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Oeil de l’expert : Crise énergétique

Date 30 septembre 2022
Type Newsroom

Pénuries énergétiques de cet hiver : les entreprises sont-elles prêtes ?

Des « Délestage tournants » pour les entreprises », un scénario catastrophe annoncé par Elisabeth Borne, complétement inimaginable, il y a encore quelques mois. Décryptage.

EH&A Consulting – 

Hiver 2022-2023 : Une crise qui se confirme

« Les entreprises seront le fusible de la société. », Carlos Tavares.

La RTE (Réseau de transport d’électricité) avait déjà donné l’alerte en 2015 : entre 2020 et 2024, le réseau électrique français risque de subir une forte tension. La cause ? La malheureuse concomitance de la maintenance des centrales nucléaires et de la fermeture des centrales à charbon. Aujourd’hui, le risque se concrétise et l’arrivée de l’hiver fait craindre la mise en tension du réseau électrique français.

Le gestionnaire RTE avait vu juste, l’hiver 2022-2023 risque d’être compliqué. Comme prévu, la disponibilité du parc nucléaire français est plombée par la prolongation des maintenances, repoussées maintes fois dans le contexte du COVID, et les problèmes de corrosion. Une trentaine de réacteurs sur les 56 sont actuellement à l’arrêt : 12 pour corrosion et 20 pour des maintenances programmées. Et les énergies renouvelables françaises, en retard par rapport aux objectifs européens – 23% de la consommation finale brute contre 19,1% pour la France en 2020 -, ne suffiront pas à compenser.
La France pouvait jusque-là compter sur le gaz en cas de coup dur. Cependant, la guerre en Ukraine menace l’approvisionnement : 45% des exportations de gaz naturel de l’UE vient de Russie et l’invasion de l’Ukraine par cette dernière fait grimper les prix de l’énergie. Ultimement, l’UE craint une fermeture totale des robinets de gaz du fait de leur soutien à l’Ukraine. Gazprom a d’ores et déjà suspendu son approvisionnement à destination des fournisseurs européens.
En outre, la France présente une exception supplémentaire qui la rend plus vulnérable à la conjecture que ses voisins européens. Avec sa tradition nucléaire, elle occupe une position originale en Europe et arrive largement en tête avec 25% de son parc de logements existants chauffé à l’électricité (soit quatre fois plus que la moyenne européenne) et 70% pour les logements neufs. Dans l’hexagone, le chauffage consomme donc une grande part de l’électricité disponible durant l’hiver.

Si les citoyens ne devraient pas être affectés directement, les industries, elles, peuvent craindre pour leur activité. Pour Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, les entreprises seront le fusible de la société.   

Le sujet fait débat, en témoigne l’escarmouche entre Jean-Bernard Levy et Emmanuel Macron. D’après l’ex-président de EDF, le responsable de cette situation n’est autre que le gouvernement qui a fait le choix d’arrêter les centrales nucléaires. La prise de position publique de Jean-Bernard Levy n’a pas plu au Président E. Macron, qu’il a qualifiée de « faux et irresponsable ». 

Quelles entreprises peuvent craindre pour leur activité ? 

Les entreprises européennes sont prévenues. L’épée de Damoclès au-dessus d’elles est bien visible, et pour certaines, le fil qui la retient est plus que mince. En effet, on peut se douter que, comme durant l’épidémie de COVID, toutes ne connaitront pas le même sort. De ce point de vue, il dépendra de deux critères : leur localisation sur le territoire ainsi que leur connexion au réseau électrique, et leur consommation en énergie (gaz et électricité). À ce titre, trois régions sont concernées. En premier lieu, l’Île-de-France pourrait voir son approvisionnement mis en tension. En effet, sa consommation électrique est élevée mais elle ne compte pas un grand nombre de centres de production. De même, la Bretagne n’est alimentée que par une seule ligne et ne dispose que de peu de sources de production. Enfin, même si son interconnexion avec le réseau italien améliore sa situation, la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, pourrait également se retrouver en situation de tension.

