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Leadership en temps de crise : l’expérience du colonel Guillaume de Sercey

Chaque mois, nous partons à la rencontre de celles et ceux dont le parcours et l’expertise offrent un éclairage singulier sur la gestion de crise. Ce mois-ci, notre rencontre insolite nous mène à Guillaume de Sercey : colonel de l’armée française et ancien officier de la Légion Etrangère. Avec trente ans de carrière, dont treize passés dans des unités opérationnelles et quatre missions à l’étranger, il a commandé des hommes dans des situations extrêmes et appris à conjuguer exigence opérationnelle et humanité.

Guillaume de Sercey accompagne désormais des dirigeants et des managers dans leurs propres défis. Son expérience militaire nourrit une réflexion précieuse sur le leadership en période de crise.

Car dans ces moments où tout vacille, où l’incertitude gagne les esprits, les regards se tournent instinctivement vers le chef. Que faire ? Comment réagir ? Comment tenir ? Pour Guillaume de Sercey, le rôle du leader pendant une crise se résume en trois mots essentiels : dignité, rigueur et humanité.

« On attend du chef qu’il ait une certaine posture », explique-t-il. La dignité, c’est la retenue, la maîtrise de soi, même lorsque les émotions débordent. La rigueur, c’est l’exigence de clarté et de discipline, sans laquelle tout peut s’effondrer. L’humanité, enfin, c’est l’attention aux autres, l’écoute et le souci de ceux que l’on conduit.

Le chef dans la tempête : savoir, connaître, commander et aimer

Le colonel cite une définition transmise par l’un de ses généraux : « Le chef, c’est celui qui sait, celui qui connaît, qui commande et qui aime ».

  • Savoir : c’est avoir les bons réflexes, ne pas rester les bras ballants. Les subordonnés scrutent la réaction du leader et s’y ajustent. Donner les bons ordres est central pour garder la confiance.
  • Connaître : cela suppose une proximité en amont, bien avant la crise. « Il est trop tard pour devenir un chef qui connait ses équipes quand la crise est là », précise-t-il. Connaître, c’est avoir écouté et partagé aux côtés de ceux que l’on dirige, afin de savoir comment leur parler et quoi leur demander lorsque la crise arrive.
  • Commander : c’est faire preuve de courage. Et ce courage, rappelle Guillaume de Sercey en citant Napoléon, « est la seule vertu qu’on ne peut pas feindre ». On ignore toujours comment on réagira en période de crise, mais il existe des entraînements au courage : savoir dire les choses difficiles, en temps calme déjà, c’est s’y préparer.
  • Aimer : enfin, une dimension souvent négligée dans le monde de l’entreprise, mais essentielle. Quand tout vacille, l’affect compte. « Si à aucun moment il n’y a d’affect, alors autant être remplacé par une intelligence artificielle. Ce qui fait qu’on adhère à une personne, c’est l’estime et l’affection qu’on a pour elle », explique-t-il. Le maréchal de Marmont disait : « Le soldat français vaut dix fois son nombre sur le champ de bataille avec un chef pour lequel il a de l’estime et de l’affection et il est en dessous de tout avec un chef pour lequel il n’éprouve aucun de ces sentiments ».

Savoir prendre ses responsabilités en temps de crise

Au cours de sa carrière, Guillaume de Sercey a été confronté à des situations particulièrement difficiles. Il évoque notamment un épisode douloureux : lors d’un entraînement en montagne, une avalanche a coûté la vie à six soldats du régiment qu’il commandait. Rapidement, des tensions sont apparues, certains cherchant à désigner des responsables. Pour mettre un terme à ces divisions, il a réuni l’ensemble du régiment et a assumé publiquement la responsabilité de l’accident, rappelant qu’en tant que chef de corps, il avait signé l’ordre de l’activité. « Être homme, disait Saint-Exupéry, c’est précisément être responsable », rappelle-t-il. Ce choix a apaisé les polémiques et renforcé la cohésion du groupe.

Pour lui, cet épisode illustre un principe fondamental du leadership en crise : on ne peut pas se contenter des satisfactions liées au rôle de chef sans en assumer également les difficultés. Endosser ses responsabilités, même quand elles pèsent lourd, fait partie intégrante de la fonction.

