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Directive européenne 2022 sur le devoir de vigilance des entreprises : quelle incidence en matière de risques ?

Date 7 février 2023
Type Articles

Adoptée le 28 novembre 2022, la directive place les entreprises européennes en chef  de file des problématiques RSE. Une responsabilité supplémentaire mais qui peut  également leur permettre de se différencier par leur exemplarité. 

D’abord conscrit à la « soft law», le devoir de vigilance est entré dans la loi en France  en 2017 et entre aujourd’hui dans les textes européens. TotalEnergies, Suez, Lafarge le  savent bien : le tribunal qui juge les entreprises est d’abord médiatique. Dans ce  procès, pas d’avocat ni de juge. La présomption d’innocence est rarement de rigueur.  Accusations vraies ou fausses, il est toujours difficile de reblanchir son image une fois  que celle-ci a été traînée dans la boue. Depuis décembre 2022, la législation  européenne a évolué et permet d’amener le procès médiatique sur le terrain judiciaire.  Avec un accueil positif quasi unanime lors de sa présentation au Parlement européen,  la nouvelle directive européenne relative au devoir de vigilance des entreprises entre  en vigueur. Elle s’applique aux entreprises européennes et étrangères qui opèrent en  Europe. La loi vient avec une portée extraterritoriale : elle s’applique non seulement  aux entreprises européennes mais aussi à ses fournisseurs, et autant que faire se peut,  aux fournisseurs de ses fournisseurs. Objectif de la loi ? Prendre en compte l’ensemble  de la chaîne de valeur et permettre une homogénéisation des bonnes pratiques.  

Un durcissement de la loi française 

Concrètement, les entreprises devront identifier, traiter et rendre compte des risques  environnementaux et sociaux que présentent leur modèle économique et leurs  activités. Cela permettra d’établir des règles égales en matière de concurrence, au  moins au niveau européen, et d’offrir une plus grande transparence vis-à-vis des  consommateurs. Si la loi française était déjà solide en la matière, la directive  européenne va plus loin et est plus contraignante. Non seulement le nombre  d’entreprises concernées est plus élevé, mais il s’applique à l’ensemble des relations  de l’entreprise et pas uniquement aux filiales et aux sous-traitants. Dans le viseur de la  directive, trois secteurs : l’industrie textile, l’industrie extractive et l’agriculture. Le  choix n’est pas anodin. Les entreprises du secteur extractif et textile sont  régulièrement mises en cause par les ONG et se retrouvent tout aussi régulièrement  en gros titres des journaux. La directive pourrait alors toucher 13 000 entreprises  européennes et 4 000 entreprises étrangères. Si les PME ne rentrent pas dans le cadre  de la loi au sens strict, elles seront tout de même affectées en tant que partenaires des  entreprises concernées. 

Des coûts, des risques et une opportunité  

Concrètement, les mesures à prendre sont inéluctablement synonymes de coûts  directs pour l’entreprise, dans le cadre de la création de services dédiés ou de  formation. Le nonrespect de ces nouvelles règles s’accompagnera d’amendes infligées  par les autorités administratives nationales désignées par les États membres. Leurs  modalités restent encore à déterminer. Cependant, en se calquant sur la législation  française, on peut s’attendre à un montant pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre  d’affaires annuel de l’entreprise, selon la gravité. De plus, si la directive va permettre  une harmonisation de la législation au niveau européen et un lissage en matière de  concurrence au sein du marché unique, c’est l’ensemble des entreprises européennes  qui sera soumis à des distorsions de marché en matière de concurrence, sur les  marchés asiatiques et africains notamment. En effet, les entreprises étrangères,  turques et indiennes, pour ne citer qu’elles, ne s’encombrent pas des mêmes  considérations. Au motif du respect de la directive, certains appels d’offres ne seront  plus envisageables pour les vertueuses entreprises européennes.  

L’opportunité de la vertu  

D’un autre côté, devenir irréprochable au sens de cette directive est une opportunité.  En travaillant sur leurs obligations et engagements sociaux, les entreprises  européennes se donnent la possibilité de faire de cette différence un facteur de  préférence. Et c’est déjà le cas dans d’autres domaines. À titre d’exemple, les  engagements de l’Union européenne concernant la protection des données font des  entreprises issues du marché unique des partenaires dignes de confiance. Au sein des  marchés émergents, les entreprises européennes bénéficient alors d’un avantage  concurrentiel notable par rapport à la Chine, les États-Unis, la Russie, l’Inde ou la  Turquie. 

S’engager, oui, baisser la garde, non  

Être vertueux aux yeux de la loi n’est malheureusement pas suffisant. Une entreprise  aujourd’hui « irréprochable », ne l’a peut-être pas toujours été. Il lui faudra gérer son  historique. Changements de gouvernance et évolutions de pratiques n’effacent  malheureusement le passé. C’est justement lorsque le robinet est coupé à ceux qui  profitaient d’un fonctionnement « à l’ancienne » qu’elles peuvent ressurgir. De plus,  certaines entreprises étrangères n’hésiteront pas à utiliser la loi afin de fragiliser les  positions de leurs concurrents européens. Les combines, qui allient lanceur d’alerte  pas si impartial, très bien payé, et ONG, bras armé d’un gouvernement, étaient déjà  monnaie courante, et le resteront. En d’autres termes, l’ombre de la crise plane  toujours. Il est important pour les entreprises de comprendre leur environnement et  les risques liés, pas seulement financier, mais sociaux, culturels et économiques. Sur  les sujets les plus sensibles, il faut que les entreprises adoptent une position franche, aient la capacité de l’expliquer et de présenter les mesures prises pour faire face à ces  sujets.

Cinq grandes obligations  

  • Recenser les incidences potentielles négatives de leur activité puis mettre en place  les mesures nécessaires pour atténuer ces mêmes incidences  
  • Publier annuellement un rapport public faisant état en toute transparence du  respect des obligations de vigilance des entreprises  
  • Mettre en place une procédure d’alerte accessible par l’ensemble de la chaîne  d’approvisionnement  
  • Indiquer leurs engagements de réduction des émissions de CO2, pour les  entreprises au chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros  
  • Délai d’exécution : 27 novembre 2025, soit trois ans après l’entrée en vigueur de  la directive.

Points d’attention 

  • Qui pourra saisir les tribunaux ? La directive européenne ne le précise pas, il faudra  attendre la transposition en droit national pour savoir si une victime, une  organisation de la société civile, un syndicat ou une autre personne morale pourra  introduire un recours au nom de la victime  
  • Investiguer sa chaîne de valeur, surtout si elle est très diluée. Le fait générateur  incriminant peut souvent venir d’un fournisseur de rang trois ou deux