Le gouvernement a d’ores et déjà prévenu qu’en cas de pénurie certaines industries seraient privilégiées. Si les établissements vitaux comme les hôpitaux et les opérateurs d’importances vitales (OIV) seront approvisionnées, les industries non-indispensables et gourmandes en gaz et en énergie pourraient se voir demander des faire des économies. Le ralentissement de leur activité pourrait être compensé par l’État. Selon Aloïs Kirchner, Spécialiste Industrie à l’Institut Montaigne, ce sont les usines de métallurgie et de pétrochimie qui ont le plus de risque de subir des pénuries : « pour l’électricité, cela peut concerner les industries productrices d’aluminium ou de silicium. Pour le gaz, cela concerne davantage les producteurs d’acier, de fonte, de ciment, de tuile ou de papier ». Pour le spécialiste, ce n’est pas moins de 5700 usines dont l’activité pourrait être affectée. À titre d’exemple, le fabricant Duralex va mettre son unique four en veille à partir du 1er novembre, et ce, pour 4 mois. Le PDG témoigne « Le prix de l’énergie représente habituellement 5 % à 7 % de notre chiffre d’affaires. Aujourd’hui, c’est de l’ordre de 40 %. Ce n’est pas tenable. »

Si les économies d’énergie sont à l’ordre du jour, elles le sont en vérité depuis longtemps. Le prix est dissuasif et les industries n’ont pas attendu la crise pour faire « la chasse au gaspi ».

L’ampleur de cette crise dépend de trois paramètres. D’abord, la rigueur de l’hiver est à observer. Un hiver long et froid causerait une hausse des besoins en énergie, notamment dû à l’augmentation de l’utilisation du chauffage. Ensuite, l’activité des entreprises françaises dépendra des stocks de gaz : bien que l’UE tente de diversifier ses sources d’approvisionnement, l’état des stocks dépend en majeure partie du bon-vouloir de la Russie. Les stocks français sont aujourd’hui à 90%, ce qui permettrait à la France de tenir deux mois lors d’un hiver normal. Enfin, on s’en doute, la disponibilité du parc nucléaire français jouera un rôle clé dans l’approvisionnement en électricité de la France.

La réponse apportée par le gouvernement devra donc être adaptée. Pour un hiver doux et court, des mesures volontaires comme la sobriété ou le retrait volontaire contre compensation pourraient suffire. Mais dans l’éventualité d’un hiver rude et le maintien d’un contexte géopolitique tendu, des mesures coercitives pourraient être mises en place : limitation ou lestage pur et simple, du gaz comme de l’électricité. Les conséquences seraient alors le ralentissement voire l’arrêt de la production, suivi d’une mise au chômage partiel pour certaines industries. La décision de Duralex, par exemple, va avoir des conséquences pour ses 250 salariés, avec la mise en place de mesures de chômage partiel.

Les crises ne produisent pas que des héros et ne touchent pas tout le monde de la même façon. Une majeure partie suera sang et eau pour maintenir leur production coute que coute.  Par sa nature, la crise énergétique est une aubaine pour certaines industries qui voient leurs profits exploser. Ce sont d’ailleurs ces entreprises qui cristallisent la frustration et le mécontentement de la population. Elles sont la cible de campagnes de bashing sur les réseaux sociaux. D’autres encore pourront voir la crise comme une opportunité. Déjà en difficulté avant la crise, pour des raisons structurelles ou autres, des entreprises pourraient renégocier des contrats ou licencier massivement, prétextant une mise en difficulté par la crise. 

Peuvent-elles s’y préparer ? Si oui, par quels moyens ?  

« La meilleure manière d’éviter le pire c’est de s’y préparer ». Roland Lescure, Ministre délégué chargé de l’Industrie

Afin d’éviter une situation de tension trop forte, de nombreux appels à la sobriété ont été lancé par le gouvernement ainsi que les entreprises du secteur énergétique dont TotalEnergies et EDF. D’autres chefs d’entreprise vont plus loin que la limitation de la consommation d’usage et prônent des « démarches d’économie circulaire, d’économie d’usage, de relocalisation, de régénération de la biodiversité, ou encore d’alignement des réductions carbone de l’entreprise avec l’accord de Paris ».

