir en réaction à l’incertitude générée par la situation. Il sera en charge de faire tourner en permanence la réflexion sur les scénarios d’évolution défavorables.

Crédit image © executive forum.com

Faire preuve de courage et d’humilité

En situation de crise, la prise de décision malgré l’incertitude nécessite du courage et de la persévérance. Un leader doit prendre ses responsabilités et expliquer ses choix, tout en étant capable de se remettre en question et de revenir sur ces décisions si celles-ci ont été prises trop vite. Enfin, être leader n’implique pas de tout faire soi-même. Il faut savoir faire preuve d’humilité, savoir repérer le potentiel de son équipe et les qualités de ses collaborateurs afin de déléguer les tâches aux bonnes personnes. Le rôle du leader en cellule de crise est surtout de ne pas faire, car c’est lui qui doit garder de la hauteur.

Être emphatique et communiquer

En temps normal, les collaborateurs peuvent agir et assurer leurs missions sans l’assistance du dirigeant. Cependant, la crise génère de nombreux bouleversements émotionnels et structurels qui poussent les membres de l’équipe à se tourner vers le leader pour connaître la marche à suivre. Le leader doit leur faire sentir sa présence, se montrer disponible, accessible et reconnaître les efforts fournis. En cas de perte de motivation, le leader doit savoir encourager son équipe et lui redonner confiance. Il est fondamental d’entretenir et de ranimer l’esprit d’équipe. Cela peut se manifester par la liberté de parole et le partage des bonnes pratiques et des savoir-faire.

À retenir

Être un leader en situation de crise, c’est :

  • Garder son sang-froid et prendre des décisions malgré l’incertitude
  • Faire preuve de courage, de persévérance et d’humilité
  • Être empathique et à l’écoute de ses collaborateurs
  • Faire confiance à son équipe et déléguer des tâches et pour ce faire, il faut (aussi) de la méthode et beaucoup d’entrainement!

Scandale Volkswagen

Emmanuelle Hervé était l’invitée de BFM TV dans Grand Angle pour réagir à propos du scandale Volkswagen. Le géant de l’automobile allemand est confronté à une crise sans précédent, provoquant un tsunami médiatique. Analyse de la communication en temps de crise de la plus grosse puissance industrielle mondiale, qui devrait payer plusieurs milliards de dollars d’amende.

Sortie de route dangereuse pour Volkswagen

Emmanuelle Hervé revient sur le plateau des Décodeurs de l’éco pour décrypter le scandale Volkswagen et les conséquences de cette tricherie à grande échelle.

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