EH&A fait désormais partie de DGA Group En savoir plus

Journaliste de terrain et formateur, Emmanuel Sérot s’est spécialisé dans la protection et la sécurité des rédactions envoyées en zone sensible. Son expertise s’est forgée au contact des Armées, où il accompagne également la communication de crise et forme les équipes à la réalité opérationnelle. Depuis des années, il prépare les professionnels à affronter ce qu’ils peuvent rencontrer sur le terrain : du conflit armé à la catastrophe naturelle, en passant par les violences urbaines, le stress psychologique ou l’impact des images traumatisantes. Il a structuré une véritable approche pédagogique de la sécurité, mêlant lecture du terrain, compréhension des acteurs, réflexes comportementaux et anticipation des risques.
Nous l’avons rencontré pour comprendre la manière dont il lit une crise : repérer les signaux faibles, comprendre les dynamiques en jeu et agir avec discernement dans des contextes sous tensions.
Préparer les équipes
Pour Emmanuel Sérot, préparer une équipe n’a rien d’improvisé : c’est un processus industriel. Tout commence par le matériel, qu’il faut standardiser pour éviter les failles et faciliter la logistique partout dans le monde. Les procédures doivent être claires, rituelles, capables de protéger le reporter comme son équipe de soutien.
La formation devient peu à peu un passage obligé pour les missions à risque. Sans être systématique dans tous les médias, elle tend à se généraliser : stages avec le GIGN pour comprendre les dynamiques des zones de guerre, immersion avec la gendarmerie mobile pour appréhender les manifestations violentes, modules dédiés aux catastrophes naturelles, sans oublier l’indispensable préparation à la violence des images auxquelles les équipes peuvent être exposées, « Il faut connaître les codes du terrain avant d’y mettre un pied.”
Préparer, c’est aussi anticiper l’imprévisible. Emmanuel Sérot enseigne ce qu’il appelle les « cas non conformes » : se retrouver coincé dans une voiture par -20 °C, faire face à une rupture logistique, manquer d’hébergement ou gérer un problème médical isolé. “On ne forme pas les gens à ce qui doit arriver, mais à ce qui peut arriver.” Cette capacité d’adaptation s’appuie sur un continuum solide entre terrain et rédaction : chacun doit comprendre les contraintes de l’autre.
Enfin, il insiste sur la nécessité d’une vraie gouvernance de la sécurité. Les grands médias anglo-saxons séparent clairement la rédaction, qui veut envoyer ses équipes, de la cellule sécurité, qui autorise ou interdit objectivement les missions. Cette séparation évite les décisions prises sous pression, protège les reporters et professionnalise la gestion du risque.

Comprendre les acteurs
Bien lire une situation, c’est d’abord savoir reconnaître les acteurs qui la composent. On ne se comporte pas de la même manière face à un gendarme mobile, un CRS ou un policier non spécialisé : leur niveau d’entraînement, leur posture, leur tolérance au stress et leur manière de réagir transforment instantanément la zone de risque.

Cette lecture est essentielle dans des environnements comme les checkpoints. Dans ces environnements tout se joue sur la psychologie. « Ce qu’il y a dans la tête d’un homme armé vous concerne directement. » Fatigue, niveau d’entraînement, encadrement : autant d’éléments que le reporter doit sentir pour éviter l’escalade.
Les journalistes ne sont plus perçus comme neutres, « On est devenu une partie prenante, qu’on le veuille ou non ». Depuis les Gilets jaunes, ils sont parfois considérés comme des acteurs du conflit, une évolution qui complexifie leur présence sur le terrain et demande une vigilance accrue.
Enfin, il rappelle qu’une crise longue, qu’il s’agisse de l’Ukraine, de Gaza ou d’autres théâtres, s’inscrit dans un système d’acteurs, de routines et de mémoires organisationnelles. La fatigue mentale, les habitudes prises, les automatismes conditionnent les comportements des civils, des reporters et de toutes les parties prenantes impliquées. C’est cette dynamique globale qu’il enseigne dans ses formations.
Maîtriser le numérique
Le numérique a bouleversé le travail des rédactions : l’afflux d’images citoyennes arrive souvent avant les reporters. « On a perdu le monopole de l’info le jour où tout le monde a eu un smartphone ». Vidéos, photos, témoignages, diffusés en temps réel et souvent avant même que les équipes professionnelles n’arrivent sur place. Il faut vérifier, trier, contextualiser ces contenus pour éviter les erreurs d’analyse ou de diffusion.
Cette exposition accrue entraîne aussi des risques psychologiques. Les fact-checkers, les équipes vidéo, les journalistes qui analysent des images violentes doivent être formés et accompagnés. « On ne sort pas indemne de certaines images. »
Emmanuel Sérot attire également l’attention sur le cyberharcèlement. Un risque massif, souvent sous-estimé, qui touche particulièrement les femmes journalistes (dans les trois-quarts des cas). Il y a désormais une nécessité de documenter systématiquement, d’alerter la hiérarchie et de déclencher une réponse professionnelle structurée et non pas une réaction individuelle et isolée.

Enfin, il y a les menaces numériques plus larges : tentatives de hacking, intimidations en ligne, pressions d’acteurs politiques ou de groupes locaux. Même sur des sujets a priori bénins, le numérique peut devenir un espace de vulnérabilité qui doit être anticipé au même titre que les risques physiques.
À l’issue de notre entretien, voici ce qu’il faut retenir :