Agir vite, mais avec discernement

En temps de crise, la vitesse d’action est cruciale. Mais agir vite ne signifie pas agir dans la précipitation. Comment trouver le bon équilibre ?

Guillaume de Sercey conseille de s’appuyer sur un cercle restreint de personnes de confiance : « Identifier un nombre limité de personnes, à qui on demande leur avis, avec lesquels on se concerte ». Cela peut prendre la forme d’un échange franc : « Je ne sais pas quoi faire, qu’est-ce que vous suggérez ? » ou bien « Voilà mon idée, mais qu’en dites-vous ? ».

Cette méthode a deux vertus : elle ouvre à l’intelligence collective et elle filtre les mauvaises intuitions.

Les clés de la communication de crise

Guillaume de Sercey donne trois règles simples :

  • Privilégier la communication en face-à-face : « Dès que c’est possible, il faut que les gens puissent vous voir, puissent ressentir vos émotions et votre force ».
  • Adopter des rituels verbaux : un tic de langage, une formule répétée, peut sembler anodin. Mais en crise, cela rassure et montre que le leader reste en place, en gardant ses habitudes.
  • Communiquer régulièrement, même pour répéter : la tentation est grande de penser que l’on a déjà tout dit. En réalité, il faut répéter, car les messages ne passent pas toujours du premier coup. Trouver le bon curseur est essentiel.

Anticiper ses propres angles morts

La figure de leader en temps de crise n’est pas toujours facile à tenir, d’où l’importance de préparer en amont. Son conseil aux dirigeants : identifier leurs angles morts personnels. « Si je sais que j’ai du mal à transmettre de l’énergie, je dois m’entourer de gens qui en débordent. » Le leadership de crise est toujours une affaire collective.

Et quand un chef n’assume pas son rôle ? Guillaume de Sercey suggère de désigner un représentant des collaborateurs, chargé de dire au leader : « Voilà ce dont nous avons besoin, et que vous ne nous donnez pas. » Beaucoup de tensions viennent simplement du manque de dialogue, ou de malentendus. La communication interne est clé dans ces moments difficiles.

Le RETEX : apprendre de chaque épreuve

Enfin, un principe cher au monde militaire pourrait inspirer davantage l’entreprise : le RETEX, retour d’expérience. « Conserver les comptes rendus, les mails, les notes, puis faire un bilan collectif. C’est essentiel. »

Cette pratique permet de transformer l’épreuve en apprentissage, et de préparer l’organisation pour les crises futures.

Les 4 leçons à retenir pour les dirigeants ?

  • Communiquer en face-à-face autant que possible
  • S’entourer en amont de personnes complémentaires
  • Répéter les messages clés, sans craindre la redondance
  • Donner des points de situation réguliers

La désinformation, risque numéro 1 devant les risques climatiques ou économiques !

La désinformation n’est pas un phénomène nouveau, mais son ampleur et sa vitesse de propagation ont radicalement changé. Autrefois limitée à des rumeurs locales ou à des campagnes de propagande traditionnelles, elle circule aujourd’hui à une échelle inédite grâce aux réseaux sociaux et aux technologies numériques.

En 2024, le Global Risks Report du Forum économique mondial classait la désinformation parmi les menaces globales les plus préoccupantes, devant les risques climatiques et économiques. Cette inquiétude reflète une réalité : selon le Reuters Institute, plus d’un internaute sur deux a été exposé à de fausses informations au cours de l’année écoulée, et 56 % doutent désormais de leur capacité à distinguer le vrai du faux.

La désinformation est ainsi devenue un risque stratégique majeur, capable de fragiliser la confiance publique et de déstabiliser entreprises et institutions.

La désinformation à l’ère des nouveaux canaux

La nouveauté n’est pas l’existence des fausses informations, mais leur capacité à se propager massivement et instantanément. Un message manipulé peut aujourd’hui toucher des millions de personnes en quelques minutes, sans aucun filtre.