L’État, de son côté, prévoit de soutenir les entreprises et a déjà déployé un attirail d’aides financières. On peut citer, entre autres : 

  • La mise en place d’un bouclier tarifaire qui limite l’augmentation du prix de l’électricité à 4% pour les petites structures (moins de 10 employés et moins de 2 millions d’euros de chiffres d’affaires)
  • La réduction à son minimum légal de la Taxe Intérieur sur la Consommation Final d’Électricité pour les gros consommateurs d’énergie
  • Le développement de plans d’urgence pour les entreprises dont les dépenses en énergies (gaz et électricité) représentent une part élevée des charges et qui deviendraient déficitaires en 2022

Prévue à cet effet, l’interconnexion des réseaux électriques européens pourraient également servir de filet de sécurité en cas de fortes tensions. On pourra cependant questionner, par exemple, la volonté de l’Allemagne à brûler du gaz pour chauffer la France alors même que celle-ci souffre également de forte pénurie. 

Comme évoqué précédemment, un hiver rigoureux pourrait mettre en tension les industries énergivores. En conséquence, ces dernières ne peuvent pas se voiler la face et doivent se préparer à un tel scénario. 

Certaines d’entre elles anticipent la crise à venir, et l’UNIDEN (Union des industries utilisatrices d’énergie) a déjà sensibilisé ses membres à développer un plan d’économie d’énergie. Parmi ces mesures, on retrouve :

  • Le monitoring énergétique : suivi en temps réel des postes de consommations de l’ensemble des bâtiments d’une entreprise. Cette mesure s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue de l’efficacité énergétique.
  • La sensibilisation et la formation du personnel à ces problématiques.
  • La planification : planifier l’utilisation des machines grandes consommatrices, afin que celles-ci fonctionnent en dehors des heures et des jours de pointes, est primordiale, de même que placer les arrêts judicieusement.
  • La ratification d’accords avec Ecowatt. À titre d’exemple, Carrefour a signé un accord avec le dispositif et s’engage à réduire intensité d’éclairage et chauffage lorsque l’application sonnera l’alerte. 

Une action coordonnée avec l’État est également de rigueur. À cet égard, les entreprises qui consomment plus de 5 giga wattheures par an ont été sollicitées par le gestionnaire RTE afin qu’elles fassent remonter les caractéristiques de leur consommation. Sobriété, retrait volontaire, mesures d’effacement : tout doit être fait pour lisser la consommation de l’industrie et éviter les pics. Une adoption généralisée de l’application Ecowatt, création du gestionnaire RTE, qui envoie des alertes en cas de tension sur le réseau, pourrait également permettre de responsabiliser particuliers comme industriels et éviter des coupures ciblées. Les coupures ciblées sont des coupures locales, maîtrisées et d’une durée maximale de 2h. Elles font partie des mesures qui pourraient être engagées en cas de pic de consommation.

Peut-on s’attendre à une récurrence de ce type de crise ?

L’énergie de demain semble se revendiquer autonome et verte. Mais demain, c’est loin, et ce n’est qu’en 2025 que la France pourra souffler de nouveau. D’ici là, les hivers resteront compliqués.

L’évolution de la guerre en Ukraine va bien-sûr jouer un rôle clé dans l’approvisionnement de la France en gaz mais les perspectives de résolution rapide du conflit semblent minces voire inexistantes et il y a encore beaucoup d’incertitudes.

Cependant, comme précisé par le gestionnaire RTE, la France devrait voir la lumière au bout du tunnel d’ici 2025. La fin de la période de maintenance du parc nucléaire, la mise en service du nouvel EPR de Flamanville ainsi que le rattrapage dans le domaine des énergies renouvelables (installation de parcs offshore et énergies renouvelables terrestre) devraient permettre à la France de retrouver une position quasi-confortable.

Le mot de l’expert : 

« En tant que chef d’entreprise, peut-être est-il temps de prendre la mesure de la crise qui vient et de comprendre l’importance de l’anticiper. Avez-vous déroulé vos scénarios du pire ? Et si la facture double ? Et si l’électricité est coupée dans votre région ? »