Les réseaux sociaux constituent un puissant catalyseur : ils favorisent les contenus émotionnels et courts, au détriment de la véracité. Selon une étude du MIT, une fausse information circule six fois plus vite qu’une information vérifiée sur X (ex-Twitter), surtout lorsqu’elle suscite indignation ou peur. Les algorithmes, conçus pour maximiser la visibilité, accentuent cette dynamique.

Parallèlement, les technologies d’IA abaissent la barrière d’entrée : avec des outils accessibles, n’importe quel individu peut produire visuels, vidéos ou audios falsifiés de qualité quasi professionnelle. La désinformation n’est plus réservée aux grandes puissances étatiques : elle peut émaner de militants, de groupes criminels, voire de simples particuliers.

Les nouveaux visages de la désinformation

La désinformation contemporaine combine différents formats pour maximiser son impact : deepfakes, montages photo et vidéo, astroturfing (faux mouvements citoyens), fake news et micro-contenus viraux.

Les deepfakes en sont l’exemple le plus marquant. En 2024, le groupe britannique Arup a été victime d’une fraude par deepfake lors d’une visioconférence : un cadre supérieur cloné numériquement a ordonné des transferts frauduleux de 25 millions de dollars. L’affaire a provoqué la démission d’un dirigeant régional et révélé à quel point une telle attaque peut ébranler la confiance interne et externe d’une organisation.

Pour une entreprise, un deepfake peut déclencher une véritable crise : perte de crédibilité, pression médiatique, réactions négatives sur les réseaux sociaux, défiance des investisseurs. L’inaction ou une réaction tardive amplifient ces effets et peuvent durablement altérer l’image de marque.

Des impacts stratégiques pour les entreprises

La désinformation ne relève pas uniquement de la réputation : elle peut avoir des conséquences financières et opérationnelles directes.

  • Selon l’Edelman Trust Barometer 2024, 52 % des consommateurs cesseraient d’acheter auprès d’une entreprise associée à de fausses informations.
  • Le Forum économique mondial estime qu’une crise de désinformation peut faire perdre 3 à 5 % de valeur boursière dans les deux semaines suivant l’incident.

Une rumeur ou un deepfake peut donc obliger une entreprise à mobiliser en urgence ses équipes juridiques et communication, avec un impact qui se prolonge parfois plusieurs mois.

Réponses possibles : vers une stratégie intégrée

La désinformation 2.0 est plus qu’un simple “bruit médiatique” : c’est un risque global, stratégique et systémique. En combinant rapidité de diffusion, accessibilité technologique et puissance émotionnelle, elle peut fragiliser en quelques heures la réputation d’une entreprise construite sur des décennies.

• Cartographier les vulnérabilités : identifier les sujets sensibles et les publics cibles les plus exposés.
• Mettre en place une veille renforcée grâce à des outils de détection (IA de repérage de deepfakes, monitoring réseaux sociaux).
• Établir des protocoles de réponse clairs, incluant messages correctifs rapides, canaux de communication multicanaux et implication du top management.
• Former les collaborateurs à reconnaître et signaler les contenus suspects.
• Collaborer avec des partenaires externes (fact-checkers, agences spécialisées, plateformes numériques) pour valider ou rectifier l’information.
• Développer la transparence : multiplier les points de communication officiels, ce qui renforce la crédibilité de l’organisation face aux rumeurs.

À l’échelle nationale, plusieurs dispositifs viennent compléter ces efforts. En France, le service Viginum, rattaché au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), incarne cette vigilance institutionnelle. Créé en 2021, il analyse les ingérences numériques étrangères et les campagnes coordonnées de désinformation. Son enquête Portal Kombat (2024) a révélé un réseau de près de 200 sites pro-russes diffusant massivement des contenus manipulés pour influencer l’opinion.

Les organisations ne peuvent plus se contenter de réagir : elles doivent anticiper, intégrer ce risque dans leur gouvernance et investir dans des solutions de détection et de communication adaptées. Avec l’essor de l’IA générative et l’arrivée probable de nouvelles formes de manipulation hyper-personnalisée, la désinformation est appelée à devenir l’un des grands défis stratégiques de la prochaine décennie.

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